[ INTERVIEW PART III ] DAVID LE GOLVAN, auteur du mois

Interview part III.

David Le Golvan nous parle de sa façon d’écrire, de ses inspirations musicales, de sa nouvelle Narcolepsie, de son roman Les Appelants… Bref, il se livre une nouvelle fois, pour cette interview part III qui conclut l’interview plus globale dont vous pouvez retrouver la partie I ICI et la partie II ICI.

Part III.

L : As-tu l’écriture facile ou bien nécessite-t-elle, pour toi, d’avoir recours à un millier de brouillons ?

David Le Golvan : N’y vois aucune forme de prétention, mais oui, j’écris très facilement… ce qui ne veut pas dire que j’écris bien !! J’ai un rythme d’écriture assez surprenant aux yeux de mes proches, qui d’ailleurs m’étonne moi-même puisque je m’y suis mis sur le tard. Mais six romans et deux pièces de théâtre en quatre ans,et une nouvelle, je pense que ce n’est pas mal… Problème, je me mélange dans les dates d’écriture. Je ne me souviens plus par exemple de la période exacte de « Narcolepsie »

L : Te lances-tu billes en tête dans la rédaction ou construis-tu ton histoire à partir d’un plan rigoureux ? Les « sorties » de piste existent-elles chez toi ?

David Le Golvan : Je ne pratique pas l’écriture spontanée, mais alors pas du tout ! Moi qui n’y connais rien en automobile, je suis un obsédé de la mécanique littéraire. C’est presque psychorigide chez moi. Le plan est donc nécessaire, jusqu’au nombre de pages que je dois consacrer à tel ou tel épisode, les heures auxquelles je m’y mets. Il faut que la fin soit achevée en esprit au tiers de mon travail, à la dernière phrase près que j’inscris sur mon cahier en prévision pour ne pas l’oublier, jusqu’aux derniers mots près (j’ai inversé cent fois dans ma tête la dernière phrase de mon premier roman pour enfin me décider). Les trois derniers mots d’Un commerce ont été l’objet d’une longue réflexion.

Tous mes romans ne tiennent que par leur fin. D’où je pense ce ton distant et ironique souvent qui trahit que je sais très bien où je vais, que je suis en train de malmener mes pauvres lecteurs. Des pannes sèches ? Ben non, pas encore… Des « sorties de piste » ? Oui mais en dérapage contrôlé. Exemple, celui que je suis en train de finir. Une trentaine d’heures de brouillon cet été. Défi « oulipien » : cinquante chapitres obligatoires avec pour chacun une nouvelle idée et un nouveau thème obligatoire avec un ensemble final qui soit cohérent. J’en suis au quarante-troisième et toujours pas de panne, je me méfie pour deux mais je pense achever le tout en avril avant relectures. La lecture sur brouillon d’une étape me déçoit, j’essaie de rapiécer avec une autre idée voisine, c’est mon démon de l’analogie qui parle.

Ouïe, prudence sur le mot romantique !

L : Dans un commerce équitable, il n’y a pas beaucoup de place au romantisme dans la relation des deux « acteurs » principaux. Penses-tu qu’une relation amoureuse bancale comme la leur peut néanmoins l’être, romantique ?

David Le Golvan : Ouïe, prudence sur le mot romantique !(ouais, je sais, je fais le prof lourdingue…)Il m’arrive parfois de dire à mes élèves : « N’épousez jamais un romantique ! Sale race ! ». Nos grands héros romantiques patrimoniaux sont bien trop plein d’eux-mêmes pour réussir leur histoire d’amour. L’amour du narrateur de « La Rondette » et le projet amoureux de Tony qui veut aimer Claude qui est « Toute-souffnance » pourraient paraître romantiques dans un certain sens, mais comme tout bons romantiques, ils sont avant tout narcissiques jusqu’à tourner pervers puissance mille dans mes bouquins ou se vautrer.Peut-être pour ça que je le sauve un peu, Tony, sur la fin, quand il s’est enfin tourné vers Claude, l’a enfin prise dans son angle de regard. Il l’a aidée à construire ce char, chargé de plein de symboles en fait. Bref , je me méfie des romantiques parce qu’ils loupent le vrai amour, le respect de l’autre, de sa différence même quand elle est radicale comme celle de Claude. Mes personnages féminins sont plus méritantes, plus patientes parce qu’elles comprennent mieux le sentiment amoureux.Il y a beaucoup plus de salauds que de salopes dans ce que j’écris… ça pourra changer, qui sait ?

