[Auteur du mois] L’interview de Benoît Behudé (1ere partie)
Questions à Benoît Béhudé.
Afin d’aller plus loin dans la découverte de notre auteur du mois de janvier, nous vous proposons de découvrir son interview. Benoît Behudé s’y est prêté de bonne grâce, répondant aux questions de façon très complète. Cela vous permettra de vus faire une idée de la façon dont il envisage l’écriture, la littérature. Il revient sur la genèse de son premier roman Lièvre noir et nous invite à venir découvrir son univers en toute humilité. L’interview de Benoît Behudé (première partie) est à découvrir en exclusivité sur Litzic.
L’interview de Benoît Behudé
Litzic : Première question, comment vas-tu ?
Benoît Behudé : Parfaitement bien merci, je suis très honoré de lancer cette année sur Litzic. J’ai confié mon roman entre d’excellentes mains !
L : Quels sont tes premiers souvenirs de lecture ?
Benoît Behudé : Ce sont des souvenirs assez récents, puisque j’ai commencé à trouver de l’intérêt dans la lecture à 24 ou 25 ans, il y a de cela un peu moins de dix ans. En fait, c’est la musique, très présente dans ma vie, qui m’a poussé à ouvrir des bouquins. Ces deux univers sont intimement liés, si bien que pour saisir certaines références il m’a fallu apprendre à creuser de l’autre côté du disque. Évidemment, 1984 d’Orwell fut l’un des premiers, et à partir de là j’ai compris qu’il existait des œuvres incontournables à découvrir. Don Quichotte, Le Joueur d’Échecs ou Les Misérables ont également contribué à me mettre le pied à l’étrier. N’étant pas un gros lecteur, comme tu le vois, je me focalise sur les classiques, et encore aujourd’hui je ne lis pas, ou alors très peu, de romans contemporains.
On peut donc dire que j’ai deux premiers souvenirs de lecture, celui de ma jeunesse qui consistait à penser qu’un livre ne vaut pas une bonne adaptation en film, puis celui du jour où j’ai compris qu’aucun cinéaste n’arrivera jamais à retranscrire fidèlement un bon roman.
L :Quel est le premier livre à t’avoir marqué ?
Benoît Behudé : Sans hésiter, Crime et Châtiment de Dostoïevski. Je l’ai lu dans une période un peu compliquée de ma vie où j’avais besoin de solitude, et j’entretenais pour ainsi dire mon spleen aux côtés de ce malheureux Rodion. Quelque part il a été pour moi comme un compagnon de tourment…
Mes déboires ont finalement connu une meilleure issue que les siens, et je ne pense pas que je relirai un jour ce roman que j’ai aimé, mais que j’associerai toujours à cette période un peu maussade de ma vie.
C’est aussi avec ce livre que j’ai découvert à quel point un lecteur peut s’installer dans la tête d’un personnage et entrer dans une sorte de symbiose avec lui.
« J’aime ces artistes entiers, assumés quoique très discrets qui t’amènent à réfléchir sur n’importe quel sujet, même le plus anodin. »
L :De la même façon, quel auteur t’a profondément remué ? (on retrouve Zweig et Orwell mais aussi peut-être d’autres)
Benoît Behudé : Je vais t’en citer deux qui sont pour moi des auteurs bien avant d’être des chanteurs.
C’est tout d’abord Hubert-Félix Thiéfaine que j’ai découvert au lycée et pour qui je voue secrètement un genre de culte ! On a tous les ingrédients chez lui pour faire mouche, l’humour, la poésie, le trash et la sensibilité. Et comme musicalement j’y trouve largement mon compte, c’est forcément un artiste qui m’inspire beaucoup et pour qui j’ai un profond respect. Sa capacité à sublimer les mots et la puissance de ses allégories me font redécouvrir ses textes à chaque nouvelle écoute.
