[ ROMAN ] David FONSECA, Faillir, punchlines et uppercuts

Faillir, roman de David Fonseca, aux éditions L’Orpailleur.

Nous avons commencé l’exploration du travail de notre auteur du mois d’octobre, David Fonseca, grâce à Faillir, son roman paru chez L’Orpailleur. Ce roman est un dialogue en forme de monologue entre un psychiatre et son patient, une guerre des mots, un flirt avec la folie, non pas celle du patient mais bel et bien la nôtre, celle qui nous fait nous balader d’une extrémité à l’autre du spectre intime du « malade ».

La forme.

Dans Faillir, nous sommes spectateurs, en quelque sorte, d’une séance de psychiatrie. Un homme s’y exprime, face à son psychiatre. Nous ne savons rien de lui, rien de ses peurs, de ses potentielles dérives. Nous savons juste que cet homme est lettré, instruit, que son passé s’inscrit dans celui d’une banlieue, que le rap et la course à pied sont ses passe-temps. Du moins, nous arrêtons-nous sur ces deux premiers éléments, en entrée de ce livre multipliant les informations à un rythme éfréné.

Le ton est âpre, plutôt virulent. Il y a un mépris évident du patient envers le médecin, une résistance pensons-nous à se livrer à ce confesseur des temps modernes. Le patient est sur ses gardes, sur la défensive, surprend le médecin par ses citations, harangue ce dernier en lui disant « ah ça vous étonne que je cite…. » comme pour mieux le provoquer.

Il est d’ailleurs souvent question de provocation dans ce livre. Les réponses du psy ne sont jamais exprimées, elles sont juste induites par les interjections du patient qui y décrit les réactions physiques du médecin, ses mimiques. L’acuité du narrateur, son intelligence, ont tendance à nous le rendre attirant, un peu comme l’outsider qui en viendrait à battre l’éternel premier.

Une lente bascule.

Au début du roman, nous considérons que cet homme semble tout à fait normal. Un homme certes faillible, nous le sentons en permanence sur la brèche, en équilibre précaire, plein d’une sourde tension, toujours à se justifier (sans que rien ne laisse à penser qu’il le doive, si ce n’est toutefois sa présence dans ce cabinet). Puis lentement la bascule survient. Progressivement, le patient évoque un crime, et bêtement nous pensons à ce mot comme un synonyme, une image, une métaphore, non pas d’un acte physique violent. Nous l’imaginons semblable à celui plus cérébrale d’un opposant à un mode de pensée unique. Un peu comme si ce patient était un homme ayant contredit un régime politique et se retrouvant sur le divan en vue de subir un lavage de cerveau. Donc un criminel de la pensée.

Pas un instant, nous pensons à un crime corporel. Pas un instant nous ne pensons à la folie. Et pourtant, la bascule s’effectue. De victime, l’homme passe au statu de bourreau. Le malaise s’installe, nous désarçonne, nous entraîne dans un univers de plus en plus tendu, à vif. L’équilibre est rompu, la chute inévitable, chute dans les mécanismes de la pensée, d’une folie qui n’en est finalement pas une, ou au contraire l’est-elle de façon plus féroce tant le paradoxe entre l’homme cultivé et le meurtrier est flagrant. Pourtant, nous doutons, nous essayons sans arrêt de voir la lumière à travers les ténèbres nébuleuses de cet homme à la psyché défaillante.

Un écriture terrassante.

Tout ceci est mis en place par une écriture puissante. En effet David Fonseca, dans Faillir, développe son sujet sans se hâter. Sans qu’il s’agisse à proprement parlé de description (le régime du monologue possède un côté plus vivant que simplement énumératif), il nous entraîne à sa suite dans le quotidien du narrateur. La progression est lente, part de la petite enfance pour arriver aux alentour de la quarantaine. La narration suit un itinéraire chronologique balisé, ne sort jamais du cadre si ce n’est en envoyant des piques au médecin.

La progression prend le temps de s’arrêter sur des moments clé de l’existence du patient. La plume de David Fonseca parvient à appuyer là où ça fait mal, c’est-dire sur des éléments banals du quotidien qui gagnent en horreur (toute aussi banale, quotidienne, familiale). Elle reste cependant assez détachée pour que nous n’entrions pas totalement en empathie avec cet homme. Parce que la tension palpable qui règne dès le début ne nous quitte jamais, nous place en situation de proie potentielle, donc sur le qui-vive.

Grand bien nous prend, l’apprenons-nous, une fois la bascule évoquée plus haut survenue. Le « portrait » du patient prend une forme inédite, modifié, comme si un morphing s’opérait dans l’écriture même de l’auteur et du portrait du narrateur qu’il esquisse. Nous l’exprimerions de la façon suivante : l’homme, qui paraissait si fort, presque arrogant (et auquel on pouvait s’identifier car il remettait en cause l’exercice du psychiatre, consistant à « encadrer » le patient dans certaines cases des troubles mentaux, cases émanant de généralités, de jurisprudences psy en quelque sorte, en écartant volontairement le côté particulier du cas), devient progressivement un être faible qui, en disant ne pas vouloir trouver de justification à ses actes, devient plaintif, presque geignard.

Subtilité.

Ici, tout est en nuances. Le champ lexical évolue de façon quasiment imperceptible. Ce qui décrivait un être en puissance glisse petit à petit. On passe de proie à prédateur avide de réponses tandis que le narrateur subit le traitement inverse. C’est superbement mené, avec une infinie précision, de l’ordre du chirurgien de l’âme qui petit à petit saisit le mécanisme interne du malade. Néanmoins, David Fonseca parvient à nous laisser dans un état d’attente certain, sur les nerfs, près à jaillir dans la moindre brèche qui s’ouvrirait devant nous pour pardonner (au patient ou au psychiatre) son rôle dans cette histoire.

Au final, Faillir nous dresse un état des lieux de la psyché humaine, entre fatalisme, résignation et libre arbitre. La folie règne aussi, consciente ou inconsciente, explicable ou non, douloureuse ou au contraire nous laissant dans un état d’indifférence. Le pardon ? Y en a-t-il vraiment un ? Rien n’est moins sûr. En tout cas, à la fin du roman, notre avis s’est imposé. Mais nous le gardons pour nous, évidemment, pour que vous puissiez vous faire le votre sans interférences.

david fonseca faillir

Relire le portrait o-su-bjectif de David Fonseca

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