L : As-tu une idée de roman qui traîne quelque part dans ta tête depuis longtemps et que tu n’arrives pas à sortir parce qu’elle te paraît trop ambitieuse ?

David Le Golvan : Mon idée de roman la plus ancienne était Un commerce. Je voulais absolument le faire.Je n’en suis ni content ni déçu ; il existe et c’est l’essentiel. Tout ce que je porte dans ma cervelle, c’est plutôt nouveau (à part mon roman « de jeunesse » « L’agrestie » qui est parti à la recherche d’éditeurs..). J’ai un projet de septième roman, assez barré aussi, qui exige que je me renseigne sur la théologie chrétienne, la médecine douce et la médiologie. Vu les ingrédients, ça sent le casse-gueule. Je m’y mets sans doute l’année prochaine. Je te dirai si je me suis noyé ou pas !

Très souvent, je fais exactement comme toi ! Je mets une B.O.L., une musique qui accompagne les images que j’ai dans ma tête, pour appuyer la tension, créer l’atmosphère, pour accroître la pesanteur.

L : Tu me parlais en off de ta façon d’écrire, avec une bande-son. Quels sont, en gros, les morceaux de musique qui ont accompagné tes différents romans ?

David Le Golvan : Là on touche le secret de fabrication, surtout celui des Appelants ! Je vis en musique, avec ma discothèque de trois mille albums (oui, je sais, ça fait ringard à l’heure de Spotify… j’assume !) et mes playlists du soir. De l’anglo-saxon en très grosse partie, ce qui fait un lien entre toutes mes années jusqu’à ma plus tendre enfance et à la découverte du rock, sans doute en maternelle.

J’y vais donc : La rondette = « There is a light which nevever goes out » des Smiths (tout est dans cette chanson, paroles et musique, je l’ai même citée dans le texte) Un commerce équitable : pas de vrai tube, l’esprit d’une musique, un peu comme si Jean-Sébastien Bach jouait God save the Queen des Sex Pistols ( ça lui reposerait les doigts et les neurones)Les Appelants invoque plus un courant musical, celui de « l’ambient » ou de la « Thinking music » portée par Brian Eno surtout, qui est un artiste énorme personnellement, donc le dernier morceau de son album On land. Mon quatrième roman (en quête d’éditeur) « Brutalisme » : « Burning car » de John Foxx.

L : Et ceux qui ont accompagné ta vie de façon plus globale ?

David Le Golvan : « Ashes to ashes » de David Bowie « Whuthering heights » de Kate Bush, « Waterfront » ou « Brillant tree » de David Sylvian…jusqu’ à la fin de mon temps !

L : Tu parlais de ton caractère un peu maniaque et compartimenté pour écrire. Quelle est justement, un peu plus en détail, ton hygiène d’écriture ?

David Le Golvan : Elle s’est mise en place assez rapidement, avec quelques rituels que j’aime bien varier tout de même. L’écriture, c’est surtout le soir ( 20h00 à 22h), à peu près deux pages en très grande forme. Je me relis plutôt peu au début: je prends mon rythme de coureur de fond sans trop regarder en arrière, simplement les lignes précédentes. Très souvent, je fais exactement comme toi ! Je mets une B.O.L., une musique qui accompagne les images que j’ai dans ma tête, pour appuyer la tension, créer l’atmosphère, pour accroître la pesanteur. Je veux créer des images, une ambiance, ce sont mes deux préoccupations principales. La question du style vient après, lors de mes quelques relectures.Contrairement à beaucoup d’autres écrivains et sans doute aux priorités littéraires ou éditoriales de notre époque, ce n’est pas là-dessus que je mise. Je suis conscient d’avoir une écriture classique, sans doute trop sage parce que c’est pour moi le contenu qui ne doit pas être sage.

Trouver un ou des éditeurs pour mes romans

L : Les Appelants est une dystopie. Un commerce équitable s’apparente à une « fable » sociale. Le grand écart entre les deux styles comporte tout de même une constante : la société telle que perçue par les acteurs principaux des deux bouquins. Est-ce ton principal sujet de discussion de tes livres ? De quoi parlent de tes autres romans ?

