INTERVIEW JÉRÉMIE FERREIRA-MARTINS, première partie.

interview jérémie ferreira-martinsQuelques questions à notre auteur du mois.

Afin de vous permettre d’en savoir plus sur le parcours de notre auteur du mois, nous lui avons posé quelques questions. Découvrez l’interview de Jérémie Ferreira-Martins sans attendre.

L’interview

Litzic : Première question rituelle, comment vas-tu ?

Jérémie Ferreira-Martins : Si on se base sur l’état actuel du monde, je vais très bien. Quand on est sensible au destin de ses semblables, on trouve toujours des façons de relativiser. J’ai toujours eu la capacité de toujours retenir le positif. Cela contribue au bonheur, et je suis loin d’être à plaindre.

L : Durant tout ce mois de septembre nous allons évoquer ta bibliographie, à travers trois de tes romans. Avant d’en parler au travers de chroniques, je voulais revenir sur ton parcours.
As tu toujours été un lecteur convaincu ou bien cela est-il arrivé sur le tard ?

Jérémie Ferreira-Martins : Je suis fils unique, ce qui aide à développer l’imagination faute de compagnon de jeu. Dans mon enfance, j’ai dévoré beaucoup de BD, puis de livres. J’ai toujours lu, par périodes plus ou moins assidues, avec une large préférence pour les romans, surtout imaginaires. La lecture est pour moi une évasion, elle doit me délivrer de mon quotidien. C’est la meilleure porte de sortie de la réalité que je connaisse.

L : Quels sont les premiers livres qui t’ont marqué et pourquoi ?

Jérémie Ferreira-Martins : Vers onze-douze ans, avec des amis, on dormait dans une tente tout l’été, et on lisait des nuits entières à la lampe-torche. Les histoires flippantes étaient les plus indiquées, et Simetierre de Stephen King m’a procuré des vertiges de trouille.
La lecture du Seigneur des Anneaux a aussi été un grand moment pour moi. C’était avant l’adaptation de Peter Jackson, et ça m’a donné conscience du pouvoir de la littérature. Hollywood a mis presque cinquante ans à adapter ce livre, car le cinéma n’était pas prêt à lui faire honneur. Cela montre la puissance d’évocation des littératures de l’imaginaire.

Mais les auteurs classiques ont aussi joué leur rôle, notamment par des textes étudiés en cours. Les descriptions de Hugo dans Les Misérables touchent au sublime. Son récit de la bataille de Waterloo est extraordinaire de précision et d’efficacité.
Voltaire et son Candide m’ont ouvert les portes de la satire ironique. Comme l’imaginaire, elle invite à prendre de la distance vis-à-vis du monde et m’a été bénéfique.

L : Quel l’auteur t’a profondément touché ? Est-ce lui qui t’a motivé à écrire tes propres histoires ?

Jérémie Ferreira-Martins : Je ne vais pas faire très original mais Stephen King est celui qui a le plus développé mon imagination. Il a une faculté unique à confronter des gens ordinaires à l’extraordinaire. On a le sentiment qu’il met tout en place jusqu’à l’élément fantastique, puis qu’il contemple ensuite ses créations se démener. Son livre Ça est une représentation du mal absolu, suintant dans le moindre recoin de cette ville de Derry. Cette menace est si palpable que sa lecture en devient éprouvante.

Si King m’a poussé à écrire pour l’aspect du récit, d’autres m’ont apporté le goût des mots et de leur maniement. J’ai déjà parlé de Hugo, mais j’y ajouterai des auteurs moins littéraires comme Pierre Desproges ou Benoît Poelvoorde. Leur génie comique naît du choix des termes, il suffit de relancer un réquisitoire de l’un et un carnet de l’autre pour s’en rendre compte. Dans un registre plus mélancolique, Hubert-Félix Thiéfaine est un génie de la composition, avec un lexique d’une richesse abyssale.

