[ TEXTE INÉDIT ] DAVID FONSECA, Portraiture

Notre auteur du mois, David Fonseca, nous offre un texte, Portraiture.

Pour vous faire une idée du panache de la plume de notre auteur du mois David Fonseca, rien de tel qu’un petit texte écrit de sa main. Avec la générosité le caractérisant, il nous permet de diffuser Portraiture, et vous pourrez ainsi vous faire une idée de son style, de sa narration. Néanmoins, nous pensons, sans doute à juste raison, que les romans dont nous aurons l’occasion de vous parler dans quelques jours, sont davantage parlant qu’un simple texte, car, sur la distance, ils imposent leur force et leur ampleur ! Mais Portraiture est et reste une très bonne introduction à son travail. Mais trêve de bavardages, voici son texte !

PORTRAITURE

Parler ? Y’a déjà un mot de trop dans la question, pensait l’homme. Le point d’interrogation aurait suffi. Six lettres, ça prend trop de place. Elles envahissent tout. Il se disait tu sais ce qu’elles fabriquent dans ton dos pendant que t’es assis là à me coloniser la moelle ? 720 combinaisons possibles. 720 petits qui pullulent comme autant de métastases élevées au grain quand t’élèves la voix. Tu parles et moi je ne vois que de la merde alphabétique qui fuite de partout dans ta bouche. Arrête ! J’me noie. J’en peux plus, qu’il aurait voulu crier ! T’as pas compris ? Il n’y a pas d’espace possible pour une réponse dans ta question. Mais il y avait déjà trop d’eau dans sa bouche. Ça salivait les mots. Il se tut. D’ailleurs, il le savait bien l’homme, il n’y a jamais de réponses. Il n’y a que des questions. Mais toi tu voudrais que je me vautre devant toi parce que t’as l’autorité d’un costume trois-pièces, continuait-il de penser. Alors va falloir que j’me ventricule, que j’me branle les membres pour que ça sorte. Parce que parler, moi j’veux bien à la limite, mais comment faire quand ça manque de mots comme le mime Marceau, hein, dis moi ? Et puis, si je déroulais le tapis rouge, faudrait encore que tu sois capable de l’accueillir ma langue. Tu sauras faire ça, toi, tenir le crachoir des heures quand tu me chaufferas de questions ?

Et puis t’y comprendrais quoi ? J’vais t’le dire, ça s’ouvre comme ça pour moi, une phrase qui continuait de rouler dans sa tête sans pouvoir l’amortir… Ma vie, du freestyle. J’n’ai rien vu venir, même si j’avais eu sept boules de cristal. Je l’sais bien pourtant, faut avoir la force de regarder sa vie dans toute son erreur. La vérité, la mienne ? C’est que l’incipit et c’est déjà fini. Dès le départ, j’ai pris une ride. Je n’suis qu’un interlude. Ma vie j’l’aboutis tôt et le plus rapidement possible, c’est ainsi, baskets aux pieds et droit chemin sont dès le départ irréconciliables. Aujourd’hui, assis par terre sur des galets, un-deux-trois-quatre ricochets, je m’demande s’il fallait tout ça. Plus j’y pense, moins j’arrive à m’rassurer. Y a bien pourtant quelques fondamentaux, des trucs sur lesquels j’peux encore compter dans la vie. L’embolie du monde est par exemple une base solide. Et chaque putain de siècle n’est qu’une rediff’ ; un navet pitoyable à budget indécent avec baiser final et cymbales pourries. Quant à Dieu, il a vieilli comme la basse Normandie pendant que j’regarde partout autour de moi le ciel qui s’accroupit et se vide sous lui. Reste quoi à présent ? L’envie d’me crever. C’est ce qu’on appelle un corps à corps. Cette douleur qui vient de loin comme un shoot de Larry Bird. La vérité ? J’ai sous-vécu, au ras des gestes et des choses, tout le temps, c’est vrai. Alors il aurait fallu peut-être stopper tout ça, dès le départ, un avortement, une tête dans un sac, partir comme un chat. Mais il y a une règle dans la vie, il est interdit d’arrêter quelqu’un en son absence. Et moi, c’est sûr, ici ou autre part, je n’y étais pas. Alors ? Il aurait fallu faire quoi ? Me foutre le feu ? Me faire disparaître ? Mais brûler les gens, c’est pas pour que leur corps disparaisse. C’est pas pour que ça ne laisse pas de traces. Brûler des gens, c’est pour que les mots qui sont à l’intérieur d’eux s’évaporent. Parce qu’on ne veut plus les entendre ces mots-là. Alors, le feu, tu pourrais bien m’le mettre toi aussi, mais y a rien, y’a jamais rien eu à cramer. Pas d’mots. Vide. Toutes phrases dehors. Ils auraient donc pu tous venir comme toi aujourd’hui, ils ne m’auraient pas trouvé. Moi, pour savoir où j’suis, de mémoire je m’épelle. Pourquoi j’continue ? Y’a rien de déprimant dans c’que je dis. Je continue de vivre parce que tout simplement je n’y arrive pas. Je continue d’exister parce que je n’y parviens pas. Si j’y arrivais, je m’arrêterais. Je serais arrivé, vraiment. A destination. A bon port. Où tu voudras, mais je serais arrivé. A quoi bon pousser plus loin, dès lors? C’est comme le type qui dessine, qui écrit. Il continue parce qu’il n’y arrive pas. Il n’est pas encore arrivé. Il n’est pas parvenu au stade où il l’entendait. Alors il continue. Mais s’il atteignait ce point qu’il recherche, il ne serait pas stupide. Il s’arrêterait. Immédiatement. Parce qu’il sait très bien qu’à continuer il ne pourrait plus que redescendre. Il faut secouer la vie. Onduler. Si tu es arrivé, tout devient lisse. Tout devient mort dans ton tombeau. C’est évident ! Propre, lourd, du Gérard Depardieu sortant de la douche.

