Erin Williams, Trajectoire de femme : journal d’un combat illustré

erin williams trajectoire de femmeÉtats drames

Erin, une créatrice sensitive New-Yorkaise nous livre son histoire, jalonnée de relations sans lendemain, d’hommes de passage plus dysfonctionnels les uns que les autres, de soirées de beuverie, dont le seul but est d’anesthésier une conscience abîmée. Elle partage avec nous de manière crue ses expériences sentimentales et sexuelles, ses blessures intimes accumulées (bref, sa trajectoire de femme) et se met à nue avec un sens de l’humour acide et une clairvoyance sur ses maux qui chamboule le lecteur-spectateur.

Le trait fin et acéré

La couverture plante le décor tout de suite. L’avatar d’Erin Williams est seul devant un train. C’est pendant son trajet quotidien pour se rendre au travail qu’elle laisse son esprit vagabonder et qu’elle digresse en revenant sur les hommes ayant laissé des traces dans son âme tiraillée.

Les pages s’enchaînent à un rythme effréné, aussi rapidement que le paysage défile, lorsque nous nous trouvons dans un train. Le moyen de transport d’Erin à New York pourrait se situer à Paris, Londres ou Pékin. La quête initiatique de cette Américaine fait écho à tant d’autres dans notre monde, où être une femme est un combat de tous les jours.

Son trait est une ligne claire, fine, touchante et frêle comme la vie elle-même. Il nous frappe en plein cœur comme une flèche tirée par Marianne dans le cœur de son Robin. Le motif précis, direct, se dilue parfois dans l’ombre ou le brouillard, comme si les idées de l’auteure prenaient corps avec plus ou moins de facilité.

Le personnage stylisé, à peine esquissé, se prend des mandales métaphoriques et physiques mémorables. Nous suivons le parcours de cette femme écartelée, écorchée vive, brûlée sur l’autel des prismes patriarcaux. Et son engagement emporte notre adhésion, peu importe notre genre, notre orientation sexuelle, notre religion, nos opinions politiques, parce que c’est un combat légitime, féministe et primordial. Un bon coup de pied dans la fourmilière ne peut pas faire de mal. L’art est un vecteur de divertissement et d’éveil des consciences.

Nous l’avons déjà vu avec Invincibles ou Tombé dans l’oreille d’un sourd par exemple.

C’est la lutte vitale

Erin Williams signe un roman graphique vibrant d’émotions exacerbées. Comme si elle retirait le pansement de sa plaie pour exposer sa blessure et sa vérité par la même occasion. Nous avons l’impression d’assister à la lente et longue descente aux enfers d’une Eurydice brisée qui sera sauvée par sa propre main et non par son Orphée. Pourtant, de cette cassure primordiale, de cet acte odieux qui l’a privée d’elle-même et a nié sa féminité, son humanité et sa dignité, Erin tire un roman percutant, virulent et vibrant, qui laissera dans votre mémoire et dans votre bouche le goût âpre du sang bouillonnant.

Oui, décidément, Erin est une Walkyrie moderne qui s’épuise dans les bras d’hommes sans envergure, parce qu’elle ne trouve pas sa place. Elle essaie de tracer sa route, mais le chemin est si sinueux qu’elle se perd en cours de périple. Elle se noie, se délite et s’autodétruit, mais au bout du tunnel, au fond de l’abîme, elle trouvera une porte de sortie, une petite luciole pour la guider vers la surface.
Ce combat de femme est un combat pour la vie, l’acceptation et le cheminement vers des landes plus sereines. C’est le combat d’Erin, mais il fait écho à tant d’autres combats de filles, de mères, de sœurs consumées sur l’autel de l’abominable dictat de mâles avariés.

Pourquoi culpabilise-t-on autant les femmes sur tous les aspects de la vie quotidienne et pourquoi les renvoie-t-on toujours à un rôle préétabli, héritage de schémas débilitants ? Pourquoi tant de femmes sont-elles agressées, traitées comme des objets sexuels, niées en tant qu’individu, mésestimées par leurs homologues masculins ? Et pourquoi les mariages forcés, les viols, les crimes d’honneur, les féminicides se multiplient de toute part, suscitent l’émotion, provoquent des prises de conscience, mais se poursuivent tout de même ?

Ne serait-il pas temps de nous réveiller ?

Pour conclure

Les émotions au bord des lèvres, Erin Williams nous crache sa vérité, et nous, spectateurs privilégiés, nous sommes mutiques et circonspects devant les méandres qui agitent l’esprit de cette auteure si fragile et si forte à la fois.

Son parcours, son cheminement, cette blessure tatouée sur la peau, toutes ses fêlures trouvent une échappatoire cathartique dans le motif et la plume.

En se livrant sans fard, sans artifices, sans déguisement, Erin Williams nous offre une autobiographie graphique d’une incroyable sincérité. Bien souvent, dans les autobiographies, l’auteure donne à voir ce qu’elle veut nous montrer. Erin, elle, ne triche pas.

Elle débite les mots et dessine les situations en toute transparence. Nous ne pouvons que la remercier de nous faire partager ses tranches de vie. Espérons que cette lutte saura inspirer d’autres personnes malmenées par l’existence.

Trajectoire de femme : journal d’un combat illustré, d’Erin Williams, Massot Éditions, 304 pages, mars 2021

Florent Lucéa

florent lucéa 2021

Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
Depuis 2021, il dirige également la collection encre sèche des éditions Ex Aequo

Instagram
FB
Site

soutenir litzic

Retrouver Litzic sur FB, instagram, twitter

Ajoutez un commentaire