[Interview] DAVID FONSECA, Faire tomber les barrières

Troisième partie de l’interview consacré à David Fonseca.

Découvrez une nouvelle salve de réponses aux questions que nous avons posé à David Fonseca. Vous y découvrirez entre autre que David Fonseca n’est autre qu’un « punk » dans l’âme, se refusant au conformisme des diktats imposés par son activité professionnelle. En effet, notre auteur du mois fait tomber les barrières qui annihilent, en quelque sorte, l’écriture « académique » et l’écriture « littéraire ». On vous laisse découvrir tout cela.

Suite de l’interview

L : Tu me disais avoir fait tomber les frontières entre écriture du cercle professionnel et écriture littéraire. Etait-ce pour toi naturel ou cela répondait-il à un besoin intime de lier les deux, d’y trouver une cohérence ?

David Fonseca : Comme tu le sais, je suis universitaire. Ce travail est, en France comme ailleurs, celui d’un enseignant-chercheur. Une part de mon travail consiste donc à enseigner, l’autre à effectuer des recherches qui, potentiellement, seront publiés ou non. Ce travail d’enseignant, je l’ai choisi très tôt. Sans doute pour bonne part en mémoire de ceux qui m’ont sauvé la mise. J’ai eu un parcours relativement chaotique à partir du collège, ponctué de renvois, y compris encore au lycée, même si j’étais, paradoxalement, ce que l’on appelle un élève brillant. N’en demeure pas moins qu’en fin de 3e, mon professeur principal souhaitait que je m’oriente en chaudronnerie, c’est-à-dire plus bas qu’un ver dans la hiérarchie des BEP. Mais d’autres professeurs ont vu un peu plus loin. Enseignant, donc, sans doute, pour dire ma dette. Chercheur, prof à la fac en somme, allait ensuite de soi : des études longues pour un planqué, un réserviste de la vie, c’était mon tapis rouge. Il faudra beaucoup lire, me disait-on ? Je ne manquais pas d’entraînement, même si j’allais découvrir ensuite les nombreuses embûches qui jalonnent le parcours de celui qui voudrait se destiner à l’enseignement universitaire. Surtout, cette profession allait me permettre d’avancer masqué : c’est-à-dire d’écrire. Je voulais écrire depuis le collège mais n’avais jamais eu le courage d’envoyer quoi que ce soit à qui que ce soit. Je n’avais que le courage du solitaire : me lire et me relire indéfiniment. J’ai commencé pour la première fois à transmettre mes productions durant ma thèse, en envoyant des papiers sur le cinéma au Cahiers du cinéma. A ma grande surprise, des échanges et un rendez-vous ont eu lieu avec le rédacteur en chef de l’époque. Je me voyais déjà devenir critique de cinéma, abandonner la thèse. Mais lorsque ledit rédacteur (Emmanuel Burdeau) m’a indiqué que je ne serai pas rémunéré dans les premiers temps (qui pouvaient devenir souvent éternels), j’ai déchanté et suis revenu à la thèse bon an mal an. J’ai dès lors décidé d’officier en contrebandier, c’est-à-dire de truffer ma thèse comme chacun de mes articles à venir d’écrits personnels qui étaient totalement étrangers au domaine académique. Mais comme je n’osais pas encore affronter le monde de l’édition littéraire, j’y ai vu l’opportunité de glisser dans chacun de mes travaux ce que j’écrivais dans mes petits cahiers. A commencé pour moi une technique du collage, que j’ai continué par la suite.

