GABRIEL KEVLEC, Le mot bleu de la fin

gabriel kevlec fin interview + mot bleu de la finFin de l’interview + mot de la fin.

Ainsi s’achève le mois passé en compagnie de Gabriel Kevlec. Nous le remercions de s’être prêté au jeu avec autant d’énergie, de spontanéité et de sincérité. Son univers nous restera ancré quelque part, entre la tête et le coeur. il nous délivre, en ce dernier jour de février, la fin de son interview et un mot bleu de la fin. Comme chantaient les Beatles All you need is love, et nous trouvons que Gabriel Kevlec dit, à sa manière, exactement la même chose. On lui en souhaite plein alors, de l’amour comme s’il en pleuvait, et on lui dit à très bientôt.

L’interview.

Litzic : Dans En toi, tu utilises la science-fiction pour parler d’amour, d’âme sœur. Qu’est-ce que cette intrusion dans le fantastique t’a permis de faire que les formes plus traditionnelles de littérature ne te permettaient pas ?

Gabriel Kevlec : Le fantastique permet d’abattre les limites que le réel impose, et m’a surtout offert la possibilité de construire un personnage qui vit ce qui est à mon sens la plus pure et la plus inatteignable forme d’amour : l’empathie physique. On a beau être proche de l’être aimé, l’avoir appris, l’avoir maintes fois interrogé, regardé, caressé, les sensations physiques que l’autre ressent se dérobent irrémédiablement à nous. Lorsque l’on regarde une personne qui souffre, ou plus prosaïquement quand on admire dans un porno le visage d’un homme ou d’une femme en train de jouir, on a l’impression de ressentir cette douleur ou ce plaisir, mais ça n’est jamais plus qu’une impression, comme un calque posé sur nous.

Je voulais donner à Thomas la capacité de percevoir plus qu’une impression, de ressentir physiquement et exactement ce qu’Adrian ressent. J’avais alors le choix de m’orienter vers un récit plus « technologique », un genre de Black Mirror avec une invention géniale permettant ce prodige, ou de me tourner vers quelque chose de plus… élusif. De plus onirique. Ça n’étonnera personne, je me suis offert la liberté du rêve.

Chaque roman écrit me demande des heures et des heures de recherche

L : J’aime l’idée des 3 amours dans une vie (le premier, le grand, le dernier). Pourtant, Thomas en fin de compte, n’en vit que 2 puisque le grand est aussi le dernier ?

Gabriel Kevlec : Cette idée des trois amours dans une vie, elle vient à l’origine d’un conte que l’on m’a lu quand j’étais tout gamin. Impossible de me rappeler son titre ou son auteur, même l’histoire exacte se dérobe à ma mémoire, mais cette trinité de sentiments est restée ancrée en moi. Je l’ai retrouvée depuis dans d’autres romans, comme dans un des livres de l’extraordinaire autrice Amélie Astier.

Je ne sais pas si elle a, elle aussi, connu l’émerveillement de ce conte (d’avance merci de ne pas me rappeler que je suis beaucoup, beaucoup plus vieux qu’elle, donc que c’est peu probable…). J’aime cette idée que les plus belles théories naviguent ainsi dans une idéosphère impalpable et infusent les esprits épars.

Je pense cependant que Thomas traverse bien les trois formes d’amour, parce que Adrian est son grand amour bien avant que Thomas ait conscience que ce sera le dernier. Lorsque de tels émois nous transportent à ce point, on ne peut imaginer une fin – mais quelle fin, voyons, il n’y a pas de fin pour ceux qui s’aiment… – et on ne conçoit donc pas l’après. Chaque fois que l’on tombe follement amoureux, on se dit que c’est la première, la plus grande et la dernière fois.

L : T’es-tu replongé dans des archives pour sonner si juste sur l’évolution de la société ?

Gabriel Kevlec : Oh là, oui… Chaque roman écrit me demande des heures et des heures de recherche, déjà parce que j’adore ça (si ça avait été une profession envisageable, j’aurais fait étudiant à vie), ensuite parce que j’aspire à la précision ultime, comme si un lecteur malicieux allait vérifier chaque fait, chaque référence, chaque date évoquée.

Pour vous donner un exemple, il y a quelques jours, j’ai passé plus de trois heures à chercher la date exacte du vernissage de la toute première exposition publique des galeries nationales du Grand Palais à Paris, en 1980, allant jusqu’à envoyer un mail désespéré aux conservateurs de ce musée et lancer un appel à l’aide aux spécialistes sur twitter. Tout ça pour… une ligne.

Une ligne sur un roman qui approchera sans doute les quelque 500 pages. Et si vous me trouvez légèrement perfectionniste, sachez qu’un de mes bêta-lecteurs, également auteur, a repris l’ensemble de son manuscrit car le sous-entendu du mot « féodalité » qu’il utilisait ne collait pas trop à l’univers créé, alors je ne suis pas le pire !

