[ ROMAN ] DAVID LE GOLVAN, Un commerce équitable.

Un commerce équitable, par notre auteur du mois de mars David Le Golvan (parut aux Éditions La p’tite Hélène éditions).

Voilà un drôle de titre de roman : Un commerce équitable. Surtout que, dans ce roman, ce caractère équitable est des plus discutables. David Le Golvan nous tire le portrait d’un être relativement abject, politicien en quête de sens, Tony, qui s’entiche de Claude, « une femme du peuple », claudicante et non diplômée. Son but, éduquer cette dernière, ce qui ne va pas s’avérer sans conséquences.

Un roman politique.

Non non ne partez pas ! Nous n’allons pas faire l’apologie d’un parti ou d’une doctrine politique, tout comme un commerce équitable n’en parle pas vraiment. Enfin si un peu mais… Bon, disons simplement ceci. Tony, personnage imbu de lui-même, pédant, s’étant extirpé de son milieu social grâce à des études rondement menées, fait partie des jeunesses d’un parti politique s’apparentant au parti socialiste. Mais nous le sentons lassé de cet exercice de porte-parole, lassé par les gens (qu’il n’aime pas), lassé par un socialisme qui n’en est plus un, juste fait de rhétoriques et non d’actes. Un socialisme qui n’en porte que le nom, mais qui est déconnecté de la réalité.

Alors qu’il fait ses courses dans un supermarché, il voit, à travers la vitre séparant le labo de l’étale de boucherie, Claude, une apprentie bouchère, se faire houspiller par son tuteur. Il décide que ce sera elle. Il la séduit aisément (c’est un beau gosse, celui dont rêvent toutes les femmes, car en plus d’être beau, il est intelligent, propre sur lui etc…) et ils commencent leur vie de couple. Elle sent qu’il y a anguille sous roche, mais on ne quitte pas un homme comme Tony, c’est lui qui nous quitte.

Lutte des classes, recherche d’ancrage.

Vous me direz, il n’y a pas-là grand-chose de politique. Et vous aurez raison. À vrai dire, nous avons droit, avec la plume habile de David Le Golvan, à des fragments lumineux de rhétorique politique d’une inconsistance toute politicienne. Ceux-ci interviennent en éclair, au détour d’une conversation entre « élites », ou lors d’un coup de gueule de Tony. Pour le reste, la politique n’est pas si visible que cela. Elle se dégage de la lecture globale d’Un commerce équitable. Il y est question de politique au sens premier du terme, de lutte des classes, mais également du choix de vie de tout un chacun.

Ce choix de vie s’avère éminemment politique. En effet, Tony renonce à pratiquer son art oratoire pour « éduquer » Claude. Libre à chacun d’y voir ce que bon lui semble. Pour notre part, nous voyons Tony s’enfoncer et Claude s’élever, pour atteindre, en fin de roman, un équilibre presque parfait. L’érudit et la femme sans bagage scolaire se trouvent sur des actes simples, de construire un char pour un défilé, un char oiseau/phénix, qui part en fumée lors d’un feu de la Saint-Jean, annonçant un renouveau.

Pour qui ? Pour quoi ? Pour un amour qui va naître (parce que l’amour n’existe pas, comme nous l’entendons d’ordinaire, entre les deux membres du couple) ? Pour un renouveau politique de Tony ? Dur à savoir, mais les possibles sont multiples.

Et puis quoi ?

Un commerce équitable ne nous fait pas aimer son personnage principal. Celui-ci est un beau connard, pour parler vrai. Nous avons de la peine pour l’héroïne, une femme simple qui ne demandait rien à personne et qui se retrouve dans les mailles d’un filet qu’elle n’a pourtant pas cherché à fuir. Alors, elle se défend comme elle peut, avec un bâton de twirling, et on rigole de voir le bellâtre s’en prendre plein la tronche. La frêle femme se défend plutôt bien, et lui semble aimer cela. La lutte des classes, la vraie, la physique.

Mais quoi au fond ? L’aime-t-il ? Que lui veut-il ? La manipuler ? Non… enfin un peu oui, mais pas tant que ça. Il y a malgré tout un soupçon de tendresse là-dedans, si ténu qu’on ne le voit qu’à peine. Pourtant, quand elle atteint un point que nous pouvons juger de non-retour, on sent que son cœur (et son esprit) à lui s’ouvre à cette femme. Puis, dans la troisième et dernière partie, nous sentons que ses idées politiques trouvent une véritable dimension sociale dans ce travail de confection d’un char. Et dès lors, dans les dernières pages, on se prend contre toute attente à l’apprécier, ce connard.

Et surtout, nous regrettons que la lecture s’achève là, que nous ne voyons pas le phénix renaître de ses cendres pour nous offrir, enfin, un autre visage (celui d’un politicien proche du peuple et œuvrant pour les intérêts de son prochain ?).

Et la plume dans tout ça ?

David Le Golvan maîtrise son sujet de bout en bout. La « déchéance » de Tony (nous mettons déchéance entre guillemets car, choisie, mesurée, pesée, peut-elle être toujours définie comme telle?) y est décrite sobrement, sans effets de manche. Le langage utilisé s’oriente autour de cette nouvelle donne. Les envolées lyrico-rhétoriques laissent place à un langage moins soutenu, les noms d’oiseaux volent, le bel homme devient la bête, la femme fragile se défend, gagne une épaisseur.

Et puis, ils deviennent petites gens, tous les deux. Et la plume de David Le Golvan reste au beau fixe, aérienne presque, survolant tout ceci sans condescendance. Y ressent-on de l’amour pour Tony ? Non, sauf à la fin, où nous nous disons que, comme Tony qui a cherché à éduquer Claude, David Le Golvan a réussi à éduquer Tony à « la vraie vie ». Tout cela est rondement mené, la boucle se ferme, et Un commerce équitable, ce titre qui nous paraissait étrange, gagne son nom.

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