JÉRÉMIE FERREIRA-MARTINS, Le schisme des douze, prologue partie 2.

jérémie ferreira-martins prologue partie 2 le schisme des douzeDécouvrez (avant-première) la deuxième partie du prologue de la saga de notre auteur du mois.

Nous vous avions dévoilé la première partie du prologue du roman fantasy de notre auteur du mois Jérémie Ferreira-Martins, nous vous dévoilons en exclusivité prologue partie 2 sans tarder.

Prologue Partie 2 :

L’odeur douceâtre du clafoutis mêlée à celle du café cessa soudain de flotter dans l’air. Par réflexe, Bodana tenta de dissiper ses peurs en serrant fort son astralithe contre son cœur. Pour la première fois de sa vie, le contact froid et sans aspérité de la pierre lui inspirait plus d’angoisse que de réconfort. Ama ne s’en aperçut pas. Elle avait les yeux fixés sur l’immobilité de son père. Époussetant nerveusement sa chemise comme pour en enlever les taches, il se leva enfin vers la porte. Celle-ci reçut une nouvelle volée de coups tandis que la même voix répétait les deux mêmes mots. Anton se retrouva face à trois soldats portant des uniformes bleu pâle. Comme tous les Inquisiteurs, ils avaient le crâne rasé. Le premier jeta un seul œil à l’intérieur du salon, car il lui manquait l’autre. Elle, car il s’agissait d’une femme, arborait une large cicatrice verticale et ancienne sur l’œil gauche, tandis que le droit brillait d’une lueur mauvaise. Les deux soldats qui la suivaient étaient des hommes aux mâchoires carrées et au regard bleu perçant. Ama remarqua qu’un des deux avait un bec de lièvre. Leurs crânes lisses reflétaient l’éclairage du salon. Pointant leurs fusils contre une éventuelle menace, ils n’avaient que de simples galons sur les épaules, au contraire de la femme borgne dont l’uniforme était constellé de symboles. De son œil unique, elle intimidait les trois membres de la famille Berry. Au contraire d’Ama, elle était née pour être militaire : sa gestuelle en témoignait. Après avoir procédé à un rapide examen du salon, elle refit usage de sa voix forte.
— Major Yvo, services de l’Inquisition, accompagnée des soldats Zorim et Yanov. Nous venons chercher Ama Berry afin de l’incorporer dans les rangs du Signe du Taureau. J’imagine que c’est vous.
— Ou… oui, hésita la jeune femme, impressionnée.
— Veuillez réunir des affaires pour quelques jours et nous suivre. C’est une destinée enviable qui s’offre à vous. Vous pouvez être fière de ce que l’on vous donnera l’occasion d’accomplir, ajouta-t-elle sur un ton martial.
— Comment ça plusieurs jours ? questionna Ama, tandis que son cerveau essayait de chasser de nouvelles visions de sa sœur jumelle.
— C’est la procédure. Nous ignorons dans quel camp d’entraînement vous serez formée. Une fois sur place, vous serez prise en charge par l’armée afin de défendre l’équilibre des Signes en exploitant toutes vos aptitudes.
— Mais je n’ai aucune aptitude militaire ! Ma destinée est de reprendre l’activité de mon père, qui est ingénieur. Je suis une Bélier et je le resterai ! s’opposa Ama.
— S’élever contre la Volonté des Signes est passible de la peine de mort immédiate, répondit Yvo d’une voix mécanique. Ma fonction de Major m’autorise à exécuter cette sanction si votre attitude m’y pousse.