David Le Golvan : Oui, je pense que l’essentiel de mes bouquins, c’est la question de la perception. Ce qui m’intéresse chez mes personnages, c’est leur manière de s’enfermer dans une vision erronée de l’existence aux yeux du plus grand nombre, s’enferrer dans quelque chose qui les bouffe, qui les détruit, qui les mène à une forme de folie,un acte démesuré. A travers leur folie, je souhaite que les lecteurs, qui passeront quelques heures en leur désagréable compagnie, y trouvent peut-être une toute petite part d’eux-mêmes de leurs propres contradictions entre leurs principes et leurs actes. En gros, je cherche à créer un malaise. Encore une fois, la littérature pour moi doit miser sur le malaise, sinon elle tombe dans une forme de pensée bourgeoise, contente d’elle-même, de son conservatisme.Ce genre de bouquins me tombent des mains au bout de dix pages. Habib, dans les Appelants, subit le poids d’une vision erronée, j’ai un peu plus de sympathie pour lui ; une bonne partie de mes autres personnages creusent leur propre tombe en fait.

L : Ta nouvelle Narcolepsie se tourne vers la farce, plaçant un personnage important (nous vous invitons à relire la nouvelle à ce lien) dans une situation fortement décalée par rapport à sa fonction. Ici, je ne retrouve pas, justement, ce côté « société » évoqué dans la question précédente. La comédie est ici grinçante, on ressent le malaise de cet homme, un peu comme dans Les Appelants le malaise de Martin (et dans une moindre mesure de celui de Habib). Tu aimes nous amener dans nos retranchements, nous lecteurs, mais également tes personnages ?

David Le Golvan : Sans vouloir dévoiler la chute (!) de la nouvelle,il y a peut-être une continuité dans le fait que ce personnage comme mes trois précédents romans, soit condamné à mentir, à se mentir à lui-même dans le quotidien. Cette position étrange, impensable d’ailleurs pour ce personnage qu’on imagine en fait constamment debout, celle que lui procure la narcolepsie, l’amène enfin à être sincère avec lui-même, avec sa plus profonde individualité alors que sa fonction sociale l’amène nécessairement à une posture d’apparence, d’insincérité. Je me suis toujours demandé comment ces gens « particuliers » pouvaient tenir la posture sur tant d’années, quasiment en « non stop » ? C’est pour ça que j’ai pensé à lui inventer une posture contre nature, avec un soupçon libidinal qui ne fait pas de mal, ma foi !

L : Si tu n’avais pas écrit, quel art aurait eu tes faveurs ?
David Le Golvan : Incontestablement du cinéma. C’était même mon rêve adolescent. Je me voyais bien en réalisateur : un héritier de David Lynch, Peter Greenaway, de Tarkovski de R….N P…….I (euh oui, désolé…)

L : Si tu ne devais en citer qu’un :
Livre : A rebours de Huysmans
Film Elephant man de Lynch
Disque : Secrets of the Beehives de David Lynch
artiste ou ?uvre d’art ? Kate Bush

L : Quels sont tes projets à l’heure actuelle, ceux en préparation également ?

David Le Golvan : Trouver un ou des éditeurs pour mes romans : « L’agrestie » et « Brutalisme ». Jouer ma seconde pièce avec ma troupe de théâtre début juillet et en novembre au théâtre de Fontainebleau. Finir le premier jet de mon sixième « Noces de suie » dans un ou deux mois, le relire et le faire relire. Peut- être écrire une nouvelle pièce de théâtre pour ma troupe afin de préparer une nouvelle saison. Commencer à écrire mon septième roman vers septembre prochain, le huitième l’année d’après, le neuvième l’année d’après. Voilà !

L : Que peut-on te souhaiter de beaux dans les jours, mois, semaines à venir ?

David Le Golvan : Une collaboration, un compagnonage avec un éditeur qui accepte de me suivre dans mes « bad trips » pour que l’aventure continue !!
david le golvan interview part III

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Lire le portrait de David le Golvan ICI

Relire la nouvelle Narcolepsie ICI
Lire la chronique d’Un commerce équitable ICI

Lire la chronique de Les appelants ICI

Retrouvez la première partie de l’interview ICI et la partie II ICI

 

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