chronique roman, nouvelles, récit
THIERRY NUTCHEY, Sambasso
2e roman, aux éditions L’Harmattan.
En mélangeant quête identitaire, guerre ethnique et histoire coloniale, Thierry Nutchey nous offre avec Sambasso un livre à l’intrigue palpitante en forme de déclaration d’amour (contrariée) à un continent meurtri.
Louis Amangu Dagaya est placé à l’assistance publique, en Belgique, à sa naissance. Fiancé à Alice, journaliste, il mène une existence normale, mais ne pas connaître ses racines le tourmente. Alors qu’il a la trentaine, on lui dévoile une partie de son histoire. Celle-ci prend corps en Afrique, à Sambasso. Louis décide de s’y rendre pour renouer avec son passé.
Mais rien ne s’avère simple. Il n’y est pas le bienvenue, d’autant qu’il tombe dans une espèce de guerre froide ethnique opposant les Niambilés et les Isonghos, deux ethnies rivales mais pourtant semblables. Son histoire familiale tend à unifier ces peuples, mais réveille des rancunes.
Puissance.
L’écriture de Thierry Nutchey que nous avions découvert avec son premier (très bon) roman Hyperferon ou le silence de la moelle (chez L’Harmattan) s’avère une pièce maitresse de ce roman. D’une part par son parti pris narratif qui mélange événements passés et récents, d’autre part par des redondances qui rythment le récit, notamment des phrases « couperet » à la fin de pas mal de paragraphes qui placent Sambasso en tant que personnage à part entière du livre.
Outre ces qualités littéraires, il découle de l’histoire une forme de poésie terrienne très forte, un rapport au corps, à la nature, mais aussi à la psychologie tourmentée de bon nombre de personnages. Romantique, le roman dégage une force, une puissance évocatrice, celle que seul un initié peut retranscrire. Thierry Nutchey, qui a vécu en Afrique, y déploie tout son amour (contrarié) pour le continent.
Contrarié car nous y sentons la présence coloniale, écrasante, des occidentaux. Mais amour pour ce peuple digne, à la résilience quasi exponentielle aux horreurs de cette colonisation. Nous y voyons aussi des colons « vertueux », des locaux « véreux », ce qui ne tend pas à rendre le roman manichéen. L’équilibre est de mise, démontrant que rien n’est simple, rien ne coule de source.
Quête identitaire.
Mais plus que tout, ce qui nous guide dans cette histoire, c’est la quête de Louis pour découvrir son histoire. Étranger en ces lieux, l’appel du pays se fait insurmontable. Les racines, où qu’elles nous attendent, nous happent littéralement. Nous l’avons dans le sang en somme, chose que Louis ressent profondément. En laissant des zones d’ombre, en n’expliquant pas tout, Thierry Nutchey nous invite à nous faire notre propre vision, tout comme Louis qui, petit à petit, termine son puzzle intime.
Chaque petit pas, chaque discussion le guide vers lui-même. L’intelligence de l’auteur permet au lecteur de s’identifier au héros, même si celui-ci n’est pas blanc comme neige. Il est juste comme nous tous, imparfait, incomplet, ce qui fait qu’il nous paraît on ne peut plus humain. On tombe amoureux du personnage, mais aussi de son histoire, et encore plus de Sambasso (et à titre plus large du continent africain).
Avec ce voyage identitaire, l’auteur nous dépayse, nous permet d’acquérir certaines clés des ambivalences africaines, mais surtout dresse un portrait humain, et celui d’un pays, au plus juste de ce qu’il est. On ressort du roman avec l’envie d’en découvrir davantage sur l’histoire inconnue de tant de pays africains, de leurs ethnies, de leurs blessures et de l’importance, (souvent néfaste) de la colonisation. Cette porte d’entrée, efficace, que nous offre Thierry Nutchey, ne manque pas sa cible en y mettant le souffle épique nécessaire ainsi qu’ un romantisme bienvenu. Sa déclaration d’amour n’en est que plus crédible et vibrante !
Patrick Béguinel