DAVID LE GOLVAN, interview première partie.

Découvrez l’interview de David Le Golvan, notre auteur du mois de mars, dont nous vous dévoilons la première partie.

L’interview de David Le Golvan sera déclinée en plusieurs parties tant le contenu y est riche. Cette première partie revient sur son rapport à la lecture, ses premiers émois littéraires, ses auteurs fétiches etc… La deuxième sera un retour sur son livre Un commerce équitable, la troisième sur tout le reste. Bonne lecture !

L’interview de David Le Golvan.

Litzic : Salut David, tout d’abord, comment ça va ?

David Le Golvan : Impeccable ! Comment pourrait-il en être autrement ?

L : Peux-tu expliquer brièvement aux lecteurs de Litzic qui tu es et quel est ton parcours ?

David Le Golvan : Je suis un (frais ?) quinquagénaire qui n’est jamais sorti de l’école : une peine de trente-six ans dans le Loiret, maternelle dans ma ville natale de Briare, collège, lycées, faculté- ah si ! Une incursion à Tours.- et enseignant dans ce même département qui est devenu un décor obligé de la plupart de mes textes. Pas très exotique mais reposant pour l’imaginaire. Une jeune stagiaire de l’Education Nationale m’a fait quitter le nid et j’ai été transféré en Seine-et-Marne où je vis et enseigne la littérature dans un lycée de Fontainebleau . J’ai trois enfants.Parcours géographique plutôt plan-plan, parcours social plus reluisant grâce à un ascenseur social qui carburait convenablement à l’époque.

L : Quels sont tes premiers souvenirs de lecture ?

David Le Golvan : Comme ceux de ma génération, la Bibliothèque rose – Club des cinq, Oui- Oui- et la verte – Les Six Compagnons-. Je pratiquais – et je pratique toujours aussi peu- la bande dessinée- à l’exception de Tintin que j’aime beaucoup encore. Les extraits dans les manuels scolaires me donnaient souvent
une petite frustration qui a sûrement beaucoup contribué à exciter le goût. J’ai eu très tôt le virus maternel : la dévoration des livres.

L : Le premier livre qui t’a réellement marqué ? Est-ce lui qui t’a donné envie d’écrire ?

David Le Golvan : Attends, j’essaye de reculer année après année…Ça peut être long… Bon je m’arrête à dix-sept, dix-huit-ans. Je ne me souviens pas qu’avant il y ait eu un livre plus qu’un autre qui m’ait profondément marqué. Chacun était une petite fenêtre sur une nouveauté, une bizarrerie, un nouveau visage ; j’avais l’étonnement facile. Je lisais au hasard, un peu comme maintenant, quand mon boulot le permet.Le premier qui m’a fichu une gifle et qui m’a remué, c’est peut-être Les Pensées de Pascal. Oui, je sais, ce n’est pas très sexy, ça ne donne pas envie de faire plus amplement connaissance !… Mais je n’y peux rien, j’assume tout à fait ce petit goût pour la spiritualité sombre. Je paie peut-être l’influence de mes années de caté et ma place dans le choeur de l’église les dimanches !… Ce qui me fait dire que c’est Pascal le point de départ, c’est le lien qui peut se tisser aussi avec cette spiritualité chez Huysmans qui a été aussi mon deuxième jalon important.

Est-ce que c’est ça qui m’a donné envie d’écrire? Eh non ! Bien au contraire ! Le problème de mon métier , c’est qu’on croise à chaque fois des auteurs qui te foutent un coup de poing sur la tête, qui t’enfoncent en te disant : « Reste à ta petite place, mon bonhomme, tu n’as rien à dire d’intéressant. Contente-toi de nous servir la soupe ! ». Alors j’ai fait carpette toute ma carrière et j’ai joué leur domestique, jusqu’au jour où une génération d’écrivains m’a semblé plutôt petits bras et ne m’a plus vraiment impressionné. C’était plus facile pour le lancer en disant que si je disais des niaiseries, pas grave, je serais plutôt dans la norme.

Aucun auteur ! Le livre, uniquement le livre !!

L : A quel âge l’écriture d’histoire a-t-elle vu le jour chez toi ? Quel en a été le déclencheur ?