Le ton du Major ne souffrait aucune contestation. Reprenant son astralithe dans sa main, Bodana annonça d’une voix morne qu’elle allait préparer le paquetage de sa fille. Anton posa une main sur l’épaule d’Ama en signe d’apaisement. Elle la retira en lui lançant un regard assez menaçant pour le faire reculer. Alors que sa mère était déjà partie dans sa chambre réunir des vêtements, la jeune femme s’apprêtait à rappeler à son père sa lâcheté passée mais le Major l’en empêcha.
— Savez-vous qui sont les Écartés, Mademoiselle Berry ?
Ama, surprise, n’eut pas le temps de répondre.
— Ce terme désigne les personnes qui refusent la Volonté des Douze. Il en existe diverses formes : certains cherchent à lui échapper, d’autres usent de pratiques diverses qu’ils croient efficaces pour obtenir la destinée de leur choix. La semaine dernière, nous avons arrêté des trafiquants de faux astralithes. Leurs pierres étaient d’assez bonne qualité, bordeaux avec le symbole du Signe parfaitement reproduit. Ils les revendaient à des Lion qui souhaitaient échapper à leur service dans la police. Ces imbéciles comptaient se faire passer pour des Vierge sans aucune connaissance en médecine.
Toujours figée, Ama ne sut que répondre.

— Il y a de cela deux mois, une jeune femme disposant d’aptitudes magiques, car elle est affiliée au Signe du Cancer, s’en est servie pour empêcher sa voisine d’exploiter les dons commerciaux conférés par son Signe des Poissons. Certains Cancer disposent de magies très puissantes, mais ce n’était pas le cas de celle-ci, elle fut donc découverte. Connaissez-vous le point commun entre ces personnes, Mademoiselle Ama Berry ?
— Non, je… je l’ignore, répondit-elle d’une voix soumise.
— Eh bien elles ont été exécutées de ma main, Mademoiselle Ama Berry. Nos informations nous ont indiqué que vos parents avaient, dans le passé, fait face au syndrome des Gémeaux. Vous ne voulez tout de même pas qu’ils perdent à nouveau un enfant, n’est-ce pas ?
— Que l’on m’assassine ici même ou qu’on m’enrôle dans votre armée, ils me perdront quoi qu’il arrive. Autant qu’on en finisse rapidement, déclara Ama d’un air de défi. Vous êtes au courant de ce que mes parents ont fait, je viens seulement de l’apprendre.
— Ama, je t’en prie. Ne fais pas de bêtise, dit Anton d’une voix chevrotante. Tu nous en veux et c’est ton droit. Tu ne peux pas savoir…
— Non je ne peux pas, l’interrompit sa fille. Tu sais à quoi je pense depuis que vous m’avez dit ça ? Je me dis que tous vos cadeaux et vos petites attentions pour moi étaient souillées de culpabilité. Je ne peux pas me plaindre, j’ai eu une enfance heureuse. Mais quelle était votre part de sincérité ? Comment veux-tu que je vous fasse à nouveau confiance après ça ?
— Nous aurons le temps d’en discuter, mais seulement si tu te montres raisonnable. Ce que tu ressens aujourd’hui, c’est notre quotidien depuis dix-neuf ans, supplia Anton.
— Mademoiselle Ama Berry, écoutez votre père et accomplissez votre destinée, ordonna le Major Yvo d’une voix adoucie. L’équilibre des Douze est trop fragile pour qu’on le perturbe. Beaucoup s’y emploient, et vous valez bien mieux qu’eux. Les Signes vous ont élue. Il vous suffit de nous suivre et de vous soumettre à l’entraînement dispensé chez les Taureau.

La confusion exorbitait les grands yeux verts d’Ama. Elle vit sa mère revenir dans le salon avec un bagage bedonnant. Comme toujours, elle souhaitait que sa fille ne manque de rien. Non, elle ne pouvait pas lui faire ça, pas à sa mère.
— Ma chérie, je t’en supplie, déclara Bodana. Te voir appelée est un honneur, même si cela t’éloignera de nous. Tu dois suivre ces soldats, ils t’emmèneront vers ton avenir. Ta réussite sera une grande fierté pour ton père et moi. Cela soulagera nos cœurs.
— Tu ne cherches qu’à à apaiser ta conscience, c’est ça ? Tu n’es qu’une égoïste ! cracha sa fille.
— Arrêtez ça !