« Écrire ce livre a été une véritable thérapie. »

L : Quand as-tu commencé à écrire des histoires ? Comment définirais-tu l’exercice pour toi ? Difficile, salutaire, indispensable ?

Jérémie Ferreira-Martins : Enfant, je débordais d’imagination et j’ai essayé plusieurs supports : le dessin, une vieille machine à écrire, puis la BD, où je caricaturais mes profs.
Le décès de mes parents m’a obligé à trouver un exutoire, c’est de là qu’est né le récit Rédemption il y a treize ans. Écrire ce livre a été une véritable thérapie.

C’est devenu une vraie passion qui, en plus, s’accommode bien du mode de vie qu’on partage depuis l’apparition du COVID.
Il s’agit d’une activité exigeante mais très épanouissante, qui pousse à s’intéresser à tout, à prendre des notes dans sa tête en permanence. Le plaisir de la création vaut le coup, et tend à devenir indispensable.
Je conseille souvent à mes élèves de se soulager en écrivant leur mélancolie. Ils s’aperçoivent souvent que cela leur a permis de faire sortir leur spleen : peut-être faudrait-il faire rembourser les blocs-notes par la Sécu ?

L : Comment procèdes-tu quand tu te lances dans un projet d’écriture ? Te faut-il une hygiène particulière ? Une plage horaire définie ? Un environnement rassurant ? Ou bien écris-tu à chaque fois que tu as un peu de temps devant toi, peu importe ce qui se passe autour de toi ?

Jérémie Ferreira-Martins : Je n’écris que la nuit, l’obscurité favorise l’imagination : quand tout le monde est couché, je me glisse dans ma bulle et, une fois coupé du monde, je peux enfin me concentrer pour divaguer.
J’écris toujours après 22h30. Une heure seule ne suffit pas, car s’affranchir du réel prend du temps, et qu’une fois lancé, on est stimulé par sa propre inspiration.
La musique m’est indispensable : surtout instrumentale pour éviter d’attirer l’attention, mais invitant à l’évasion. Je ne peux pas la faire ressentir au lecteur si je ne la pratique pas avant.

« Le fantastique, c’est l’irruption de l’irréel dans le réel. Il faut construire un cadre crédible avant de le mettre à l’épreuve de l’irrationnel »

L : Tu es professeur de français et d’histoire géographie. Est-ce un avantage ou un inconvénient dans ton travail d’auteur ?

Jérémie Ferreira-Martins : C’est un avantage pour les compétences que ça implique : la narration, l’orthographe, la méthode… et pour nourrir l’inspiration : découvrir en détail des pays en Géo, lire des livres en Français…
Cela peut aussi apporter des inconvénients : ma femme, qui est une critique avisée, m’a souvent fait supprimer des passages où je rappelais des infos déjà données. Cette tendance à surexpliquer découle de l’esprit du prof, mais peut alourdir un récit de fiction.
Un autre écueil est qu’un récit historique peut vite se transformer en cours d’histoire imposé si on donne une abondance d’infos qui ne servent pas l’intrigue.

L : Tu mêles, comme le disent tes quatrièmes de couverture, fantastique et histoire. Comment parviens-tu à mêler le rationnel (le cadre historique) et l’irrationnel sans que cela ne fasse cliché ou faux ?

Jérémie Ferreira-Martins : Le fantastique, c’est l’irruption de l’irréel dans le réel. Il faut construire un cadre crédible avant de le mettre à l’épreuve de l’irrationnel : un personnage tué dans un film ne nous émeut que si on a pris le temps de le voir se développer, de s’attacher à lui.
Un récit imaginaire part toujours du monde réel. Tolkien a écrit les batailles du Seigneur des Anneaux en s’inspirant de sa participation à la première Guerre Mondiale.
Il est impératif de construire des personnages marquants et attachants, et de leur donner des réactions crédibles face à ce qui les dépasse, ce qui permet au lecteur de s’identifier à eux. Si ce lien se créé et perdure, c’est gagné.

