JIMMY TRAPON, les mécanismes d’écriture
Interview 2e partie !
Deuxième partie de l’interview de Jimmy Trapon, notre auteur du mois. Nous y parlons des mécanismes de son écriture. Vous pouvez retrouver la première partie ICI.
L’interview
Litzic : Qu’est-ce qui diffère dans l’écriture d’un livre et dans l’écriture d’un morceau ?
Jimmy Trapon : Déjà, ce n’est pas vraiment la même approche. L’écriture d’un morceau doit composer avec la contrainte de l’instrumental, du temps limité pour raconter quelque chose, ainsi que d’une thématique d’album. Dans l’écriture d’un morceau, je travaille dans un premier temps sur les placements du texte. C’est-à-dire, l’endroit où j’envisage le chant et surtout de quelle manière je le pense, donc le nombre de syllabes, les sonorités envisagées, etc…
La composition du texte vient après ce gros travail de préparation et l’inspiration va également être guidée par l’univers, les émotions qui se dégagent de la musique. Si tout ce travail en amont n’existe pas dans l’écriture d’un livre, j’apporte néanmoins une attention extrême à la musicalité d’un récit. Le rythme est très important pour la fluidité de la lecture. Tout comme les sonorités, les couleurs, les images.
Ecrire un livre, c’est jouer de la musique et peindre en même temps. Vous aurez beau avoir un scénario béton, une histoire bien ficelée, si la forme n’y est pas, il sera difficile d’embarquer le lecteur. C’est peut-être d’ailleurs la grande différence entre l’écriture d’un morceau et l’écriture d’un livre. Le livre doit obligatoirement mêler fond et forme pour être efficace. Alors que l’écriture d’un morceau peut parfois faire l’impasse sur l’intérêt du texte, on le voit chez pas mal de chanteurs actuels. Jul vend énormément d’album, mais je ne suis pas certain qu’un recueil de ses textes rencontrerait le même succès.
« J’ai parfois l’impression d’être un sorcier qui cherche la bonne formule et les bons ingrédients. »
L : Comment procèdes-tu quand tu te lances dans un projet littéraire ? As-tu une hygiène particulière ou bien écris-tu dès que tu as un moment de libre ? Tu écris directement sur ton pc ou écris-tu sur un cahier, à l’ancienne ?
Jimmy Trapon : Quand je me lance dans un projet littéraire, je ne sais pas vraiment où je vais. Je n’ai pas de plan précis. Je m’enferme dans une bulle silencieuse et je façonne l’histoire au fur et à mesure de l’écriture. J’avance à tâtons, j’aime beaucoup découvrir petit à petit là où je me rends.
En revanche, je m’impose une rigueur qui va être par exemple d’écrire un nombre de mot minimum par jour, où de m’accorder un temps minimum de deux ou trois heures d’écriture quotidienne en semaine et jusqu’au triple le week-end. J’ai toujours un carnet avec moi pour noter des phrases qui me passeraient par la tête ou des idées. Mais la plupart du temps, j’écris directement sur mon ordinateur.
L : Comment procèdes-tu par la suite. Te corriges-tu une fois que l’ensemble te paraît achevé ou au contraire t’accordes-tu, pendant ces heures d’écriture, un créneau pour corriger un peu ce que tu as écrit la veille par exemple ? Te relis-tu à voix haute pour t’assurer la musicalité de la langue ? As-tu aussi recours à des bêtas lecteurs pour épurer tes écris ?
Jimmy Traponn : Très régulièrement, dans la phase de rédaction, je m’accorde des moments pour tout relire depuis le début et corriger au fur et à mesure des petites fautes ou des problèmes de rythme. Quand le récit commence à être un peu plus conséquent, j’espace ces moments mais je reprends le texte systématiquement quelques jours en amont. Une fois le récit terminé, je repasse dessus un nombre incalculable de fois. Je suis un obsédé de la virgule, du point. Je peux passer une heure sur une phrase parce que le rythme ne me convient pas, que les sonorités ne sont pas bonnes, qu’elle ne s’intègre pas suffisamment comme je l’entends dans l’ensemble du paragraphe.
