chronique BD3 juillet 2023

SAMIR DAHMANI, Quand arrive l’aube nautique

disponible aux éditions La boite à bulles.

Pourquoi choisir une BD plutôt qu’une autre ? C’est d’abord une question d’image, un visuel qui attrape le regard et qui nous dit que peut-être ici se cache un joyau. Et puis le nom de la fameuse bande dessinée finit de nous convaincre. Avec sa couverture vert-de-gris (ou verte et grise, simplement rehaussée d’une pointe de jaune, une fenêtre éclairée laissant deviner une silhouette i, et de rouge, un parapluie) dépeignant la ruelle d’une ville noyée sous la pluie, le livre attire l’oeil sans ostentation. Déjà, nous sommes pris dans un univers. Cette sensation se confirme avec ce titre plein de poésie, Quand arrive l’aube nautique.

La licence poétique, bien qu’abstraite, déclenche son lot de questions. Qu’est-ce que l’aube nautique ? De quoi parle ce livre ? Est-ce une histoire de montée des eaux apocalyptique (telle que décrite dans le roman Bangkok déluge de Pitchaya Sudbanthad qui contrairement à la BD se déroule en Thaïlande, et non en Corée) ou bien un manifeste écolo et contemplatif ? Rien de tout cela.

L’amitié sacrée.

Cette BD raconte l’histoire de deux jeunes femmes qui, après le bac et des années entières d’amitiés profondes, se retrouvent séparées par les études. Nous suivons les pensées de Jeong-Ji dans sa nouvelle vie d’étudiante le jour et responsable d’une supérette la nuit alors que le manque de son amie se fait criant. N’osant lui écrire, n’en trouvant pas la force, elle se réfugie dans son silence et sa solitude. La rencontre, une nuit, d’une étrange cliente révèlera à Jeong-Ji ce que le jour lui cache.

Quand arrive l’aube aquatique relate donc cette histoire d’amitié avec tact et pudeur, en mettant l’humain en avant dans une mise en scène soignée, rythmée, mais de ce rythme un peu à part qu’est celui de la nuit. Doucement mélancolique, étrangement aérienne, l’histoire nous happe littéralement, à la fois par la douceur et la précision des traits de Samir Dahmani qui opte pour l’aquarelle pour dépeindre cette histoire universelle, celle du passage de l’adolescence à l’âge adulte.

Ce passage se traduit également par le choix de faire évoluer ses personnages la nuit, dans des ambiances tamisées, évoquant à la fois le crépuscule et l’aube. Ces moments particuliers du cycle d’une journée symbolisent métaphoriquement ce mouvement de transition du sortir de l’enfance.

Quand arrive l’aube nautique de Samir Dahmani

Entre chien et loup.

A cette époque trouble de la vie de chacun, où les questionnements se font nombreux et intimes, l’auteur parvient à nous glisser dans la tête de son héroïne et à déclencher chez nous cet indicible sentiment d’identification. Sans manichéisme, sans appuyer le trait, l’auteur nous fait voguer dans cette histoire avec légèreté et une pointe de curiosité. En effet, nous ne découvrons là où il veut en venir qu’à la quasi-fin de l’ouvrage, démontrant ainsi la force de son scénario.

Une fois le fin mot de l’histoire dévoilé, il ne nous reste plus qu’à quitter Jeong-Ji et son étrange « partenaire » avec regret. Car oui, si cette fin laisse la possibilité infime d’une suite (mais qui n’aura pas lieu nous le pressentons, même pour expliciter qui est cette cliente philosophe), se détacher de Jeong-Ji nous ramène à la séparation de celle-ci d’avec son amie Jiwon. La perte de cette amitié bizarrement concrète entre ce personnage et nous, lecteurs, ne démontre dès lors qu’une seule chose, à savoir que Samir Dahmani a su viser au plus juste pour décrire les tourments intérieurs de son héroïne. C’est tout simplement magnifique et même aussi un peu magique.

Patrick Béguinel

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