« …éviter le syndrome « course d’orientation »… »

L : Dans Trajectoires croisées, tu reviens sur les 2 grandes guerres du XXème siècle, avec pour point commun de relier ces deux contextes historiques par la filiation. Nous y suivons un Poilu dans une première partie, puis son fils dans une seconde. Avant de parler de fantastique, pouvons-nous parler de psycho-généalogie, cette théorie selon laquelle les secrets de nos aïeux auraient un impact dans notre vie ?

Jérémie Ferreira-Martins : Cette science établit des continuités entre les générations, c’est une idée qui me réconforte. Mes parents n’étant plus de ce monde, ce thème de la transmission entre générations m’est cher, car il permet de me rapprocher d’eux. Mais je n’y cherche pas de quelconque thérapie.
La psycho-généalogie est intéressante car elle nous questionne sur nous-mêmes, elle envoie des échos à travers les générations. La fin de Trajectoires Croisées s’en inspire, ce qui conduira peut-être certaines personnes à s’interroger davantage sur leurs origines.

L : Tu optes pour une narration différente pour les deux grandes parties de ton roman. Dans la première, nous suivons la vie du père à travers un journal intime, daté. Dans la seconde dans une narration plus classique. Pourquoi ce choix ?

Jérémie Ferreira-Martins : L’idée était de bien distinguer les différentes parties, pour leur donner de la personnalité et éviter les confusions lors d’un retour en arrière. Les personnages ayant des noms de famille communs, il fallait éviter le syndrome « course d’orientation ». Varier les formes du récit permet de donner du rythme : Rédemption contenait déjà un passage relaté sous forme de journal intime.

L : Tes descriptions sont absolument parfaites, celles des tranchées comme celle du temps sous l’Occupation. Pour moi, elles sont très colorées, du bleu maculé de boue pour l’une, d’une lumière jaune mais froide pour l’autre. Comment as-tu élaboré ces atmosphères ?

Jérémie Ferreira-Martins : Les BD de Tardi et Daeninckx sur la Grande Guerre sont des mines d’or quand on veut retranscrire les conditions de vie et l’état d’esprit des Poilus. Le trait fin de Tardi transcrit à merveille l’atmosphère putride des tranchées, complétées par le langage populaire de Daennickx. Tout est immersif dans ces chefs d’œuvre de noirceur.

« Les BD de Tardi et Daeninckx sur la Grande Guerre sont des mines d’or quand on veut retranscrire les conditions de vie et l’état d’esprit des Poilus. »

L : Nous avons véritablement l’impression d’y être. J’imagine que tu t’es énormément documenté, mais as tu aussi eu recours, peut-être, à des films ou des musiques pour renforcer justement cet aspect réaliste de ton roman ?

Jérémie Ferreira-Martins : La documentation est foisonnante, pour les éléments centraux, voire les plus discrets comme le langage des tranchées.
Les films et documentaires sur les Guerres Mondiales sont nombreux, mais mon influence principale est l’extraordinaire série française Un Village Français. Elle suit des gens dont la vie est bouleversée par un contexte inimaginable à l’époque. On est proche du genre fantastique dont on a déjà parlé. Cette série est remarquablement bien écrite et jouée. J’ai essayé de faire ressentir au lecteur ce que j’ai pu éprouver en la regardant. J’espère m’en être au moins approché.
Pour la musique, j’aime beaucoup le metal et le groupe Iron Maiden, dont le chanteur est passionné d’histoire militaire, a signé un morceau nommé Paschendale, sur la bataille relatée dans la première partie du livre. C’est un pur hasard car je ne l’ai découvert qu’après avoir arrêté mon choix.

L : Il est question, comme je le disais plus haut, de cette notion de psycho-généalogie, mais peut-on aussi prétendre qu’il s’agisse là de réincarnation ?