Je peux passer une heure sur une phrase parce que le rythme ne me convient pas
J’ai parfois l’impression d’être un sorcier qui cherche la bonne formule et les bons ingrédients. Concernant les relectures, elles se font à voix basse, je chuchote ! Toujours est-il qu’entendre son texte me semble primordial, effectivement, pour s’assurer que la musique est bonne. L’écoute, la relecture à voix haute, permet en quelque sorte de se mettre à la place du lecteur et de mieux travailler sur la forme du texte.
Ensuite, lorsque je me rends compte que je suis capable de réciter l’ensemble du récit les yeux fermés, je me dis qu’il est temps de prendre du recul et de me confronter à un regard extérieur. C’est là qu’interviennent les bêtas lecteurs, là encore je trouve que c’est très important d’en avoir quelques-uns. Chacun d’entre eux apporte sa particularité à la relecture. Un va se concentrer essentiellement sur l’orthographe et la grammaire. Un autre va me donner son point de vue de lecteur. Un autre va davantage se concentrer sur le fond du texte, pointer du doigt quelques incohérences, incompréhensions, des passages qui mériteraient d’être un peu plus approfondis. Ou encore me dire que sur tel paragraphe, c’est vraiment trop crado et que je risque de choquer quelques lecteurs !
Ça donne parfois lieu à des moments de tensions, la critique n’est pas toujours facile à encaisser, mais finalement, ils ont souvent raison.
L : 22/10, 22:10 est-elle arrivée avant ou après Nouvelle du nord de Paname (tous deux sortis en 2020, mais probablement écrits à des moments différents, bien que l’un et l’autre peuvent s’imbriquer autour du même narrateur, à deux moments de sa vie différents) ?
Jimmy Trapon : 22/10, 22 :10, est arrivée après les Nouvelles du Nord de Paname. Si les deux sont sortis en 2020, Des nouvelles du Nord de Paname avait été écrit deux ans auparavant. En revanche, bien qu’ils se ressemblent sur certains aspects, il s’agit bien de deux narrateurs différents !
L : Quel a été le point de départ de cette nouvelle ?
Jimmy Trapon : L’éditeur Jacques Flament m’avait contacté pour me proposer de participer à un appel à texte sur le thème 22/10, 22 :10 dont la clôture était assez proche. Hormis le thème imposé, la seconde contrainte était de rédiger un texte avec un nombre de caractères limité. L’idée me plaisait bien mais comme je n’avais pas vraiment un scénario précis au départ, je suis parti tout simplement sur cette journée du 22 octobre et le réveil d’un type résolument banal. A chaque nouvel horaire, j’ai pu affiner l’histoire jusqu’au dénouement final à 22h10 ! J’ai écrit cette histoire en 20 jours.
il y a un peu ce côté journal intime dans ces deux bouquins
L : Et celui de Nouvelle du nord de Paname ?
Jimmy Trapon : Pour Des nouvelles du Nord de Paname, c’est un peu pareil, je ne savais pas où j’allais, je n’avais pas de plan précis. Les choses se sont faites petit à petit. Ce livre, comme l’indique le sous-titre, est un carnet de routines d’un personnage au bord de la rupture. Il se compose en douze chapitres, douze histoires indépendantes les unes des autres.
Je dirais que le point de départ de ce livre a été la première routine, qui s’appelle « Royal Club 8.0 ». Au départ, j’envisageais simplement la rédaction d’une nouvelle. En reprenant le même narrateur que mon premier roman « Toutes les fins ont une histoire ». Une fois terminé, j’ai eu la volonté d’en écrire une seconde et puis très vite l’idée de faire un roman de toutes ces histoires s’est présentée à moi.