David Le Golvan : Je vois trois grandes périodes : la première entre six et neuf ans. Le déclencheur, la découverte de l’écriture tout simplement ! La maîtresse de CP m’a installé dans le fond de la classe parce que je lui avais dit que je voulais devenir écrivain ; j’ai rédigé les premières pages du récit « Le Petit Indien et le crocodile »… J’attends toujours la réponse des Éditions de Minuit. A neuf ans, je me suis lancé dans un récit de science-fiction. C’était l’époque où je baignais dedans en m’abreuvant de l’émission Temps X des frères Bogdanov, du feuilleton Cosmos 1999, de la musique de Jean-Michel Jarre et de la musique électronique de Kraftwerk. Une petite enfance en orbite, « dans la lune » auraient dit mes parents : je n’aurais jamais pensé retourné à ce genre quarante ans après…J’ai récidivé vers 1996 avec un manuscrit que j’ai retouché il y a quelques mois et qui est parti à la pêche d’un éditeur. Là pour le coup, j’ai quitté la SF et j’ai penché vers le roman noir. Et puis il y a trois ans, après des périodes de préparation de concours qui m’ont barbé au plus haut point, je me suis relancé dans l’affaire avec une frénésie qui devient presque inquiétante…

L : Quels auteurs te faisaient rêver adolescent, puis une fois adulte ?

David Le Golvan : Aucun auteur ! Le livre, uniquement le livre !! Quand je lis parfois les biographies d’auteurs, ils me paraissent bien souvent imbuvables, enfermés dans leur névrose, leur narcissisme, des caractériels pas toujours intéressants voire décevants… Franchement, aller sympathiser avec Blaise Pascal… alors que je peux adorer ce qu’ils créent. Je lis pour m’écarter ponctuellement de la compagnie des hommes que j’aime par ailleurs – bah oui, je ne suis pas misanthrope contrairement à ce que mes textes pourraient suggérer…- , donc la personne même de l’auteur ne m’intéresse pas. Je ne cherche pas une personne à travers les livres, je cherche les gens, le monde, quelque chose de global. Peut-être pour ça l’idée d’autobiographie ou d’autofiction m’ennuie le plus souvent.

L : Quel est ton livre de chevet, celui que tu as lu au moins un milliard de fois ?

David Le Golvan : Pour moi c’est contre-nature de relire indéfiniment le même bouquin. Le boulot d’ailleurs m’y oblige trop souvent. Si tout va pour le mieux, il me reste une poignée de décennies à vivre, pas plus. Je n’ai aucun intérêt pour le radotage. Ça m’arrivera bien assez tôt… Je lis une bonne centaine de livres par an ; il y a quelque chose d’étourdissant, une ivresse de découvertes que je ne tiens pas à freiner, à brider. S’enfermer sur un livre, c’est vieillir, c’est radoter justement, c’est refuser d’être bousculé. Lire des textes radicalement différents, c’est refuser de mourir même. Lire des pages du physicien Etienne Klein, par exemple, c’est s’extasier comme un gosse en me disant qu’il me reste tout ça à connaître !

L : Et ton auteur fétiche ?

David Le Golvan : J’ ai cité Pascal, Huysmans. Pour ces deux, c’est plutôt mes premiers pas d’étudiants dans la littérature. Après j’ai fait d’autres rencontres, surtout des conteurs : Tournier, Perutz. Je dois avouer que j’ai une dette énorme en tant qu’écrivain envers Pascal Bruckner qui est celui dont je surveille actuellement toutes les parutions, même quand il me déçoit. Je dois avoir tout lu. J’adore son ironie proche de la perversité et j’apprécie son style plutôt classique. Je t’en parlerai à propos de mes livres…

Les « Auteurs » sont des humains avant tout, parfois très médiocrement humains avec des phases de vie exaltantes et des phases dépressives. Rien d’enviable donc.

L : Petite question un peu vache. Beaucoup de prof d’arts plastiques ou de musique s’estiment artistes (oui j’en connais plein des comme ça). Qu’en est-il des professeurs de français et/ou de littérature quant à la dénomination d’écrivain ? Te penses-tu comme auteur ou plus comme professeur ?