Le second est Georges Brassens, tout aussi caustique, il partage avec Thiéfaine cet anticonformisme qui est pour moi l’essence des plus grands. Ses textes sont parmi les plus jolis de la chanson française. La beauté de ses mélodies permet de faire passer à peu près n’importe quel message, d’autant qu’on ne décèle jamais vraiment le sens profond à la première écoute. C’est puissant et doux à la fois. J’ai longtemps chanté « Hécatombe » à ma fille pour l’endormir, une histoire où il est tout de même question du passage à tabac de gendarmes par une meute de femmes enragées et qui s’achève par leur émasculation sur la place publique ! Et pourtant, cette chanson est tellement douce !
J’aime ces artistes entiers, assumés quoique très discrets qui t’amènent à réfléchir sur n’importe quel sujet, même le plus anodin.
L :Ecrivais-tu dans ta jeunesse ?
Benoît Behudé : Absolument pas ! Je n’étais pas franchement scolaire, du moins j’ai très vite compris qu’en assurant là où j’avais quelques facilités je pouvais m’épargner d’être studieux. Mon objectif a toujours été d’en faire le moins possible pour atteindre la moyenne. Grâce à ça, je passais le plus clair de mon temps libre à m’amuser. Les copains, les concerts et l’alcool, c’était une jeunesse légère et fort plaisante, très loin de la littérature.
L :Comment as-tu commencé à t’imaginer écrire une histoire à toi ?
Benoît Behudé : Le processus de création artistique m’a toujours attiré. J’ai vécu l’expérience de composition collective comme bassiste d’un groupe de rock avant de tout arrêter pour vivre pleinement ma petite déprime ! C’est dans cette période de transition que j’ai commencé à écrire, à l’époque ça n’avait pas été très concluant, je me souviens d’une scène de tripot enfumé dans l’annexe d’une église entre trois curés un peu punks sur les bords. C’était certainement très médiocre, mais ce sont les premiers personnages sortis de ma tête.
Il faudrait que j’essaie de retrouver ça d’ailleurs. Entre cet essai assez bref et les premiers chapitres de Lièvre Noir, j’ai longtemps imaginé des débuts d’histoires, mais sans pour autant les coucher sur papier. Puis j’ai découvert que mon grand-frère avait secrètement écrit un polar en 2018 (« L’aveu mortel » aux éditions du Pythagore), et je pense que ça m’a motivé à m’y remettre, pas par rivalité fraternelle mais plus comme la preuve qu’un amateur peut lui aussi créer une œuvre de A à Z. Comme souvent, mon frère a été une sorte de guide spirituel pour moi, et je l’en remercie.
« C’est très frustrant d’avoir une heure ou deux pour écrire… »
L :Quels ont été tes freins, tes moteurs ?
Benoît Behudé : Comme je le dis plus haut, j’ai mené une scolarité de fainéant. Lorsque mes profs m’ont présenté les alternatives après le brevet, j’ai vu une filière générale qui rimait avec investissement personnel, et une filière pro où mon temps libre pourrait être consacré aux loisirs et à la fête. Le choix a été vite fait ! J’ai adopté la philosophie du strict minimum pour prendre mon BAC tout en profitant de la vie, et j’ai stoppé les études à 18 ans pour bosser. Le hic, c’est que je pense accuser certaines lacunes, notamment grammaticales, et je regrette de ne pas avoir été plus courageux pour suivre un cursus littéraire qui me serait bien utile aujourd’hui.
J’ai donc parfois un peu ramé sur Lièvre Noir avec le choix des temps. C’est un roman écrit au passé, avec en prime des flashbacks, autant dire que j’avais mis la barre un peu haute pour une première ! Heureusement que mes correcteurs étaient là pour gommer certaines conjugaisons criminelles.
Il m’a fallu aussi plusieurs fois m’obliger à ne pas abandonner face au manque d’inspiration. L’écriture s’est étalée sur plus d’une année avec parfois des phases de pause de trois ou quatre semaines. C’est très frustrant d’avoir une heure ou deux pour écrire, de s’installer au calme et de se sentir totalement exsangue. Finalement ces longues pauses m’ont peut-être permis de ne pas être écœuré par mon texte.
