JÉRÉMIE FERREIRA-MARTINS, Schisme des douze (prologue partie 1)

jérémie ferreira-martins le schisme des douze prologue partie 1Découvrez (avant-première) l’introduction à la saga de notre auteur du mois.

Afin de vous faire une idée de la teneur de la plume de Jérémie Ferreira-Martins, celui-ci nous a offert l’introduction à sa saga, Le schisme des douze. Découvrez le prologue de son roman fantasy Le schisme des douze.

Prologue, partie 1

Prologue

Partie 1 :

Le petit objet ovale renvoya une pâle lueur bleue en roulant sur la table, jusqu’à cogner doucement sur le rebord de l’assiette d’Anton. Il révéla alors son symbole minimaliste : une masse ronde surmontée de cornes. Le visage de l’homme était grave lorsqu’il fixa sa fille dans les yeux en lui rendant sa pierre oblongue. Ama se saisit à contrecœur de la gemme qui causait son malheur.

Le salon était vaste et richement décoré de boiseries. Sur le mur principal trônait une cheminée dominant la pièce, la rythmant de ses crépitements réguliers. La poutre de chêne ornant l’âtre contrastait avec la vieille pierre ocre dont étaient constitués les murs. Les meubles massifs possédaient une surface rugueuse. Il étaient saupoudrés de petits objets artisanaux : des figurines taillées dans du bois, de petits vases bigarrés ou encore des sculptures d’osier. Trois cadres étaient disposés à côté du vaisselier : un diplôme d’ingénieur, le premier prix d’un concours d’inventions et une peinture représentant des mariés. Il flottait dans l’air des effluves entêtants de bœuf mariné et de fruit cuit.

Sur le mur opposé on avait accroché des outils agricoles, tels qu’une bêche aux dents courbées, une longue faux et une pioche profilée.
Sur la poutre de la cheminée siégeait un large disque de la taille d’une roue de charrette, finement ciselé dans un métal couleur émeraude et dont la surface était divisée en douze parties égales. Chacune d’elle comportait un petit symbole rappelant celui de la pierre d’Ama, associé à une couleur particulière. Une des sections irradiait la même lueur bleutée. On avait minutieusement disposé le disque ouvragé au centre de la poutre, comme si la pièce entière avait été bâtie autour de lui. De son perchoir, il toisait le visiteur qui se présentait à la porte d’entrée, sa belle couleur verte refusant de se teinter de la lueur orangée du feu.

Bodana Berry avait les traits tirés sous ses boucles blondes. Son nez épaté était surplombé par deux grands yeux marron où se reflétait le feu de la cheminée. Ce regard enflammé se planta dans celui de sa fille de dix-neuf ans. La jeune femme venait de replacer une mèche de ses cheveux rouges derrière son oreille. L’inquiétude habitait ses grands yeux verts.
— Ma fille, tu sais bien que nos vies à tous sont décidées par les Douze. Ce sont eux qui ont fait de nous des Bélier afin qu’on devienne de grands ingénieurs. Ce sont eux qui ont décidé que ces outils permettraient à des milliers de gens d’avoir de meilleures récoltes et être à l’abri de la famine. Cela fait neuf cents ans que les Douze Signes nous gouvernent.
— J’ai été élevée sous le signe du Bélier tout comme vous. Je n’ai aucune envie d’en changer ! dit Ama d’un ton irrité et résigné.
— Ma chérie, on ne peut pas aller contre la Volonté des Douze… répondit mollement son père. Si ton astralithe est passé du vert au bleu, c’est que ton destin doit se construire chez les Taureau.
— Depuis toujours je suis destinée à te succéder en tant qu’ingénieur ! Les Taureau sont des militaires qui ne savent qu’obéir aux ordres ! Chez les Berry, nous sommes des Bélier, des créateurs : nos murs en attestent !