Evidemment, pour l’universitaire lambda, il ne peut pas y avoir de cohérence entre l’écrit académique, qui répond à certains canons : une écriture plutôt blanche, sans effets, atone je dirais, autant dire une langue morte et captieuse et l’écriture littéraire. Dans l’idéal, l’écriture universitaire ne doit jamais laisser passer d’éléments personnels dans un contexte nécessairement impersonnel. Il faudrait, en somme, que le contenu de ce qui est dit ne soit jamais épuisé par celui qui le dit. Pour le signifier autrement, il faudrait que le discours universitaire, qui se propose et se vend comme savoir, puisse être prononcé par n’importe quel universitaire. Il y a une logique de l’effacement que je peux comprendre mais qui ne me satisfait pas, même en contexte scientifique. Derrière chaque énoncé, il y a un locuteur qui parle – moi – , qui est responsable de ce qu’il dit. Aucune vérité ex-cathedra venue d’on ne sait où ne s’exprimera jamais à travers ma voix. Je ne suis pas prophète. Je ne suis pas dépositaire de La Vérité. Ce que j’expose à mes étudiants consiste toujours en un point de vue, autrement dit une interprétation, la mienne, en tant que chercheur, avec ma méthode particulière de travail, de sorte que s’ils me trouvent cent contradicteurs, ce sera heureux.

Pour ma part, je ne fais aucune différence entre l’écriture littéraire et académique, ce qui me vaut, entre autres, une position d’iconoclaste au sein de l’université, mais c’est là un autre sujet. Lorsque je lis Bachelard ou Nietzsche, il y a un plaisir évident qui transparaît dans ce qui est écrit, bien au-delà de ce qui est dit. La seule chose qui m’importe, une nouvelle fois, que ce soit en tant que lecteur ou « écriveur », pour reprendre ta jolie rime, c’est le plaisir pris.

L : Comment appréhendes-tu la page blanche ? Comme un nouveau défi à relever ? Comme une alliée ? Une ennemie ? Rien de tout cela ?

David Fonseca : Je n’ai pas de théorie sur l’écriture. Il en existe pourtant de nombreuses. Mais, moi qui ne cesse pas de conceptualiser, je m’efforce en permanence de me débrancher. L’écriture me le permet car je l’aborde comme un travail d’artisan, non pas au sens où il faudrait sans cesse refaire la même chose afin d’en obtenir la parfaite maîtrise. Artisan au sens où écrire, pour moi, est un faire. Écrire, bien loin de penser, c’est faire. C’est agir. Précisément, utiliser ses mains. Un travail manuel et non pas simplement intellectuel. Il s’agit de faire, refaire et cent fois recommencer. Ecrire, c’est donc rencontrer, non pas des problèmes d’ordre théoriques mais pratiques. Au fond, j’écris pour apprendre à écrire. Cela ne signifie absolument pas que je vais aller de progrès en progrès. J’ignore si le prochain livre aura fait un pas en avant, un pas en arrière ou plutôt, un pas de côté. J’écris, comme j’essaie de vivre parce que je n’y arrive pas. C’est une phrase que je fais dire à l’un de mes personnages de ce que je suis en train d’écrire en ce moment : « je continue de vivre parce que tout simplement je n’y arrive pas. Je continue d’exister parce que je n’y parviens pas. Si j’y arrivais, je m’arrêterais. Je serais arrivé, vraiment. A destination. A bon port. Où tu voudras, mais je serais arrivé. A quoi bon pousser plus loin, dès lors? C’est comme le type qui dessine, qui écrit. Il continue parce qu’il n’y arrive pas. Il n’est pas encore arrivé. Il n’est pas parvenu au stade où il l’entendait. Alors il continue. Mais s’il atteignait ce point qu’il recherche, il ne serait pas stupide. Il s’arrêterait. Immédiatement. Parce qu’il sait très bien qu’à continuer il ne pourrait plus que redescendre. » Le principe est le même pour mon travail d’écriture : je continue sans cesse d’y retourner parce que je ne suis pas encore parvenu au point où je m’attendais, là où je m’espérais.

Le problème de la page blanche n’est donc pas un problème d’ »inspiration » mais de saturation. Je le répète souvent à mes étudiants : ne me dites pas que vous avez un problème d’inspiration pour ne pas écrire. Au contraire, si vous avez un problème d’inspiration, c’est tant mieux. L’inspiration est un thème chrétien. Celui qui est « inspiré » reçoit sa volonté directement de Dieu. Ce n’est pas lui qui parle. C’est Dieu qui hurle dans ses doigts. Donc, tant mieux si Dieu ne s’adresse pas à vous (et ce serait un anthropomorphisme que de croire que les hommes puissent comprendre ce que Dieu leur dirait potentiellement), parce que si tel était le cas, je ne vous comprendrai pas, le langage de Dieu, s’il en a un, étant étranger sinon à celui des hommes, du moins sûrement au mien. Donc, si vous avez un problème d’inspiration, c’est un bon début, au moins comprendrai-je ce que vous écrivez.

