[INTERVIEW ] NATHALIE STRASEELE, Pouvoir de la plume.

Suite de l’interview de Nathalie Straseele, notre auteure du mois de novembre.

Nathalie Straseele continue à nous parler de l’écriture, mais aussi de la peinture. Elle évoque, à travers ses réponses, le pouvoir de la plume, pouvoir de faire surgir la magie des mots, des émotions, de guider une trajectoire, de changer une direction. Elle s’y livre entièrement, comme toujours. découvrez vite cette deuxième partie pleine d’humanité.

Suite des questions.

Litzic : Qu’est-ce qui te donne l’impulsion d’écrire ? Un besoin viscéral ? Une inspiration ? Une accumulation de notes ?

Nathalie Straseele : Une inspiration, bien sûr.
C’est quoi l’inspiration ? Je pose la question car je me la pose.
Je crois que notre réalité est bien plus complexe que ce que notre culture dominante nous en dit. Si l’on arrête de ‘vouloir’ tout le temps, la contemplation apporte énormément.
Gaston Bachelard dit «  L’imaginaire hausse le réel d’un ton ».
Alain Bashung le dit autrement : « J’cloue des clous sur les nuages, sans échafaudage.. ».
J’aime ces phrases.
L’inspiration, pour moi, résulte d’un état d’écoute, avec de l’observation, du ressenti, de l’émotion, et de la pensée. Je crois à l’espace des muses, auquel sont reliés certains artistes et certains mystiques. J’avais d’abord écrit : « l’étage des muses », car, oui, il semble que ce soit plus haut, et participe à ce qui nous élève.
Moi, depuis toujours je suis rêveuse, pas toujours mais souvent, la tête souvent dans les nuages. Ce qui ne m’empêche pas complètement d’avoir les pieds sur terre pour les contingences. Heureusement. Mais j’ai une haute idée de la dignité humaine, de ce qui pourrait être. Des valeurs. Sans doute ai-je besoin de combler cet écart ? Celui qui se fait dans ma tête entre le possible, et nos conditions de vie parfois, tu me pardonneras le mot, assez lamentables.
C’est l’expression d’une subjectivité. Bien sûr. Mais je crois l’imaginaire actif.
Très concrètement, j’en parle pour l’exemple, et pour le mot qui est joli, cela se traduit, et c’est plus dans le domaine de l’expression graphique, par ce que l’on appelle la paréidolie, ces formes-images que l’on peut ‘voir’ dans les nuages, les taches des carrelages, etc. …sur la base d’un support aléatoire, une interprétation… c’est de l’imagination capturée. Ce sont alors de petits croquis pris sur le vif.
Souvent aussi ce sont de petites phrases, jolies, des associations amusantes ou intéressantes, que je note. Sur l’ordi, sur papier, ou même parfois je m’envoie des sms … autodérision- que je recopie ou insère alors ailleurs plus tard.
Ces points de départ, pensées ou émotions ou imaginaire visualisé, j’en ai plein mes tiroirs, pour ceux qui sont sur papier, et plein mes fichiers sur l’ordi !… Vraiment beaucoup. Je déborde d’idées tout le temps. C’est parfois assommant !
Non ce n’est pas vrai, je ne vais pas me plaindre, car c’est plaisant.

Pour que cela prenne forme au final, il y a aussi l’envie de communiquer. Et là intervient la construction.

« Je raconte des histoires. Qui sont à la base soient inventées, soit vécues, soit les deux mélangé. »

L : Ressens-tu ce même besoin qu’il s’agisse d’écrire ou de peindre ? Quelle différence vois-tu dans ces deux actes créatifs ?

Nathalie Straseele : Avec la peinture il y a aussi un besoin physique de mouvement qui appelle, car j’aime les grands formats en peinture, et le geste y est important. Le corps s’y adjoint, c’est comme l’envie de marcher ou faire un tour au jardin, c’est assez physique. C’est agréable. J’aime passer de l’un à l’autre, de la peinture et à l’écriture, qui pour moi s’alimentent mutuellement. Le corps participe plus complètement dans l’action de peindre. Aussi l’un me délasse de l’autre parfois.