Derrière le petit homme rondelet à la calvitie avancée se trouvaient ses créations. Tous ces outils n’étaient pas de lui : la petite pelle à droite était née des mains d’Ama. Anton Berry adorait ces journées passées avec sa fille dans son atelier, à forger du fer ou scier du bois. Depuis toute petite, elle avait démontré d’impressionnantes capacités créatives, dignes d’une vraie Bélier. Tout le monde possédait une petite pierre ovale nommée astralithe qui le reliait à la Volonté des Signes, et celle d’Ama avait choisi une autre voie. Elle la sortit machinalement de sa poche en espérant y voir la teinte verte qui la rattacherait de nouveau aux Bélier. Mais elle restait désespérément bleue.

Anton posa les yeux sur ses créations au mur. Il était rare qu’une personne soit appelée à changer de Signe, alors pourquoi sa fille ? On ne pouvait s’élever contre la Volonté des Douze. Sa femme Bodana ressentait la même tristesse, tout en serrant son astralithe dans sa main. Le bijou ovoïde teintait son poing fermé d’un léger vert. Sa surface lisse l’avait souvent réconfortée au cours de sa vie passée à prier les Douze.
— Il y a neuf cents ans, l’Humanité a dû changer radicalement pour survivre. Et depuis, grâce au Traité des Douze Fondateurs, l’Harmonie règne.
— Maman, je sais tout ça, rétorqua Ama.
— Oui, mais ce que tu ignores, c’est que ce choix était le bon. On a séparé les humains en groupes lors du Grand Schisme des Douze. Pour garantir l’impartialité de la division et des groupes de taille équivalente, le critère retenu a été le signe zodiacal. Chaque chef de clan, devenu un des Douze Fondateurs, a fait don de ses talents à son peuple. comme l’ingénierie pour nous ou la médecine chez les Vierge. S’opposer à la Volonté des Douze, c’est mettre en péril l’équilibre qu’a construit leur serment, faire passer ses propres intérêts avant celui de millions d’autres.
— Mais pourquoi se plier naïvement à ce que les astres décident pour nous ? répondit Ama d’un air de défi.
— Parce que les constellations, jeune fille, nous accordent l’Harmonie. Et que nous leur devons obéissance en retour. Quiconque s’oppose à leur Volonté est puni par l’Inquisition, la police qui fait appliquer la loi du Clergé des Douze.
— Ces fanatiques qui exécutent les gens ? cracha Ama en secouant ses cheveux rouges.
— Ils sont la loi, et on ne s’oppose pas à la Loi des Douze, répondit sa mère sur un ton péremptoire. L’Inquisition recrute souvent des gens seuls, pour éviter que leurs sentiments ne les empêchent d’accomplir leur tâche. Ils représentent l’impartialité, la même qui a conduit nos ancêtres à se séparer en douze peuples, et font appliquer la loi pour protéger ce précieux équilibre.

Ama fixait son assiette où l’attendait un reste de clafoutis. L’odeur des cerises était entêtante et, bien que leur goût acidulé persistât sur sa langue, elle ne les finirait pas. Son père Anton, dont la manche de chemise était maculée de jus violacé, restait prostré. Observant ces taches, il tentait de cacher sa détresse. Cela faisait deux jours que l’astralithe de leur fille avait changé de couleur pour virer au bleu Taureau. Bientôt les Inquisiteurs viendraient la retirer de l’atelier pour la conduire à sa destinée militaire. Leur établi où des centaines d’arbres avaient été débités, leur forge où naissaient lames et fourches ne seraient bientôt plus que son établi et sa forge. Il se retrouverait comme orphelin, d’autant qu’Ama était fille unique. À qui transmettrait-il ses talents ?

Bodana luttait pour contenir ses sanglots. Elle avait trois fois tenté de prendre la parole, pour autant d’échecs, mais se lança enfin.
— Jamais ma foi n’avait été à ce point éprouvée. Ma pauvre fille, tu vas devoir nous quitter car les Douze ont décidé que ton avenir n’était pas chez les Bélier. Comme je regrette…
Mais Maman, pourquoi tu dis ça ?
— C’est trop injuste que tu doives payer pour notre faute ! balbutia-t-elle d’une voix implorante.
— Mais… explique-toi ! s’inquiéta Ama en se levant de sa chaise.
Les yeux émeraude de la jeune femme allaient de son père à sa mère. L’un conservait son air absent en contemplant ses traces violacées tandis que l’autre la fixait, immobile. Son visage adopta la même teinte cramoisie que ses cheveux.