Le problème de la page blanche n’est donc pas celui (du moins pour moi) de ne pas savoir ce que je pourrai bien écrire. C’est l’absolu contraire. Il y a trop à dire. C’est le plein permanent qui produit un effet bouchon au bout de mes doigts. Ça ne circule plus. Ça s’engonce.

Dès lors, écrire (toujours pour moi, il va de soi, car chacun a sa manière), c’est rencontrer, comme l’indique ta question ma « page blanche ». Le problème de ma page blanche, ce n’est pas qu’elle est vide. Le problème de ma page blanche est qu’elle est par trop remplie. Elle est, non pas pleine de mes projections. Elle en est prisonnière. Sa blancheur m’aveugle. Je m’y trouve pris comme la bête dans les phares et ne sais plus que faire : l’affronter ou l’éviter. Elle n’est pas davantage libre d’accès. Je n’y entre pas comme je voudrais. Ce serait une erreur de penser que je suis libre de choisir ce que je veux comme point d’entrée puisque la page serait justement blanche. C’est au contraire une fortification qui me paraît imprenable parce que trop habitée. Les points d’entrée y sont bouchés. Ma page blanche, son souci, est qu’elle est tellement colonisée par moi que je ne sais pas par quel bout la déprendre de moi. Aussi, me faut-il longtemps pour savoir comment l’aborder. Je continue à filer la métaphore. La page blanche, lorsque je la rencontre, c’est un peu comme si je rentrais de vacances après une longue période et que je trouve ma maison habitée par des étrangers. Que je trouve porte close et serrures changées. Comment vais-je faire pour y retourner ? Négocier avec elle, trouver la bonne clé ? En ce qui me concerne, je la force. J’y entre par effraction sans y penser, tête première. Ses gardiens, je dois les ignorer, sinon je demeurerai à ses pieds éternellement comme le « héros » du Procès de Kafka, dont la porte de la loi lui demeurera pour toujours fermée.

david fonseca interview

Relire le portrait o-su-bjectif de David Fonseca

Relire Portraiture, texte offert par notre auteur du mois pour que vous appréhendiez sa plume de la meilleure des façons possibles.

Enfin, relire la chronique de Faillir et celle de Cellules

Redécouvrez la première partie et la deuxième partie de l’interview de David Fonseca

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Comments (2)

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    Sandrine

    Ecrire sur soi pour enfin commencer à être soi et toucher du doigt qui on est ou qui on veut devenir. Ecrire pour arrêter de se raconter des histoires finalement, ce qui peut sembler paradoxal. Revenir sur soi pour ne pas faire « l’économie de la dette ». « La dette », dont David Fonseca parle souvent. Il faut la payer pour pouvoir s’en libérer. A coups de poings, brutalement, en s’essoufflant… Pour enfin pouvoir espérer sortir du vide.
    Si la littérature c’est le monde de « multivers », comme il le dit, sa quête personnelle, elle, touche le lecteur dans ce qu’elle a d’universel.

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      Patrick Beguinel

      Bonjour Sandrine et merci pour ce commentaire. Il est très juste car ce que vous évoquez et quelque chose d’ultra-présent dans ces écrits. Le côté désarmant provient de cette sincérité du propos qui vise à nous mettre en quelque sorte face à nous-même, comme si l’écriture de David Fonseca était un miroir. Finalement, peu importe le contexte puisque la vérité de l’Homme y est exposée, sans qu’il soit finalement question de sexe (homme ou femme, même cheminement de vie), de couleur, d’ethnie. Universel dans toute sa complexité. Et ce qui frappe, c’est finalement la simplicité sous-jacente que dégagent les écrits de David Fonseca qui nous frappent au coeur.

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