La peinture permet de faire ressentir. L’écriture permet aussi de mettre en forme et transmettre les idées, avec l’intervention du temps de l’action, et son déroulé. Dans les d eux cas, il y a le besoin d’écouter et de donner forme.

L : Quand tu écris, dois-tu poser un plan pour savoir où tu vas ou bien fais-tu confiance à la force même de ton écriture pour te guider ?

Nathalie Straseele : Alors tout dépend du projet.
Il m’est arrivé de choisir de me laisser guider par ce qui vient, à partir d’une idée ou d’une impression. Cet exercice est assez passionnant, car je me situe alors également comme vecteur d’expression et spectateur de quelque chose que je ne connais pas totalement. Cela suppose de ‘lâcher’ sur le contrôle. Et laisser la place à cette force, assez sauvage, que tu évoques. Ce sont ces phrases qui s’écrivent sur le clavier avec les mains plus vite qu’avec la tête. Très très surprenant la première fois. J’y apprends sur moi, mais pas seulement sur moi.

Sur des projets plus structurés, j’ai besoin de poser un plan, qui prendra plutôt la forme de schéma ou de mind-map. Mes idées ne sont jamais hiérarchisées ni cursives. Elles s’articulent ensuite entre elles par assemblage. C’est assez prise de tête alors, pour trouver l’équilibre des choses, et leur harmonie dans un mouvement, et un format. C’est aussi ce qui en fait l’intérêt.

« Le temps s’était comme arrêté, au profit de l’émotion. »

L : Peux-tu nous parler de tes différents livres ? Comment ont-ils vus le jour et que racontent-ils ?

Nathalie Straseele : Je raconte des histoires.
Qui sont à la base soient inventées, soit vécues, soit les deux mélangé.
J’ai juste envie de mettre une phrase et un petit extrait pour chacun.
Puisque nous avons évoqué leur genèse dans une autre question il me semble ?

L’arbre aux surprises raconte un lien et l’histoire d’un petit garçon, et d’une graine d’arbre d’origine inconnue. Dans le registre du merveilleux, le texte parle d’identité et de transmission,
« Charles était très fier de montrer ces trésors à ses amis. Il les emmenait dans les coins les plus mystérieux. Surtout cet endroit tout au bout, qui ressemblait à une clairière de jungle, sous des feuilles amples et grasses, avec un petit tapis de trèfles à quatre feuilles et de grandes fleurs rondes comme des soleils, mais rose vif et violettes.
Un petit arbre avait poussé là. »

Étrangetés raconte globalement des histoires de signes. De manifestations fantaisistes de la vie, en vis-à-vis, entre matière et esprit. Il est composé de 15 nouvelles, très variées de ton. Voici le texte en exergue de la présentation :
« Et si tu vois un grand canard blanc sur un lac, c’est quoi ?, demande-t-elle.
… ?
C’est un cygne ! »

ainsi qu’un court un extrait de la nouvelle intitulée Regard sur un tuyau :
« L’attitude du grand fils confirme d’ailleurs la gravité de la situation. Il passe le plus clair de son temps enfermé dans sa tanière, ne faisant des sorties que vers le frigidaire de la cuisine. Il passe alors avec dignité dans le jardin tel un prince égaré en ces lieux désolants, … »

Car l’amour court… parle d’amour (en général 😉 et de communication, au travers de quatre histoires différentes. Celle de Bérénice, celle d’Armelle et Romain, celle de Margot et Mathilde et René, et celle de celle qui n’a pas de nom.
Voici le texte en exergue de la présentation :
Quatre romans courts, Car l’amour court…
« Et toi ? Tu fais quoi ?  lui demanda-t-elle
– Ça roule ! » répondit-il.

ainsi qu’un court un extrait du roman court intitulé la stratégie de l’hirondelle :
« Jour de brume, vent d’ouest léger, torpeur tranquille, le bruit des vagues adoucit tout, le ciel de cotonnade endort les pensées et rend le sourire béat, laisse l’esprit en roue libre qui divague en un cheminement gratuit, les soucis aux vestiaires, pas de vestiaires mais des cabines de plage, plage, sable doux et mouillé, nuages en écharpes discrets, brume enveloppante.
Heure entre croissant jus d’orange matin, et apéritif distingué. Étendue de sable devant vue imprenable.
Aux yeux au su de tous, elles… »