L : Tes deux personnages vivent ou ont vécu des relations conflictuelles avec leur père. Les mères, elles, sont plus tolérantes. N’est-ce pas un peu cliché, ou au contraire veux-tu montrer que l’instinct ou l’amour maternel permet de passer outre ses questions d’orientations sexuelles ?

Gabriel Kevlec : Je suppose que c’est un peu cliché, mais malheureusement ce cliché prend racine dans ce que j’ai pu observer autour de moi. Nombre de mes amis gay ont connu, ou connaissent encore, ce conflit paternel qui occupe toute la trame depuis la simple gêne jusqu’à la violence. Pourquoi ?

Je ne sais pas. Peut-être parce que, comme le père de Thomas, certains n’envisagent pas qu’un homme puisse en aimer un autre, incapables qu’ils sont de s’aimer eux-mêmes. Peut-être est-ce simplement, et dramatiquement, ce rejet pur et simple, viscéral, de ce qui nous apparaît comme inconnu, différent, et donc potentiellement dangereux. Peut-être est-ce juste de la peur mal formulée, celle de voir son enfant souffrir car, on ne peut le nier, le parcours est plus simple sur la voie de l’hétérosexualité.

Le dilemme se pose cependant pour les mères également : l’instinct maternel n’est pas un vaccin contre la haine malheureusement.

…malheureusement ce cliché prend racine dans ce que j’ai pu observer autour de moi.

L : Tu joues, dans ton dernier roman, sur la frustration de Thomas comme sur la nôtre. Comment as-tu réussi à la retransmettre si bien ? Vivais-tu toi-même une période frustrante au moment de la rédaction du roman (j’imagine celle du confinement et de l’enfermement, un peu comme Thomas finalement).

Gabriel Kevlec :Je n’avais pas conscience d’instiller une telle frustration dans cette histoire jusqu’à recevoir à une heure du matin un message d’une bêta-lectrice, à propos de la scène de la boîte Les Nuits Fauves, disant simplement « Je te déteste ! »

Mais ça ne m’étonne guère à vrai dire, je suis l’incarnation même de la frustration, depuis bien avant l’écriture de ce roman. Je veux toujours tout, tout de suite, sans retenue ni mesure. Je veux la mer et la montagne, l’eau et le ciel, Paris et Londres, son corps et son cœur, le coup de foudre et le coup de foutre, le « Je t’aime » et le « Baise-moi », l’anonymat et le succès… Je veux toujours plus, je veux le rêve éveillé, le conte de fées quotidien, l’inatteignable, l’inaccessible…

J’admire ceux qui parviennent à se contenter de ce qu’ils ont. Moi, je vieillirai alourdi d’un million de rêves inachevés.

Je travaille actuellement sur mon 4e roman.

L : Je vois dans tes trois romans une sorte de série qui reviendrait sur les blessures (blessure de rejet dans Cordons, blessures du corps, dans Le Choix de l’Oranger, et blessure de l’âme dans En Toi) et sur l’acceptation/la reconstruction. As-tu encore des choses à dire en la matière ?

Gabriel Kevlec : J’adorerais être capable de vous dire la route, de vous donner un mode d’emploi pour reconstruire sur des décombres, mais j’en suis incapable. J’ai écrit dans mes livres trois chemins possibles que je ne peux même pas arpenter moi-même. Je commence seulement à me dire qu’on n’est peut-être pas censé devenir des châteaux forts, que l’on peut rester des châteaux de sable, imparfaits, abîmés, voire même en ruines comme une toile d’Hubert Robert, et être heureux et aimé quand même.

L : Travailles-tu actuellement sur un autre livre ? Si oui, peux-tu nous en toucher deux mots ?

Gabriel Kevlec : Je travaille actuellement sur mon 4e roman. L’histoire est entière dans ma tête, il ne me reste qu’à la transcrire sur papier, et je ploie devant l’ampleur de cette tâche que je n’ai accomplie pour le moment qu’au tiers. Pour citer Frédéric Bleumalt, « le plus dur dans l’écriture, c’est d’écrire ! ».

L’histoire que cet opus va relater se déroule des années 70 jusqu’à l’époque actuelle. Il sera question d’amour, bien sûr, mais aussi de secret de famille, de la façon dont les routes toutes tracées de la vie peuvent avoir de délicieux détours, de la valeur du temps que l’on offre et de celui que l’on vole au quotidien. Difficile de parler à la place de mes personnages qui ont déjà pris vie au bout de mon stylo plume, alors je vais laisser un des narrateurs, Florian, vous confier quelques mots… :

