SOFIA STRIL-REVER & KAN TAKAHAMA, Invincibles

Invincibles Sofia Strill-Rever Kan TakahamaEn quête de l’amour de soi

L’histoire d’Invincibles : Maya, dix-neuf ans, est frappée par la faucille de la destinée. Elle est blessée lors d’un attentat à Paris et doit être amputée de l’une de ses jambes. Son monde s’effondre. Elle pense que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue, mais elle voit le Dalaï-Lama sur un écran et admire tout de suite cette figure emblématique de la lutte pacifique pour la libération du Tibet. C’est le déclic pour Maya.

Elle rencontre par la suite Sofia, une enseignante en méditation à la bienveillance à nulle autre pareille. Les deux femmes entretiennent très vite des liens étroits. Sophia confie à Maya ce qui se passe au Tibet, et elle lui parle notamment du jeune Lobsang qui s’est immolé pour protester contre l’oppression du régime chinois sur le peuple tibétain. Maya, émue par le sort du garçon, décide, avec Sophia, de tout faire pour le tirer des griffes de ces geôliers et l’appareiller de prothèses afin qu’il retrouve sa mobilité. Il connaitra la même expérience que Maya.

Elle quitte alors la France avec sa mère et Sophia et se lance dans un périlleux périple au bout d’elle-même pour s’entretenir avec le Dalaï-Lama et surtout pour sauver Lobsang. Pourtant, elle n’est pas au bout de ses surprises, se met dans des situations extrêmement dangereuses, mais Maya est habitée par une force qui dépasse l’entendement. Elle se donne sans limites pour aider un parfait inconnu. En se consacrant au bien-être d’un autre, elle finira par se trouver elle-même.

Teintes bienveillantes et grisés doux.

Kan Takahama nous confie des illustrations d’une tendresse et d’une maîtrise qui ne peuvent que rendre admiratifs les lectrices et les lecteurs. Son trait est sûr, sa tendresse envers ses personnages crève la planche, les planches en couleurs sont esthétiquement enchanteresses, celles qui sont en noir et blanc proposent des modulations de gris subjuguant nos pupilles.

Les illustrations donnent une dimension graphique pleine de puissance évocatrice. Nous nous projetons en effet auprès du Dalaï-Lama, dont le « regard impressionnant » (ce sont les mots de Maya) est rendu avec force. Nous accompagnons Maya dans son parcours semé d’embûches et dans son parcours spirituel.

L’histoire, inspirée de faits réels et concoctée par Sofia Stril-Rever, naît d’une manière sublime entre les doigts de fée de Kan. Les univers de Sophia et Kan dialoguent en toute complicité et servent un message bouleversant.

Message univers’aile.

Le message universel d’Invincibles nous donne des ailes. En effet, malgré les épreuves traversées par Maya et Lobsang, ces deux jeunes gens embrassent la philosophie du Dalaï-Lama : se ranger du côté de la compassion en toute chose.

Il n’est pas toujours évident de ressentir de la compassion, lorsque l’on a été victime d’un attentat ou torturé durant des mois dans un cachot obscur. Cette voie rend la vie de Maya plus saine. Elle ne se tourne pas vers sa douleur, vers une envie de vengeance, bien au contraire, elle se donne un but : sauver Lobsang. Même au péril de sa vie. Ce don de soi, sans restriction, emplit le vide que pourrait ressentir Maya et qui pourrait l’engloutir.

Ce but qu’elle s’est fixé l’a transformé, lui donnant une force propre à abattre des montagnes. Elle ne se laisse pas aller. Son cheminement est long et éprouvant, mais Maya ne lâche rien, et cette force, qui la guide, innerve tout ce manga. Ce dernier nous donne à voir des instants de vie, des scènes d’une réalité que l’on connaît peu ou mal, comme des instantanés photographiques, faisant sans aucun doute écho aux scènes humoristiques peintes par Hokusai, inventeur du terme « manga ». D’abord, peinture sur rouleau, le manga est devenu un emblème de tout un pays, et le métier de Mangaka fait rêver plus d’un jeune occidental.

Pour conclure.

Invincibles est bien « un manga tout simplement », c’est-à-dire qu’il ne se classe pas dans les genres habituels. Ni pour filles, ni pour garçons, ni pour adultes, Invincibles est pour les gens qui ressentent les choses.

Il est un souffle de vitalité, une invitation à la prise de conscience des souffrances de tout un peuple, une invitation à relativiser aussi les obstacles qui jalonnent notre route et un message de compassion et d’abnégation.

Se donner aux autres, savoir recevoir d’autrui, c’est emprunter une route à leurs côtés, c’est leur permettre d’avancer, mais en même temps, c’est se trouver soi-même. La quête de soi en passant par l’accompagnement des autres est une quête qui ne peut que nous rendre plus ouverts et tolérants. Plus humains sans doute, à l’heure où les esprits étroits voudraient nous diviser pour mieux nous manipuler.

Belle leçon de vie que ce manga, à mettre entre toutes les mains, dès quatorze ans. Une belle façon aussi de pousser nos jeunes à lire pour le plaisir au milieu de leurs lectures imposées par leurs études. En littérature comme ailleurs, c’est la diversité qui forge les esprits humanistes.

Invincibles, de Sofia Stril-Rever et Kan Takahama, Massot Éditions, 164 pages, mars 2021, à partir de 14 ans
Florent Lucéa

florent lucéa 2021

Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
Depuis 2021, il dirige également la collection encre sèche des éditions Ex Aequo

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