Pau(o)se raconte l’histoire, vraie, d’une peintre (moi) et sa modèle inopinée (Sandra), devenues depuis grandes amies. Ce livre parle du féminin, et du monde intérieur. Il parle de création également. Il y a déjà un extrait sur le site. J’y rajoute quelques lignes.
« La question de la nudité, de l’intime et du désir se pose bien évidemment. Moi, je ne suis pas profondément troublée devant un corps nu, je ne ressens pas le désir de mélange charnel anonyme. Même si je peux percevoir le pouvoir de séduction ou la puissance sexuelle, heureusement je n’ai pas le désir systématique.
La matière, même sublime, n’est pas ce qui m’émeut. C’est autre chose, je ne sais pas de quoi il s’agit vraiment. Ce qui nous fait vibrer est mystérieux.
J’aime mélanger les choses dans l’écriture ou les techniques picturales, ou dans les domaines où l’analyse existentielle peut trouver ressort à s’aventurer. Dans cette situation d’accueillir cet homme chez moi, pour un travail de peinture, je ne me sentais a priori pas d’ambivalence. J’avais alors un atelier qui se prêtait à l’investigation, à la mise à distance, aux changements de focale comme en photographie. J’avais réalisé de nombreux croquis… »

« Cela m’a redonné le courage de faire à nouveau des démarches en ce sens. « 

L : Je t’avais dit : ne viens pas avant midi, au paradis a été écrit sur carnet, au stylo. T ‘a-t-il été difficile de te relire, de te corriger une fois l’ouvrage terminé ?

Nathalie Straseele : Au contraire. Cette écriture était très fluide, et je l’ai conservée comme telle. Le temps s’était comme arrêté, au profit de l’émotion. Sans aucune effervescence ni urgence. Une écriture très calme en fait il me semble, au fil du ressenti.
J’ai simplement réagencé, parfois reformulé par la suite, et intercalé avec les textes de mon frère. Pour cela il m’a fallu ajouter des séquences, surtout au début. Je voulais articuler aussi autour du temps, qui a une immense place dans le récit. Il y boucle.
La ligne éditoriale de la collection « L’orpailleur » est la non-linéarité du temps, comme me l’a énoncé Christophe Havot lors d’une journée de dédicace où nous nous trouvions. Il se trouvait là lui aussi pour une présentation de sa collection. Je venais de terminer l’écriture de « Je t’avais dit : ne viens pas avant midi au paradis ». C’est après avoir entendu cette phrase que je lui ai proposé le livre en lecture, en espérant qu’il l’accepte.
J’ai du batailler pour conserver le titre en entier. Tu imagines la contrainte pour un éditeur ! J’y tenais beaucoup, car c’est une phrase de mon frère, et elle est belle et poétique, très musicale, et elle correspond tellement au propos du livre, lié à ce décès trop tôt survenu.

L : Le pouvoir guérisseur de l’écriture a fait ses preuves sur ce roman. Tes autres écrits, quel bénéfice personnel t’ont-il délivré ?

Nathalie Straseele : Je ferai un à part un peu plus bas, sur le pouvoir guérisseur de l’écriture.
Mes autres livres sont plus légers dans les histoires qu’ils racontent.
Sans être cependant strictement distrayants .. tu parlais de distraction dans l’interview.
Je ne sais pas s’ils sont distrayants. Je l’espère. Mais j’aime le sérieux aussi, tel celui qu’ont les enfants dans les choses. La gageure est d’être à la fois profond et léger. Mes livres donnent de la lumière et des interrogations, ils donnent du sens, ou montrent l’absurde, oui, ils sont peut être distrayants, mais je suis à la recherche de sens, ils donnent bonne humeur en tout cas même s’ils ne parlent pas de choses anodines.
Ils me parlent de moi forcément, ils me parlent de ce que je vois et ce que je cherche. Ils me permettent aussi de parler aux autres par ce biais, et d’y mettre ce que je peux communiquer. L’écriture m’apporte beaucoup. Il y a de la joie, et c’est un travail aussi.