« Certaines histoires restent gravées dans le bois ou dessinées dans la neige à tout jamais, et j’ai longtemps hésité à coucher celle-ci sur papier. Berné par l’immuabilité de ces terres, je pensais avoir encore tout le temps du monde, je me croyais immortel. Le coup de coude de la Faucheuse il y a quelques mois a eu raison de mes doutes. Mais la peur de disparaître est-elle une raison suffisante pour tout dire ? Je ne sais pas. Peut-être que ce que je vais vous raconter dans ces pages vous fera me haïr. Mais dans ce monde où l’amour est devenu une affaire de convenances, un produit de consommation comme un autre, j’ai la sensation que cette histoire, mon histoire, vaut la peine de prendre enfin la lumière.
Et de lumière, j’en suis plein.
Je suis amoureux.
[…]
J’avais quinze ans lorsque mon cœur a commencé à battre.
Il s’appelait C. On m’appelait Flo-rien. Et on sentait dans l’air le parfum des dernières neiges… »

Ce qu’on peut me souhaiter ? Beaucoup de bleu, d’amour et d’orgasmes, et l’envie de plus encore.

L : Si tu n’avais pas écrit, je pense que, peut-être, tu te serais exprimé par le biais de la peinture. Ai-je bon ? Si j’ai faux, quel autre art t’attire particulièrement ?

Gabriel Kevlec : La peinture est un art qui m’attire profondément et en même temps se dérobe inéluctablement à moi. J’aurais adoré être capable de donner corps et couleurs à mes rêves, mais je ne suis qu’un piètre gribouilleur. Alors, puisque je ne peux pas faire, j’admire. Je me remplis les yeux et le cœur, et je collectionne dans ma tête les œuvres qui sont les plus proches de ce que j’aurais aimé pouvoir créer, de ce que j’essaie de délinéer de mes mots. Si vous pouviez entrer dans ma tête, vous y arpenteriez un monde empli de Nymphéas, d’incroyables fleurs à la O’Keeffe, de paysages délirants à la Soutine et de créatures de Beksiński, avec les amants bleus de Chagall voletant sous le Ciel Étoilé…

L : Si tu ne devais en citer qu’un dans chaque catégorie :

Gabriel Kevlec : Un seul ??? Vous savez que je suis astrologiquement, physiologiquement, et moralement incapable de choisir ? Bon, j’essaie…
Un livre : La Nuit des Temps, de Barjavel. Un des rares livres que j’ai dû racheter plusieurs fois parce qu’à force de lectures les pages se détachaient.
Un disque : Dummy, de Portishead, l’album de la mélancolie et de l’intranquillité…
Un film : V pour Vendetta, une ode à la liberté.
Un artiste ou une œuvre d’art : La Nuit Étoilée, de Van Gogh, évidemment…

L : Que peut-on te souhaiter de beau dans les jours/semaines/mois à venir ?

Gabriel Kevlec : On peut me souhaiter… le calme et la force de lutter contre le gris de Sœur Mélancolie qui s’incruste trop souvent. La chance de pouvoir le revoir. La force des sacrifices que nécessite l’écriture. La douceur des étreintes amicales, celles qui consolent et qui soignent, celles qui te tiennent debout dans les tempêtes. Mais surtout… qu’en plein cœur de ces nuits blanches peuplées de pensées fuligineuses, je me rappelle son rire et son regard.
Ce qu’on peut me souhaiter ? Beaucoup de bleu, d’amour et d’orgasmes, et l’envie de plus encore.
Toujours plus.

L : Merci pour tout !

LE mot Bleu de la fin.

Le Mot de la Fin On m’offre carte blanche pour conclure, mais je n’aime pas les au revoir… Une fin ? Mais voyons, quelle fin ? Il n’y a pas de fin pour ceux qui s’aiment… Alors plutôt qu’un mot, et même si je ne suis pas médecin, que ma seule qualification est d’être empêtré dans les mêmes aléas que vous, je vous ferai une prescription. Nourrissez-vous d’amour, d’art, de musique, remplissez-vous le corps et l’âme, chassez le vide en vous autorisant à pleurer devant une toile qui vous transporte, à toucher ce corps qui vous frissonne, à dire Je t’aime même si ce sont les tout derniers mots échangés. Et encrez dans votre mémoire, dans un livre ou à même votre peau ce qui vous a donné l’impression d’être au monde, même si c’est sans espoir, sans avenir, même si ça fait un mal de chien. Le mot de la fin ? Je t’aime, éperdument, follement, déraisonnablement, infrangiblement. Tu me prends dans tes bras ?

Infos

Première partie de l’interview; deuxième partie de l’interview

Relire le portrait subjectif de Gabriel Kevlec

Découvrir sa plume avec sa nouvelle Sou mi

Lire la chronique de Cordons, celle de Le choix de l’oranger et celle de En toi

Site officiel de Gabriel Kevlec

Acheter Cordons

Acquérir Le choix de l’oranger

Commander En toi

Vous pouvez aussi le retrouver sur les réseaux sociaux.

soutenir litzic

Pour faire en sorte que litzic reste gratuit et puisse continuer à soutenir la culture

Nous retrouver sur FB, instagram, twitter

Ajoutez un commentaire