David Le Golvan : ( J’aime tout ce qui est vache, sinon je n’aurais pas écrit mes romans…) Les deux, mon capitaine, mais séparément ! Je pense peut-être que nous les profs de lettres, on est plus intimidés à se proclamer auteur puisqu’on passe derrière toute une ribambelle de noms panthéonisés par la culture notamment scolaire. Avec cette peur de se dire : qu’est-ce que je vais pouvoir bien dire de plus intelligent qu’un Sartre, Voltaire, Flaubert et tutti quanti… Donc je connais pas mal de profs de lettres tétanisés par la simple idée de se mettre à écrire. En fait on est une race trop idolâtre et surtout trop remplie des mots des autres pour s’y mettre soi-même. Donc la sécurité, c’est de se la jouer modeste, du genre : « j’ai écrit ce petit truc en deux ou trois mois parce que j’avais rien à faire des vacances, dis-moi ce que tu en penses. » ! Pour répondre à ta question : je me sens prof à certaines heures, comme le garçon de café chez Sartre, puis auteur le soir, les heures où j’écris, en plus authentique peut-être… Mais ça, ce que je te dis, c’est un mirage ou une vaste blague : le prof de lettres frappe toujours à la porte de l’auteur pour se faire inviter…

Je me méfie absolument de toute forme de discours même si je suis payé pour en faire.

L : Je ne sais pas comment tu parviens à ne pas te sentir écraser par le poids des auteurs que tu fais étudier, qu’ils soient classiques ou plus contemporains. Quel est ton secret pour ne pas avoir de pression à ce niveau-là ? Tu parlais d’auteurs plus petits bras, mais les Auteurs majeurs, pour autant, ne disparaissent pas. Ce qui suit est peut-être du même ordre : ton écriture n’est pas ampoulée, pas scolaire malgré ton bagage et ton vécu. Comment t’en affranchis-tu, de ce côté scolaire ?

David Le Golvan : Oh c’est simple ! pas d’idolâtrie, pas d’enthousiasme. Tête froide. Les « Auteurs » sont des humains avant tout, parfois très médiocrement humains avec des phases de vie exaltantes et des phases dépressives. Rien d’enviable donc. Je ne fantasme absolument pas sur la vie d’un Kafka ou d’un Mallarmé. Leur engagement en littérature exigeait des sacrifices intenables pour moi. J’ai toujours préféré de loin la vie à l’écriture et même à la littérature, même si je me suis bien servi d’elle pour mener ma vie bonne et éviter les mirages. En fait, l’idée d’avoir un modèle ne correspond pas à ma personnalité. Quand on me demande quel est mon auteur préféré, question tarte-à-la-crème à un prof de lettres, je me force à répondre :  « Huysmans ! ». Mais ça fait certainement vingt ans que je n’ai plus touché à un roman de cet auteur, peut-être une nouvelle de lui à destination de mes élèves. Pas de posters, de badges ni de T-shirts Huysmans ! Si, un cadeau de mon frangin, une carte de visite écrite de sa main avec un petit mot d’excuse pour cause de maladie… ça m’avait fait plaisir, j’avoue. Inconsciemment, je crois pourtant que mon écriture lui doit beaucoup, mais il faudrait que je le relise pour m’en rendre compte.

L: En tant que professeur de littérature, quel rôle reconnais-tu à la littérature dans l’évolution de l’être humain ?

David Le Golvan : Aïe… tu mets le doigt sur mon pessimisme ou mon décalage par rapport à mon époque… En aucun cas de se faire le relais de l’opinion, ce qu’elle a plus que tendance à faire actuellement…Les écrivains qui correspondent à mon idée de la littérature, ce sont proprement des emmerdeurs, sur la forme et fond, des sceptiques rigolards et surtout ironiques. Je suis peut-être entré en littérature parce que ce qu’on essayait de me faire avaler, à l’école et ailleurs, une réalité selon des dogmes, selon des vérités qui ne me convainquaient absolument pas.

La bonne conscience m’a toujours fait grincer des dents ; je ne suis d’aucune église. Je me méfie absolument de toute forme de discours même si je suis payé pour en faire. La littérature est peut-être l’un des derniers espaces culturels de la liberté de penser, celle qui incite à penser autrement ailleurs, à se mettre à l’écart. C’est si précieux et si sain de s’écarter dans la vie. Bousculer le lecteur, c’est ce qu’il y a de plus excitant quand j’écris, jouer avec ses convictions, ses nerfs. « Arrête-toi et pense », c’est ça pour moi, lire un livre. C’est ce qu’on fait la plupart des grands auteurs, quelles que soient leurs orientations politiques ou religieuses.

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