Mes motivations ont évolué en même temps que mon roman. À la base, je voulais simplement me détendre, puis l’intrigue est née, il a alors fallu que je crée des personnages, et je me suis encore plus investi. Imaginer les énigmes, les déplacements, c’est très stimulant. Ce qui booste le plus, c’est de parvenir à recoller deux situations, comme avec la trouvaille Jézabel, qui peut sembler assez anecdotique, mais qui m’a permis de faire un lien significatif.
C’est tous ces petits plaisirs qui motivent et bien sûr dans un second temps les retours positifs des premiers lecteurs, la famille et les copains.
Mais le principal moteur reste l’envie et l’honnêteté. Si un jour j’écris à contre-cœur, ou si je me mens sur la qualité de mes textes, alors j’irai droit dans le mur.
» J’ai écrit le premier chapitre à l’instinct. »
L :Que signifie pour toi « être auteur » ?
Benoît Behudé : Voir sa tronche sur un site culturel dans la rubrique « L’auteur du mois » ? Non, honnêtement, c’est une question compliquée. L’écriture est un art, je dirais que l’auteur est donc celui qui se donne du mal au service de son œuvre. Je me considère comme un auteur, puisque j’écris des histoires originales, maintenant si on se rencontre en soirée et que tu me demandes ce que je fais dans la vie, je te répondrai que je suis fonctionnaire. Dans mon esprit, l’auteur qui se définit en tant que tel est celui qui vit de ses écrits. Voilà où se trouve la nuance selon moi. Je suis donc un auteur amateur.
Je me suis essayé à la peinture, je joue de la gratte, pour autant, je ne suis ni un artiste peintre ni un musicien, juste un piètre bidouilleur qui parfois arrive à créer quelque chose d’intéressant !
L :Comment as-tu élaboré ton roman Lièvre noir ?
Benoît Behudé : J’ai écrit le premier chapitre à l’instinct. L’idée me plaisait de dépeindre une scène à la fois banale et anormale : un gars qui part au turbin dans un monde qu’on devine quelque peu chaotique. C’est lorsque l’univers a pris forme que j’ai commencé à imaginer le type d’intrigue que j’allais développer. Étant moi-même papa d’une petite fille, mon inconscient a certainement cogité sur la chose la plus angoissante pour un parent : l’enlèvement de son enfant.
Finalement, ce monde dévasté sert l’intérêt de l’intrigue puisque Sam, le héros, ne peut compter sur personne pour mener son « enquête ». Je tenais avant tout à écrire une histoire sans flics ni armes à feu. Tout s’est fait de façon linéaire, et dans l’ensemble, les chapitres se suivent presque dans l’ordre où ils ont été écrits.
L :Peux-tu me le résumer rapidement ?
Benoît Behudé : Pour bien résumer Lièvre Noir, il faut déjà planter le décor. Nous découvrons une France de la deuxième moitié du 21e siècle radicalement transformée par des bouleversements sociaux majeurs. La société est dorénavant cloisonnée, et les libertés des individus proportionnelles à leur statut de travailleur. La procréation est ainsi devenue le privilège des seules élites, entre autres disparités notoires.
On y suit Sam, un travailleur subalterne, papa d’une enfant clandestine qu’il élève seul depuis la mort de sa compagne, July, et dont le monde s’écroule lorsque Claris disparaît mystérieusement. Bien que ses soupçons se portent très vite sur des marginaux présents dans l’immeuble avant l’enlèvement et eux aussi introuvables, il n’est pas sans savoir que des agents à la « protection de l’enfance » sillonnent secrètement les banlieues pour faire main basse sur ces progénitures cachées.
La découverte d’un poème pourrait alors être son seul et unique indice pour remonter la piste des ravisseurs…
Relire le portrait (subjectif) de nôtre auteur du mois, ainsi que son portrait plus objectif.
Lire le chapitre 4 de Lièvre Noir
Lire la chronique de Lièvre noir