Sylvain Fesson : Amours soniques et mélancoliques

Journaliste spécialiste des longues interviews, pigiste pour Philosophie magazine, Sylvain Fesson vient de sortir un deuxième album minimaliste et habité, « Origami ».

Avec « Sonique-moi« , son premier essai, Sylvain Fesson faisait juste avant la pandémie une entrée remarquée dans le monde de la musique. Longtemps journaliste, toujours salarié de l’Education Nationale, il est d’un coup passé de l’autre côté de la barrière.

Un coup de maître, sur les traces de Radiohead, mais avec des textes en français et une instrumentalisation maîtrisée.

En 2023, le voilà de retour avec un nouvel opus plus orchestral mais toujours minimaliste, « Origami « . « Depuis Sonique-moi, il s’est passé pleins de trucs … J’ai fait plein de morceaux et ai monté un groupe fin 2018. J’ai même sorti un deuxième album, « Amy« . »Ce disque a eu un retentissement limité, car il n’est pas sorti en physique. Sylvain espère pouvoir y arriver l’an prochain…

Déjà trois albums

« Origami » est donc en fait son troisième album. « J’ai préféré sortir celui-là en physique car il est plus chanson. J’ai trouvé plus intéressant, en termes d’impact, de sortir « Origami » d’abord. Mon deuxième album était encore plus poétique, avec plus de textes, que le premier. J’avais envie de tordre le coup à cette image, celle d’un chanteur à textes pour mettre en avant le côté chanteur de pop.»

Un disque … sonique !

Le premier album, le bien-nommé « Sonique-moi », regorgeait de belles guitares presque expérimentales. Le nouveau disque marque une vraie différence, notamment à cause de sa riche instrumentation. « Il n’y a pas moins de guitares, relativise Sylvain Fesson. Ce disque est même plus sonique que « Sonique-moi » dans la mesure où il est plus musical, vocalement surtout. Il est pour moi beaucoup plus sonique car la musique a plus d’importance que le textes. »

Le disque porte le nom d' »Origami », cet art ancestral du pliage de papier. C’est aussi l’un des neufs morceaux de l’album. « C’est le titre le plus ambitieux du disque en termes de durée et de collaborations. Beaucoup de gens ont bossé dessus, c’est le cinquième morceau, un peu l’anneau, le gros bijou. Et j’aime bien ce mot origami, car il a un sens mais reste assez ouvert en termes d’interprétation. »

Ce mot n’est pas pour autant représentatif du disque. Les neufs morceaux proposés sont très variés, « Origami » est le plus métissé.

sylvain fesson

Sylvain Fesson crédit Patrick Auffret

Vivien Pézerat, le compositeur

Grosse différence avec « Sonique-moi », l’album a été composé avec Vivien Pézerat. « J’ai toujours eu un compositeur avec moi, je me consacre aux textes. Sur le premier album, Arthur Devreux m’accompagnait musicalement. Vivien a désormais ce rôle. »

Sylvain a rencontré Vivien très naturellement, par l’intermédiaire de la compagne de ce dernier. « Nous avons vite discuté musique et découvert que nous avions beaucoup de marottes musicales en commun, dont Radiohead. Et au fur et à mesure des discussions, il s’est rendu compte qu’il avait pas mal d’instrumentaux jamais finalisés. Il me les a fait écouter, je les ai trouvé supers et j’ai commencé à écrire dessus. Le travail a duré 6 ans… »

Un chanteur journaliste

Journaliste musical très pointu, Sylvain Fesson a toujours eu en lui l’envie d’écrire. Avant faire des chansons, il écrivait des poèmes. « Pour moi, la poésie est très proche de la musique car elle dégage une musicalité. J’ai décalé petit à petit le curseur de la poésie vers la chanson et je me suis mis à en faire. J’aime écrire d’une manière courte, avec des formats concis et ramassés. »

Le journalisme et la poésie ont permis à Sylvain de travailler en profondeur son rapport au texte. Résultat, écrire lui prend de moins en moins de temps. Il a aujourd’hui en réserve de nombreux textes, la plupart du temps très intimes, bien qu’avec son groupe Kistram, il aborde des sujets plus sociétaux. « « Origami » a aussi des textes assez sociétaux, même si l’on ne se rend pas forcément compte. « Center Parcs » est un texte très sociétal. Mais on retrouve aussi tout le côté intime déjà présent dans « Sonique-moi », l’amour, le sexe, les tourments et même des thèmes assez mystiques … »

L’ambiance de Bristol

Le résultat sonne très trip-hop, un peu à la manière du Massive Attack des débuts. Une référence assumée par Sylvain Fesson. « Dès que tu es en home-studio, tu peux multiplier les couches et avec un ordinateur, cela devient vite assez sophistiqué, potentiellement assez deep et mid-tempo. Il y avait déjà ce côté-là dans « Sonique-moi » mais c’est vrai, c’est plus flagrant maintenant car beaucoup plus hybride. »

L’ambiance du Bristol du siècle dernier est renforcée par la multiplication des intervenants. Ainsi, Vivien Pézerat joue du saxophone, Celinn Wadier et le rappeur Da Nill, donnent de la voix avec majesté. « C’est venu de l’envie de faire différemment. Je ne voulais pas que cela soit trop intimiste, nous avons, avec Vivien, eu envie d’avoir des voix additionnelles pour amener plus d’émotions au niveau des textures vocales. Mais cela reste un album avec une vraie charge émotionnelle, ce n’est pas fait pour être vendu en supermarché.»