Pour la deuxième fois, le Major réduisit au silence la famille Berry en ne prononçant que deux mots. Ama le regarda avec l’air d’un enfant qui vient de casser une assiette. Bodana restait muette, mais les yeux courroucés qu’elle lançait à sa fille parlaient pour elle. Anton eut un mouvement de recul quand les deux soldats du Major Yvo braquèrent leurs armes sur eux.
— Bon, fini de jouer. Mon astralithe est d’un genre particulier, car il est issu de la magie des Cancer. Lorsqu’un suspect est identifié, il se focalise sur lui, et brille de plus en plus fort à mesure qu’on s’en approche.

Le Major sortit son astralithe de la poche gauche de son uniforme : son œil valide était illuminé par la puissante lueur blanche qui en émanait.
— Regarde ce scintillement, Ama. Depuis que ton nom a été invoqué à la pierre, elle luit comme jamais elle ne l’a fait avant. Cela ne peut signifier qu’une chose : que ton potentiel est précieux aux yeux du Signe du Taureau.
— Vous… croyez ? bredouilla Ama.
— Oui. Sache que la magie de la pierre a d’autres facettes. Elle a le pouvoir d’arrêter net le cœur du suspect en sa présence. C’est de cette façon que j’ai exécuté les Écartés dont je t’ai parlé. En arriver là serait un immense gâchis, mais j’y serai forcée si tu persistes.
Derrière ses cheveux rouges, Ama avait les joues creusées et le sillon de ses larmes y reflétait la lueur de l’astralithe. Elle s’aperçut qu’elle serrait le sien dans son poing gauche quand son regard se posa sur la petite pelle qu’elle avait fabriquée, toujours suspendue au mur face à la cheminée. Son sang ne fit qu’un tour.
— Je suis une Bélier, et je le resterai, affirma-t-elle. Personne ne me fera changer d’avis, car je suis née pour être ingénieure.
Son père se serait gonflé de fierté en entendant sa fille prononcer ces paroles. Mais c’était une peur sourde qui le gagnait. Celle de perdre une enfant pour la seconde fois. Le Major parut regretter sincèrement cette décision.
— Vous ne me laissez pas le choix. Les Douze y perdront, tout comme vos parents. Et que dire de vous ?
— Ce qu’ils ont fait est de la haute trahison. Tolérez-vous la haute trahison, Major ? rétorqua Ama d’une voix insolente.
— Rien à voir. Vos parents n’ont fait qu’appliquer le règlement, sans quoi ils vous auraient perdue vous aussi. Mettez-vous à leur place.
— Non, ça jamais. Les Signes ne déterminent pas notre vie, c’est à nous de la construire.
— Ces paroles relèvent de l’opposition à la Volonté des Douze. Je vais compter jusqu’à trois, après quoi mon astralithe mettra un terme aux battements de votre cœur. Un !

Ama ferma les yeux pour ne pas croiser le regard de ses parents. Soudain, elle se retrouva dans l’atelier de son père, avec le grand établi de bois et la forge près de l’entrée. À l’aide d’un petit couteau pointu, elle élaguait une longue branche qui allait devenir une pelle solide. Installée sur son fauteuil de chêne, elle faisait des pauses de temps à autre pour observer son père qui, dans son épais tablier de cuir, actionnait le soufflet de la forge. À chaque mouvement, des perles de sueur se détachaient de son front. L’odeur âcre du métal brûlant piquait le nez. La jeune fille qui lui ressemblait portait également un fichu noirci. Elle toussa.
— Ama, comment t’arrives à t’habituer à cette odeur ?
Cessant son mouvement de va-et-vient, Anton Berry contemplait ses deux fillettes, irradiant de bonheur de les voir apprendre son métier.