Jérémie Ferreira-Martins : À chacun de se faire son avis, tout dépend si on accepte la notion d’immortalité. Pour ma part, je préfère y voir une transmission entre générations. C’est une nouvelle histoire qui démarre à chaque fois, comme avec la sonnerie des anciennes machines à écrire. Mais un nouveau-né n’est pas une page blanche, et il perpétuera l’héritage de ses ancêtres.

L : Nous ne sentons pour autant, malgré le fait que ces époques étaient très croyantes, d’aspects religieux envahir ton roman. Était-il important pour toi de laisser cette dimension de côté ?

Jérémie Ferreira-Martins : C’est un aspect qui était au centre d’Elven, mon livre précédent. Je ne voulais pas qu’il y ait de répétition. Ton choix du mot « invasion » n’est pas innocent, car il a une connotation négative.

« C’est prétentieux d’affirmer en 2021 qu’on aurait assurément résisté. »

L : Dans une troisième partie, qui sert en quelque sorte de conclusion, nous sommes dans un contexte plus actuel. Pourquoi ce choix de terminer l’histoire ici ? Était-ce pour boucler l’épisode deuxième Guerre Mondiale qui nous laissait en partie sans réponse ?

Jérémie Ferreira-Martins : Oui, c’est une conclusion. L’histoire devait s’achever de nos jours, pour bien connecter ces deux époques à la nôtre. C’est un moyen de renforcer l’identification aux personnages, et de conduire le lecteur à se situer par rapport à ses propres ancêtres. Chacun de nous a un grand-père, une grand-mère, qui a fait des choix difficiles, dont les conséquences ont touché tous les proches.

L : N’es-tu pas un peu dur avec Mathieu (un descendant du poilu et de son fils) ? Crois-tu que les actions de Michel soient justement condamnables ?

Jérémie Ferreira-Martins : Tout dépend si on choisit la psycho-généalogie ou la réincarnation !
Cette question me rassure, car les personnages les plus difficiles à juger sont souvent les plus intéressants. Là encore, certains actes peuvent relever du courage ou de la lâcheté, suivant les valeurs morales qu’on prône. À chaque lecteur de se faire sa « religion », s’il faut en mettre !

L : Question piège : aurais-tu, comme Michel, embrassé la résistance ou aurais-tu opté pour cette majorité silencieuse qui n’acceptait pas l’occupation sans pour autant mener d’action pour s’en défaire (ou aurais-tu collaboré, pourquoi pas ?) ?

Jérémie Ferreira-Martins : La série « Un Village Français » est passionnante car elle pose cette question à travers tous ses personnages. Depuis que j’ai des enfants, je crois que je n’aurais pas été capable de risquer de les perdre. Ça rend encore plus admirables les actes héroïques des figures les plus connues, et de tant d’anonymes.
C’est prétentieux d’affirmer en 2021 qu’on aurait assurément résisté. Dans la série, en représailles après le meurtre d’un officier allemand, le maire apprend que les Nazis demandent 20 exécutions. En négociant, il obtient ce choix : ou 20 fusillés, ou 10 seulement, mais c’est à lui de fournir les noms. Dans un village où tout le monde se connaît, qui peut imaginer sa réaction face à ce dilemme ?

L : Autre question piège : crois-tu aux fantômes ?

Jérémie Ferreira-Martins : J’y ai longtemps cru. Mais on dispose aujourd’hui d’une technologie qui devrait permettre d’affirmer enfin si ces histoires sont vraies ou fausses. Ma réponse manque de romantisme, si on aime l’imaginaire ! Finalement, j’ai peut-être commencé à écrire des récits imaginaires le jour où j’ai cessé d’y croire en vrai. Mais un écrivain se doit de garder son enfance dans sa plume, ou son clavier.

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Partie 1 du prologue Le schisme des douze.

Chronique Rédemption , chronique d’Elven et chronique de Trajectoires croisées

 

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