Sylvain Fesson et Vincent Pezérat
Paris le 17 avril 2023

Un album de chambre

L’enregistrement n’a pas coûté cher : Vivien a tout fait chez lui dans son home-studio mais un financement participatif a néanmoins été lancé avec succès. « Il s’agit, en fait, juste de préventes, sourit Sylvain. J’avais pris le risque financier avant mais je ne suis pas encore rentré dans mes frais… Et cet album ne sera pas joué sur scène, car il faudrait cinq ou six musiciens. C’est vraiment un album de chambre. Pour la scène, on verra plus tard car je n’ai ni le temps, ni les moyens…Je passe au suivant …»

Prenons le temps quand même d’entrer dans « Origami ». Plusieurs titres se dégagent, dont le très beau « Amy », hommage à peine voilé à la chanteuse aujourd’hui décédée Amy Winehouse. « Mon deuxième album, celui qui n’est pas encore sorti, s’appelle « Amy ». J’ai composé deux morceaux sur elle car un jour, elle m’est venue en rêve. Les deux titres sont sur le deuxième album. Pour le nouveau disque, Vivien a refait tout l’instrumental de l’un de ces deux morceaux. C’est d’ailleurs ce titre qui nous a mis le pied à l’étrier pour travailler ensemble. »

Pourtant, Amy Winehouse ne semble pas être une influence évidente pour Sylvain Fesson. « Elle représente pour moi surtout un destin tragique, je n’ai pas écrit sur elle en tant que fan de l’artiste même si je l’aime beaucoup. Mais je n’écoutais pas spécialement … J’ai été frappé par le côté touchant de cette personne. » Sylvain a, par ailleurs, réalisé un clip de ce morceau. On le voit se maquiller et développer son côté féminin. Une autre manière de dévoiler son intimité d’une manière plus androgyne.

Lutter contre l’anéantissement

Autre titre très évocateur du disque, « Ciel de Shoah ». « Je n’ai pas choisi ce titre, il m’est tombé dessus un jour chez moi. J’étais dans une sorte d’ennui et il y avait un ciel très gris. Je me suis dis tiens, c’est un ciel de Shoah et j’ai noté l’idée. J’ai ensuite composé ce texte qui parle de lutter contre un sentiment de dépression, d’anéantissement. »

« Je fais des tournées de clips »

Pour mettre des images sur ses textes très cinématographiques, Sylvain Fesson a réalisé, toujours avec de petits moyens, de nombreux clips de ses morceaux. « De la même manière que je fais des textes et de la musique, j’incarne les morceaux à travers l’image. Comme il n’y a pas de live, je fais des tournées de clips ! Je me filme moi-même avec mon téléphone. »

Tous les morceaux d’«Origami» seront à terme clippés.

Le nouvel album désormais lâché, Sylvain Fesson souhaite aller à la rencontre de son public tout en ayant les pieds sur terre. Il sait sa musique minimaliste et sait aussi qu’il aura bien du mal à convaincre des professionnels sans version live à proposer. Alors il se tourne déjà vers son …quatrième album ! « Il est déjà fait, écrit. J’ai une visibilité sur cinq ou six albums. Et j’ai une cinquantaine de chansons en stock avec le groupe Kisram. Le potentiel tubesque, je l’ai, c’est juste que les gens ne le savent pas encore vraiment. Je suis en avance. Nous sommes tous visionnaires de notre propre création et je le sais, mon potentiel commercial n’est pas encore livré. A 43 ans, je n’attends pas grand-chose d’une maison de disque. La marche de manœuvre pour être signé est faible. Il faut être lucide. En France, Feu Chatterton ! est considéré comme un groupe indé …»

Sylvain Fesson crédit Patrick Auffret

 

Site de Sylvain Fesson : https://www.sylvainfesson.com/

Blog de Sylvain Fesson : https://parlhot.com/

Pour écouter :

https://sylvain-fesson.bandcamp.com/

Texte et photos : Patrick Auffret (avec Lysianne Roche)

Il a rejoint l’équipe début 2022 et son corps de métier se tourne vers la scène où il photographie les musiciens en même temps qu’il s’imprègne de leur musique, qu’il restitue son forme de live report hyper pointus.

Ancien rédacteur en chef à Publihebdos, Pat Auffret a également collaboré durant 20 ans avec le magazine Longueur d’Ondes et Rock & Folk. Il travaille régulièrement avec l’agence photo Dalle et ses clichés ont été publiées dans divers journaux nationaux (Le Monde, Les Inrockuptibles, Rock&Folk, …) et internationaux.
Il est aujourd’hui président de l’association dédié au spectacle vivant Out of time.

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