A l’occasion de cette question sur le pouvoir guérisseur de l’écriture, je souhaite compléter et je rajouterai ceci. A propos du premier de mes livres parus.
Delphine De Vigan dans son livre « Rien ne s’oppose à la nuit » relate ses recherches pour comprendre les circonstances du décès de sa mère, et la découverte ensuite du petit papier qui donnait les raisons de son suicide. J’ai vu peu après une interview de cette auteure, et elle avait choisi l’écriture, disait-elle, pour détourner la trajectoire de ce malheur. Phrase immense, incroyable et magnifique pour moi. C’était en 2011.
Quelques années auparavant j’avais écrit « La femme à la valise », écriture difficile mais libératrice, et hélas essuyé quelques refus d’éditeurs à l’époque… Cela m’a redonné le courage de faire à nouveau des démarches en ce sens. Pour montrer aussi, et c’était un pari, et cela me fait encore très bizarre de l’écrire aujourd’hui mais tant pis j’y vais, pour montrer que oui, peut être, on pouvait témoigner de cela et changer la trajectoire pour soi et les descendants aussi, sans se suicider avec un petit mot explicatif. Je ne voulais pas me suicider pour ce qui m’était arrivé. Mais j’avais très peur.
Victor Hugo dit «  Rien n’est plus fort qu’une idée dont l’heure est venue ». J’étais bien en avance, quelques années d’avance par rapport au mouvement #metoo etc, et une des premières à témoigner sur ce sujet à visage découvert. J’ai eu du courage, et il m’en a fallu beaucoup. Cette phrase de Victor Hugo dit bien cela, ce devait être dans l’air déjà…
Alors oui, l’écriture est puissante. Elle libère l’expression et la vie. Elle peut remettre les choses à leur place.
Cette ligne traumatique, c’est le sujet de « La femme à la valise » et il y a dans « Je t’avais dit : ne vient pas avant midi au paradis » l’évocation d’un prémisse, qui m’a impactée moi et toute la famille, et mon frère beaucoup. J’ai tenu à y intégrer ce souvenir, – à titre documentaire, à titre de corpus si je puis dire les choses ainsi, c’était indissociable – car il parle du phénomène lié au deuil, de ce qui se tisse et se détisse, il parle du lien, il parle du psychisme, et je l’évoquais tout à l’heure, du temps qui boucle et modifie la mélodie des choses.
Le livre est riche, il parle avec cela de bien plus que cela. Tu l’as lu, tu le sais.
Mon écriture n’est pas un exutoire, au contraire. C’est elle qui me guide.

L : As-tu une appréhension face à la page blanche (écriture comme peinture) ?

Nathalie Straseele : Ah non je ne connais pas ce phénomène. Pas du tout. La difficulté réside davantage dans l’adéquation du résultat. Et parfois dans l’envie de m’y mettre.
A gérer parfois.
Car il y a les jours sans…

L : As-tu une hygiène d’écriture particulière ?

Nathalie Straseele : Non. Je ne m’astreins à rien.
Je remarque que l’inspiration vient plutôt le matin.

L : L’auteur est-il un magicien d’après toi ? Je veux dire par-là qu’en écrivant il livre beaucoup de lui tout en touchant à l’universel. Quel processus permet selon toi d’atteindre une certaine « vérité » ?

Nathalie Straseele : Celui qui s’exprime ne parle que de lui-même au final. Le paradoxe veut que c’est en étant au plus personnel au plus intime au plus authentique que cela va résonner chez l’autre, que cela sera évocateur pour celui qui lit ou regarde. Et ce que raconte l’auteur est en fait assez secondaire. C’est son engagement et son implication qui comptent. C’est lorsque cela touche que cela fonctionne. Car cela fait alors prisme et miroir. Et parlera à celui qui regarde. Mais sans lui parler seulement de l’auteur ou de ce que l’auteur a choisi d’évoquer. C’est cette médiation par le triangle. Le livre, l’auteur et le lecteur. Le tableau, le peintre, et le spectateur. La photo, le photographe d’une part et celui qui regarde d’autre part. Le support n’est qu’un support, mais il donne éclairage et profondeur vis à vis du propos.
Je prends volontairement l’exemple de la photographie. Les notions de lumière, de cadrage, et de profondeur y sont familières.
Ce phénomène, je ne l’ai pas appris dans les livres, je l’ai expérimenté. Ce fut une surprise. Et une belle découverte.

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Foulard, crédit Nathalie Straseele (tous droits réservés)

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