L : Ils me donnent tous deux l’impression d’être une sorte de journal intime. La question, forcément, c’est en quelle mesure te sens-tu proche de tes personnages principaux ?
Jimmy Trapon : Tu as raison, il y a un peu ce côté journal intime dans ces deux bouquins. Intrinsèquement, entrer dans la routine d’un personnage, c’est forcément plonger dans son intimité. La description du quotidien. Du simple passage aux gogues, à la branlette sous la douche, en passant par les pensées les plus profondes des narrateurs.
En quelque sorte, on entre dans leur quotidien comme dans les pages de leur journal. Je me sens très proche de mes personnages principaux. Ils sont moi et je suis eux. Ils sont à la fois ce que je suis ou que j’aurais pu être. Je leur donne une grande part de moi-même et j’ai parfois la sensation qu’ils peuvent déteindre un peu sur moi aussi. C’est un sentiment assez particulier, qui est notamment très présent dans la phase de rédaction.
Sur cette proximité avec ces personnages, j’ai conscience que les lecteurs peuvent être amenés à se demander si l’auteur que je suis est également le narrateur de mes histoires. Si j’ai vécu ou non ce que j’écris. Boris Vian disait à propos d’un de ces récits que l’histoire était vraie puisqu’il l’avait inventée. C’est ce que j’aurais tendance à répondre également. Dans tous les cas, je n’écris que des histoires vraies, puisqu’elles finissent par exister.
tous mes livres ont cette particularité de ne pas nommer mes personnages principaux.
L : Tu mets beaucoup de poésie dans tes écrits de roman/livre. J’ai plus de mal à en entendre dans ta musique, du moins pas de la même teneur. Pourquoi ce recours à la poésie ? S’agit-il d’une envie assumée ou bien est-ce que la poésie surgit de manière innée lors de l’écriture ?
Jimmy Trapon : J’aime beaucoup mélanger le côté brut de décoffrage de mes écrits à de la poésie. C’est la même chose en ce qui concerne les textes pour Dagara. La teneur poétique n’est sans doute pas la même, néanmoins, elle me semble présente et je prends beaucoup de plaisir à associer poésie et musique amplifiée. C’est un défi que j’apprécie beaucoup, surtout dans le metal où j’ai la sensation que les textes sont souvent moins mis en avant que le chant en lui-même ou la musique.
Donc pour revenir à ta question, la poésie est une envie complètement assumée ! Je pense, justement, que c’est le fait d’être dans la musique qui m’amène assez spontanément à accorder beaucoup d’importance au rythme, à l’harmonie et à l’image qui sont par définition les trois éléments qui constituent l’expression poétique.
L : Si je ne dis pas de bêtise, on ne connait pas le nom de ton personnage principal. Pourquoi ce choix de le laisser « anonyme » ?
Jimmy Trapon : Tu ne dis pas de bêtise ! En effet, tous mes livres ont cette particularité de ne pas nommer mes personnages principaux. Moi-même, je ne connais pas leurs noms, pourtant ce n’est pas faute d’avoir passé du temps avec ! J’imagine qu’il y a une forme de pudeur dans ce choix. Ainsi qu’une forme de mystère que j’entretiens.
Comme je le disais plus haut, j’accorde une grande part de moi-même à mes personnages. Pas au point de leur donner ma propre identité. Mais pas au point non plus de leur transmettre un nom différent du mien. C’est une manière de les garder près de moi, quand bien même le livre ne m’appartient plus. Il y a aussi le fait que mes personnages sont des anonymes au quotidien. Des personnes ordinaires dans lesquels le lecteur va pouvoir s’identifier assez facilement. Je me dis que ne pas les nommer ajoute en quelque sorte de la proximité entre les personnages et le lecteur. D’autant plus que ce sont des récits écrits à la première personne
Plus d’infos.
Lire un extrait de Des nouvelles du nord de Paname et la chronique du livre
Chronique de la novella 22/10, 22:10
Relire le portrait de l’auteur du mois. Découvrir la première partie de son interview
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