[MOT DE LA FIN ] DAVID FONSECA, La faim de la fin ?

Mot de la fin de notre auteur du mois David Fonseca

Nous remercions infiniment David Fonseca pour sa présence en ces pages. Pour son amitié, pour son implication, pour ses explications, pour les émotions que sa plume aura su susciter chez nous. Pour sa simplicité aussi, son honnêteté. Nous ne restons pas sur notre faim car il aura su, avec ses mots, aller là où leur importance prend toute son ampleur. Découvrez sans plus attendre son mot de la fin.

Le mot de la fin. Lettre à tous les Patrick Beguinel

Le mot de la fin ? La fin, la faim dirait sans doute Lacan, l’insatiable faim. Mais qu’est-ce que cette faim ? J’ai lu, j’ai tellement lu pour ne plus l’ignorer, lu jusqu’à plus Faim de Knut Hamsun, que je pensais comme rassasiement, pour enfin savoir ce que c’était que ma faim. Sa Faim, qui malgré le dégoût pour la nourriture de son personnage, sans cesse sent grandir en lui cette faim, cette envie de tout dévorer, ce travail qui part de l’intérieur, qui grandit là-dedans en silence. Mais lui, à la fin, se libère de cette faim, son errance, s’engage sur un navire en partance. Il s’ouvre l’estomac pour se répandre enfin.

Ma faim provient d’un autre ventre: du hiatus entre ma vie brève, au cours de laquelle la mort guette en permanence, cette issue fatale vers laquelle tout mon être tend, son caractère défini, limité et le caractère indéfini, illimité, de mes sentiments, ce fait têtu de vouloir que ce que j’aime, que ce que je suis, le sera pour toujours, vivra de toute éternité, sans bornes ni limites : sans fin. Voici le heurtement, la faille : l’obsession de durer fracassée par l’interruption de toutes choses. La faim, ma faim, c’est de vouloir dévorer la fin.

Mais la fin sera toujours plus vaste que ma faim, par quoi elle me tient. Ma fin, c’est mon Penn-ar-Bed à moi Patrick, ce nom breton du finistère dont j’aime tant la signification, qui dit le bout du monde ou sa tête. Mais s’il y a un bout du monde, ou bien encore une tête, c’est qu’il ne s’agit encore que de mon monde, que de ma tête, que peut-être alors commence quelque chose d’autre, au-delà de la mer, mais qui est océanique, au centre duquel je me perdrai toujours. Alors quoi ? Oui, quoi ? Reste quoi ? Le courage  d’y aller? Le courage, c’est de savoir demeurer au plus près de ses désastres. Cette position n’est pas désespérée, même si elle me demeurera peut-être toujours empêchée : elle ouvre, est en pente. Elle n’annule pas le pourquoi ni le comment de cette possibilité du voyage. Donne la mort à toute forme de minéralité : la raison à tout cela. La meilleure farce faite à mon orgueil de tout comprendre, de tout savoir, de tout dire, de tout faire signifier : une solitude, donc ; ne pas savoir pourquoi j’y suis, maintenant, d’y aller pourtant.

Rien ne prendra jamais faim comme cette absence, ce trou dans mon ventre, cette faim sans fin : à moi d’avancer les paumes en avant, de jauger le pas fertile autour de ce centre inapprochable, et marquer ainsi mes pas provisoires, ces dévers, ces défaites du chemin, retrouver l’enfant à jamais perdu. Je n’aurai sans doute pas le front de combler l’énigme, car à conquérir la fin, il s’agit toujours d’investir les limites, comme on marche à côté du silence pour le troubler. Alors quoi, à la fin ? Le mot de la fin Patrick ? Tu me demandes le mot de la fin ? Le mot de la fin, c’est le mot de ma faim : Shéhérazade. Appelle-moi Shéhérazade, si tu veux bien. Tant que j’aurai un truc à raconter, en attendant, je resterai en vie.

p.s. : dans l’attente, je ne peux que dire merci à chacun de ceux qui me tiennent en dérivation. Non pas à la dérive, mais tenu : ma femme, Jasmine, mon océan, mes enfants, mes îles, Sylia, Lehna, Manys et Elhora, tant d’autres : mes parents, mon frère, ma sœur, ma famille proche (Fonseca et Tezkratt comprises), les amis de toujours, proches, éloignés, mais pour toujours avec moi, in situ, et tous les Patrick Beguinel (indéfiniment merci, Patrick, de m’avoir offert ton « mois »), qui ont bien voulu, veulent bien encore m’accompagner à l’instar de Christophe Havot, directeur de la collection L’orpailleur chez Az’art atelier éditions, le premier qui m’ait borné, m’accordant sa confiance, Danielle Roublin-Triquère, directrice de la maison d’édition Az’art atelier, qui continue mon aventure, sans quoi, sans qui, Penn-ar-Bed n’aurait pas de visage, sans quoi, sans qui, Penn-ar-Bed aurait une fin.

david fonseca la fin de la faim

Relire le portrait o-su-bjectif de David Fonseca

Relire Portraiture, texte offert par notre auteur du mois pour que vous appréhendiez sa plume de la meilleure des façons possibles.

Enfin, relire la chronique de Faillir et celle de Cellules. Lisez l’analyse mêlée des deux romans également.

Redécouvrez la première partie, la deuxième, la troisième, la quatrième et la cinquième et dernière partie l’interview de David Fonseca

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