JÉRÉMIE FERREIRA-MARTINS, Trajectoires croisées.

trajectoires croiséesRoman auto-édité.

La Grande Guerre, celle de 39-45. Deux générations se suivent, vivent les mêmes tourments, mais pas de la même façon. André Bontemps, son fils Michel, Paul et Jean Charpentier, respectivement ami du père et du fils, eux-même père et fils, Hélène, Odette, des personnages intimement liés par des histoires fortes, bouleversantes, de celles qui laissent des traces profondes. Trajectoires croisées, c’est un peu, beaucoup, de ces histoires, c’est aussi le poids du passé et celui des âmes, de la transmission également.

Dans ce troisième roman, Jérémie Ferreira-Martins délaisse quelque peu le domaine du fantastique pour nous emmener au cœur d’événements historiques tragiques, dans les tranchés ou sous l’occupation allemande, et nous éblouis par une intrigue à la fois historique et forte en sens, qui va jusqu’à ces ultimes retranchements.

Narration.

Dans une première partie, nous suivons André Bontemps, poilu coincé dans une tranchée en Belgique. La guerre est longue, il n’a pas vu sa femme Hélène et son fils Michel depuis longtemps, mais il leur écrit, en cachette, dans son petit carnet qu’il tient, presque par miracle, en dehors de la boue et des intempéries. Il leur raconte la vie de soldat, au plus près des combats, et son amitié avec Paul, un presque voisin puisqu’il vient d’un village situé à quelques kilomètres du leur. Avec précision, il évoque le quotidien fait d’assauts souvent infructueux, de tirs de barrage, d’attaques au gaz, des rations faméliques, de cette impression que jamais la guerre ne s’achèvera.

Cette première partie est écrite à la manière d’un journal intime dans lequel tout est consigné, y compris la traîtrise d’un soldat, un « rouge », qui cherche à miner le moral des troupes et qu’André devra confondre, avec des conséquences qui le poursuivront longtemps. Le langage est fort, tant dans la justesse des émotions/sensations éprouvées par le narrateur que par le choix du vocabulaire. Aucun poilu ne se retournerait dans sa tombe, l’auteur est en totale symbiose avec l’époque et nous immerge concrètement entre deux murs de terre, juste sous la mitraille allemande.

Collaboration ?

Dans la deuxième partie, nous sommes en France, en peine occupation allemande, et nous suivons Michel, el fils d’André, travaillant pour l’ennemi, mais qui n’est pas pour autant collabo. Pas plus qu’il n’est, dans un premier temps, résistant. La narration est plus classique mais l’immersion est une nouvelle fois impressionnante puisqu’elle restitue à la fois l’aspect moral face à une situation complexe (qu’est-ce-que la résistance ou la collaboration ? Quel sentiment éprouve-t-on quand on travaille pour l’ennemi alors que notre père, un peu plus de 20 ans plus tôt?) et les aspects plus en rapport avec les conséquences pour la famille de rejoindre un mouvement de résistance.

Il est donc ici question de choix difficiles à assumer, de place à trouver, de combats à mener, contre l’ennemi, parfois contre soi-même également, mais aussi de la complexité à faire le bien sans faire le mal. Il est aussi question de transmission (qui est le fil conducteur de ce roman) entre les générations et cela nous interroge aussi fortement sur les éléments qui peuvent justement nous mener à choisir un camp plutôt que l’autre. L’amour y est très présent, vibrant, mais il peut aussi s’avérer un véritable traquenard. D’ailleurs, la troisième partie du roman, se déroulant de nos jours, est en quelque sorte une réponse à ces questions, ou du moins, un peu comme en photo, un révélateur de ce qui était invisible et incompréhensible.

Une touche de fantastique.

Comme dans ses précédents livres, Trajectoires croisées ne pourrait être complet sans une petite touche de fantastique. Une fois encore, elle peut être prise très premier degré ou au second degré. Tout dépend de votre point de vue. Le cadre est bien délimité et, si ce n’est la troisième partie qui est purement fantastique, les deux précédentes pourraient presque être totalement rationnelles. Nous aimons cette finesse chez Jérémie Ferreira-Martins, celle de ne jamais imposer de force l’irréel, mais au contraire de le suggérer.

Par exemple, dans les tranchées, des visions peuvent être occasionnées par le manque de nourriture, de soins et un imaginaire trop présent. Pendant la période de l’occupation allemande, elles peuvent être le résultat d’un stress intense et d’une dualité entre le devoir et le faire. Bref, comme dans Rédemption ou Elven, libre à nous d’y mettre du rationnel ou pas. Honnêtement, nous piochons un peu dans les deux, et nous aimons être ballotté de la sorte, ni dans un univers totalement irrationnel, ni dans un autre totalement inventé.

Captivant.

Quoi qu’il en soit, Trajectoires croisées, plus abouti, ou en tout cas plus complexe dans sa narration que les précédents romans de l’auteur, possède ce même attrait, cette même lumière qui fait que nous ne lâchons plus le livre après l’avoir commencé. La langue est habile, évolue en fonction des situations, pointe une certaine nervosité quand il faut faire ressurgir le suspense, s’apaise dans les moments les plus doux (retrouvailles familiales par exemple), pose des questions sans toutefois imposer des réponses (c’est de notre ressort). Le talent de conteur de Jérémie Ferreira-Martins est indéniable.

Nous ne savons pas si notre auteur du mois en a tout à fait fini avec ces thèmes de prédilection (tout ce qui tourne autour de la mort et de la transmission entre générations), mais ces trois romans vous donnent un aperçu des qualités d’écriture de l’auteur. Quant à sa qualité de conteur, elle n’est plus à démontrer puisque chacun des trois livres nous porte dans un univers fort, nuancé, contrasté, mais toujours magnétique.

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