BENOÎT BEHUDÉ, Lièvre noir // Avec le recul.

Retour sur le mois passé avec Benoît Behudé.

Ce premier mois de l’année aura tenu toutes ses promesses. Il fut riche en enseignement et nous a permis de découvrir la plume d’un auteur, pour un premier roman abouti, fort, qui nous a amenés à nous poser quelques questions, sur le travail d’écrivain, sur la littérature et sur les ponts entre les styles. Avec le recul, nous n’aurions pu en espérer autant.

Litzic, vous n’êtes pas sans le savoir, est un webzine qui fait le pont entre la littérature et la musique. Comme Benoît Behudé l’a expliqué, c’est la musique qui l’a conduit à la littérature. Comment ? Simplement lorsqu’il a voulu décrypter certaines paroles obscures de certaines chansons, il s’est rapproché des auteurs et de leurs œuvres. Ces deux arts sont intimement liés par la présence de l’écriture, notamment lorsqu’il s’agit de mettre en forme des pensées, des réflexions sur le monde qui nous entoure, ou sur le monde comme il pourrait devenir si nous n’y prenons pas garde. Nous retrouvons également ce souci dans le cinéma, mais le caractère visuel du 7é art détourne quelque peu notre attention de la plume qui se trouve derrière.

Attention.

La musique et la littérature, logiquement, ne sont pas dictées par l’image. Les images naissent d’elles-mêmes, ressurgissent des ténèbres pour mieux les fouiller. Avec Lièvre noir, Benoît Behudé utilise la dystopie pour porter son propos à un paroxysme, l’enlèvement d’un enfant dans un univers obscur et tout sauf sécurisé. Bien sûr, nous pouvons y voir une crainte, celle de voir notre société vaciller sur elle-même, pour quelque raison que ce soit : un nouveau règne fasciste, un bouleversement climatique, une insurrection quelconque qui lierait les deux. L’auteur ici éveille notre imaginaire par l’effroi, nous place dans un environnement sinistre, et qui plus est fait disparaître une enfant. Son père, mettra tout en œuvre pour la retrouver, malgré les risques, signe d’une humanité préservée.

La musique arrive, par certains aspects relativement similaires, à retranscrire des univers fort également. Nous ne vous apprendrons rien en disant que Benoît Behudé aime beaucoup HF Thiéfaine. Il faut savoir que ce chanteur culte réussissait à instaurer des sentiments très forts sur certains de ces titres, comme Alligator 427 par exemple. Cette fresque surréaliste est pour nous une représentation dystopique. Elle amène aux mêmes ressentis, ce même malaise, bien qu’expliqué moins frontalement que dans Lièvre noir, de façon plus poétique sans doute.

Mais…

Pour autant, la dystopie reste très crédible dans Lièvre noir. Avec le recul, nous nous disons peut-être, comme ça, mine de rien, que la situation initiale du roman a pu être inspirée en partie par le mouvement des Gilets Jaunes. Si, par exemple, celui-ci avait perduré, que les « fameux casseurs » (pas forcément les Gilets Jaunes) avaient réussi leur révolte, n’aurait-il pas conduit vers une forme de bouleversement social ayant conduit à ce que notre patrie devienne cet endroit désolé décrit dans le roman ? Pas impossible, notamment si l’on observe ce qui s’est passé lors des printemps arabes et en particulier sur le cas de la Syrie.

Tout est lié au contexte globale d’insécurité « mondiale ». Les hommes se rendent bien compte que les inégalités profitent à une seule frange de la population. Ces hommes se battent pour un peu plus de dignité, mais cela conduit la planète au désastre, de façon plus ou moins similaire, dan le livre. Et pourtant, encore, l’humanité, l’entraide, persistent, et c’est en ce point que Lièvre noir n’est pas un roman complètement pessimiste. Il y a une sorte de foi, que l’on peut retrouver dans certains films (comme Les fils de l’homme de Cuaron) où l’enfant reste une valeur pour laquelle il convient de se battre de façon intelligente.

L’écriture.

Contrairement à la littérature classique dont Benoît Behudé se nourrit, contrairement à la littérature musicale dont il s’abreuve, la sienne prend des proportions folles grâce à cette narration bicéphale, avec d’une part le récit au temps présent et les flashbacks récurrents. Un système est gorgé de sentiments (crainte, combativité, espoir) tandis que l’autre est presque totalement impersonnel, comme si les sentiments, passés, s’étaient dilués dans le temps. Moderne dans sa narration, rompant avec une certaine linéarité, la littérature de Benoît Behudé s’avère en prise avec son époque.

Bien évidemment, la plume d’un « débutant » peut-être quelque peu engoncée dans quelques lourdeurs, mais ici, elles sont minimes et ne masquent nullement les thèmes sous-jacents de cette histoire dans laquelle tout parent se reconnaîtra. Elle évoque aussi tout ce que l’Homme peut dépasser comme clivage, comme système de caste, pour trouver en soi les ressources nécessaires pour faire aboutir sa quête. Ici, un homme, cuistot, à priori pas assez intelligent pour être autre chose, trouve dans des poèmes, des écrits, des indices qui le conduiront sur la piste de sa fille. L’écriture, toujours, qui mène vers ceux que l’on aime, ce moyen de communication qui relie les hommes, hier, comme aujourd’hui, comme demain. Toujours.

interview benoît behudé lièvre noir avec le reculFB de l’auteur

Relire le portrait (subjectif) de nôtre auteur du mois, ainsi que son portrait plus objectif.

Lire le chapitre 4 de Lièvre Noir

Lire la chronique de Lièvre noir

Relire la première partie de l’interview et la deuxième

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