Mais toi tu voudrais mettre de la poésie dans mon train-train qu’il se disait l’homme, que je poétise mes cris comme Artaud. Pourquoi pas. Ça f’rait ça : j’suis la voix mystique d’un enfant que je ne fus pas. Que je ne fuis pas, que je voudrais bien accueillir dans mon deux pièces. On se partagerait les espoirs, la beauté que je biaise. Mais moi, c’est ailleurs que ça se passe. Mes parents m’ont fait comme ça, au motif qu’un homme et une femme se doivent de fabriquer un peu plus qu’eux-mêmes pour échapper au temps. Ça n’offre pas la vie ça, mais une mort en germe. Pourquoi donc la donner ? Et puis c’est quoi être un homme ? Un homme, c’est vivre éteint. C’est attendre le néant. Toutes les entreprises, les quêtes, les guerres, poursuivent le même but, aller au court-circuit. J’aurais dû faire BEP électro-technique pour accroître mes chances.

J’suis tellement pas présent. Qu’un souvenir. Egaré dans ce vieux carton de corps. Tu vois bien le tableau, aucune perspective. A l’école, malgré tout, j’étais à peu près sûr d’avoir un truc en moi, un peu d’incandescence, de l’imagination à revendre, mais sans vocabulaire, c’est s’étouffer dans sa trachée. Persuadé que le réel manque de charme, j’voulais autre chose à construire, avoir ma propre écharde. Mais très tôt, le sentiment que le silence est un refrain que j’connais. Et puis quoi, s’élever ? Gravir des échelons ? Ça souffle fort dans le dos, ces éternuements de nuages. Et puis aller au boulot, pourquoi ? Ta retraite, c’est comme la fille du porno, tu la toucheras pas. Non, plutôt faire dans l’inutile, le rien, pour le beau geste. S’élever, d’accord, mais pour une vie brève en papillon monarque. Avec pour modèle, Basquiat, la vitre brisée laissée en l’état. (…)

J’suis né un soir d’été, au sud de nulle part, sous un beau ciel étoilé où les songes ne s’annulent pas. D’où j’viens ? J’suis pas un continental. Y’a pas d’plateau d’où j’suis. Rien pour se reposer. Ça vient de plus loin. J’arrive de l’outre-peuple, le peuple du trépas. Là-bas, y’a pas d’soleil ni d’cartes. Roi sans terre posé sur mon putain de séant. Une pensée à retrouver. Mais j’ai beau fouir en tous coins de ma tête, rien n’y luit. Oui, plus je me la creuse, moins la lumière y débouche. Reste rien. Un grand vide où les membres s’évanouissent. Des cancers plein la solitude.

Tenter encore et encore de poignarder le soleil. Souffler contre le vent, sécher la semaine des quatre jeudis. S’installer dans une impasse, revenir de loin. Voilà à quoi tiennent encore mes projets aujourd’hui.

Ce texte, Portraiture, est publiée avec l’aimable autorisation de David Fonseca.
© David Fonseca– tous droits réservés, reproduction interdite.

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