— Deux !
Ama ne rouvrit pas les yeux. Des murs en bois chassèrent les rougeoiements de la forge : elle se retrouva dans une grange.
Bodana avait engoncé sa silhouette blonde dans une superbe tenue bleu et argent. Ses fines chaussures avaient disparu sous l’épaisse couche de paille recouvrant le sol. Une maman chien contemplait ses quatre bébés, tandis qu’un cinquième dormait paisiblement dans le coin opposé. Tous avaient une robe noir et blanc, mais aucun n’était identique aux autres. L’un d’eux vint spontanément lécher les doigts d’Ama, et un de ses frères fit de même avec l’autre fillette. Celle-ci était vêtue d’un pardessus noir comportant les mêmes motifs que celui de sa sœur, qui en portait un gris.
— Oh, il est trop mignon ! Maman, on le prend s’il te plaît ! J’ai envie de lui faire plein de câlins ! babilla Ama.
— Celui-là aussi, je l’adore ! renchérit l’autre fillette. On peut le prendre, dis Maman ? S’il te plaît ! S’il te plaît !
— On avait dit un seul chien pour l’anniversaire de votre père. Deux, ça fera trop. Mais c’est si dur de choisir entre ces deux peluches ! répondit Bodana sur un ton amusé.

Ama rouvrit un œil un bref instant, durant lequel elle aperçut celui du Major Yvo. En le refermant, elle se vit un peu plus grande, exactement à la même place dans le salon, enlaçant un grand chien noir et blanc. À deux mètres, sa sœur jumelle en caressait un autre.
— Ce ne sont pas mes parents qui m’ont pris ma sœur, ce sont vos Signes ! Ils m’ont empêchée de vivre ces moments-là ! hurla Ama.
— Trois !

Anton Berry serra sa femme contre lui. Ils avaient fondé tant d’espoirs en leur fille. Celle-ci se concentra sur l’œil manquant du Major, et le vit basculer doucement en arrière. Elle était en train de défaillir, et se fichait de ne jamais se relever de cette ultime chute. Mais ses oreilles l’informèrent bientôt qu’elle avait conservé son équilibre. Les soldats accompagnant le Major se jetèrent derrière elle pour l’empêcher de s’écrouler. À son poids lorsqu’ils la rattrapèrent, tous deux comprirent qu’elle avait cessé de lutter contre la gravité. Ama resta les bras ballants, heurtée par une nouvelle vague de confusion. L’œil unique de Yvo la fixait.
Anton vint s’agenouiller auprès du Major et lui prit la main. Les deux soldats ne cherchèrent pas à l’en empêcher.
— Tu as donc survécu, ma fille. C’est toi qui avais les capacités militaires dans la famille. Ce n’est pas un hasard si tu as gravi si vite les échelons de l’Inquisition.
Bodana s’accroupit auprès de lui. L’œil du Major s’était couvert d’un voile gris.
— Ma pauvre enfant, tu nous as tant manqué. Les Douze sont bien cruels de te ramener à nous pour t’enlever à nouveau. Toi et ta sœur êtes nées à dix minutes d’écart : elle juste avant minuit le dernier jour du Bélier, et toi peu après. Tu es née sous le signe du Taureau et tu as suivi ton propre chemin. Quel gâchis…

Ama avait le regard perdu dans les limbes. Elle ne prêta attention ni à ses parents serrant sa sœur retrouvée puis reperdue, ni à l’un des soldats parti chercher du secours. Sa sœur gisait là, dans le salon familial, exactement à l’endroit où elle caressait son chien dans sa vision. Sans s’en rendre compte, Ama desserra le poing, laissant échapper son astralithe. La pierre rendit un son feutré lorsqu’elle heurta le sol puis roula pour s’arrêter contre le pied du Major, désormais inerte. L’esprit embrumé d’Ama ne remarqua pas qu’elle était redevenue verte. Comme elle le souhaitait, elle resterait donc une Bélier. Ce n’était pas elle, mais sa sœur que le Signe du Taureau avait choisie.
Ses parents sanglotant à ses pieds, la jeune femme aux cheveux rouges marmonna entre ses dents.
— Ma sœur, je fais le serment de te venger en renversant leur putain d’Harmonie !

Ce texte “Le schisme des douze (prologue, partie 1)” est publiée avec l’aimable autorisation de Jérémie Ferreira-Martins.
©Jérémie Ferreira-Martins – tous droits réservés, reproduction interdite.

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Chronique Rédemption , chronique d’Elven et chronique de Trajectoires croisées

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