— Cela remonte à ta naissance, entama sa mère. Nous… C’est tellement dur… Ta naissance n’a pas été fêtée comme elle aurait dû l’être. Tu n’as jamais su que… que tu avais eu une sœur jumelle.
— Hein ?
— Vous étiez deux. Nous… nous avons fait ce que nous devions, bredouilla Bodana, tandis que son mari restait muré dans le silence.
— Mais… mais… où est-elle ? Pourquoi… murmura Ama.
— Nous avons fait ce que nous devions. Depuis les Gémeaux…
— Mais putain, explique-toi ! l’interrompit sa fille. Qu’est-ce que vous…
— La Loi des Douze oblige à ne conserver qu’un seul enfant, toujours le premier né. Le Signe des Gémeaux est représenté par des frères jumeaux, et leur pays a sombré dans la guerre civile il y a deux siècles. Depuis, on considère que des jumeaux finissent fatalement par fracturer les familles. Au nom de l’Harmonie, la Loi oblige à abandonner le plus jeune des deux en forêt pour s’assurer qu’il ne vienne pas mettre la lignée en péril.
— Tu veux dire que vous avez… Papa, dis-moi que c’est pas vrai…

Anton se contenta de lancer à sa fille un regard triste. Abasourdie, Ama retomba sur sa chaise. Son père baissa les yeux vers son assiette sous le poids de l’impuissance. Sa mère triturait frénétiquement sa serviette. Un silence pesant s’installa dans le salon des Berry. Ama le brisa vite.
— Tu viens de me dire que vous avez abandonné votre enfant alors qu’il venait de naître ? Mais c’est…
— C’est ce qu’il fallait faire. La Loi nous y obligeait, et nous ne pouvions aller contre la Volonté des Douze, l’interrompit sa mère.
— C’est donc la deuxième fois que les Signes vous obligent à renoncer à un enfant ?
— Tu ne vois pas les choses de la bonne manière, contesta Bodana.
— Parce qu’il existe une bonne manière d’abandonner ses enfants ? Vous êtes des monstres ! Peu importe ce que veulent les Douze…
— Il ne s’est pas passé une seule journée sans que l’on ne regrette ce geste, affirma Anton d’une voix mécanique, le regard perdu dans son assiette maculée de fruits. Juge-nous comme tu le souhaites, mais cela nous a laissé un tel trou dans le cœur que nous n’avons jamais cherché à avoir d’autre enfant. C’est pourquoi nous t’adorons plus que tout. Je t’en prie, comprends-nous. Que tu ne nous excuses pas, je peux l’entendre. Mais cela fait dix-neuf ans que nous pleurons une enfant à qui nous n’avons même pas eu la force de donner un nom.

Ama se crut défaillir et, fermant les yeux, eut à nouveau une de ces visions qu’elle avait depuis sa plus tendre enfance, et qu’elle avait toujours considéré comme des rêves sans fondement. Elle s’y voyait, petite, accompagnée d’une autre fillette lui ressemblant comme deux gouttes d’eau. Reprenant ses esprits, elle lança partout dans la pièce des regards hystériques. Des dizaines de pensées l’assaillaient à la fois, comme une foule de gens qui se pressent autour de l’unique issue de secours lors d’un incendie. Elle se vit décrocher sa pelle du mur pour frapper son père avec, ou encore fondre en larmes dans les bras de ses parents endeuillés depuis tant d’années. Un son bref suffit pour stopper ce torrent cérébral. La terreur succéda à la surprise dans les regards qu’échangèrent les Berry lorsqu’une voix forte résonna.
— Inquisition, ouvrez !

Ce texte “Le schisme des douze (prologue, partie 1)” est publiée avec l’aimable autorisation de Jérémie Ferreira-Martins.
©Jérémie Ferreira-Martins – tous droits réservés, reproduction interdite.

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