BENOÎT BEHUDÉ, Carte blanche musicale//en double croche

Découvrez le mot de la fin de Benoît Behudé, en forme de carte blanche musicale qui fait honneur à votre site préféré.

Pour introduire cette conclusion, je tiens à remercier LITZIC d’avoir mis en lumière mon travail dans une série d’articles aussi bienveillants que méticuleusement détaillés. Je salue les équipes de ce site qui donnent la parole à des auteurs ou des artistes débutants, ainsi que les lecteurs qui font la démarche de s’intéresser à ces travaux parfois encore assez confidentiels. Encourager la création c’est avant toute faire vivre l’art, et en cette période compliquée, l’art reste un excellent moyen de s’évader. Alors continuons d’être curieux !

Selon moi, une carte blanche sur LITZIC doit forcément se remplir de mots et de sons… Petrola Sunrise, la nouvelle que je viens d’achever, comporte justement une certaine dimension musicale. Aussi, il me paraît assez pertinent de clore ce mois sur un bref extrait en forme d’hommage aux grands classiques du rock.
Je laisse le mystère entier sur le contexte, mais pour situer la scène, il s’agit du récit d’un homme se réveillant dans un univers inconnu, informe et froid, sans autre souvenir que les mélodies qu’il parvient à y faire prendre vie.

Petrola sunrise (extrait)

« […] J’appelle tour à tour chacune des composantes du morceau et les imbrique à loisir. Les cordes d’abord. Ce Phaser lancinant, funambule virtuose d’une partition en clé de fa, annonçant les toms pleuvant tels des obus sur la tablature. Et le Wurlitzer, savoureux bouquet de baudruches bourrées d’hélium élevant le tout dans une apesanteur latente. C’est exquis, je plane à mort !
Il est une chose fascinante avec la musique, c’est la capacité qu’ont les mélodies à se tordre dans l’esprit pour former de nouveaux phrasés en ricochant d’une note à l’autre. Une pluie de poussières d’étoiles s’échappant du drapeau confédéré floqué sur la carlingue d’un avion fou, cette somme d’hiers qu’on revit jusqu’à l’extinction d’un futur factice où les chevaux sauvages se noient dans la gélatine… Mon coaltar est devenu la toile sur laquelle se projettent les thèmes et les rythmes rupestres qui ont un jour gravé de leur empreinte mes tympans. La distorsion l’étire quand le delay l’agite tel la bise sur l’étang, et la fusion de mon ouïe et de ma vue se délecte du phénomène avec un appétit insatiable. J’invoque tour à tour des dizaines et des dizaines de standards grandioses et les redécouvre de l’intérieur. Le mysticisme musical à l’état pur.
À mesure que les chefs-d’œuvre s’enchaînent, je ressens par à-coups des sortes de pics émotionnels. Une forme de gaîté ici, de la colère là, comme autant de petites décharges libérées sur des passages précis et dont j’ignore la provenance exacte. Leur rayonnement est parfois très subtil, un simple sourire ou une larme isolée, et s’éteint de lui-même l’instant d’après. Mais d’autres fois, un fagot entier de sentiments s’échappe et accompagne un moment la strophe qui l’a fait naître. C’est ce que j’ai senti après qu’un dirigeable enflammé m’ait aspiré dans le sillon de son synthétiseur à la fois espiègle et funeste, l’intense tristesse s’en échappant me submergeant sans que je comprenne exactement pourquoi. L’écho d’une peine dissimulée sans doute. Une douleur qui passe sans vraiment me posséder et qui s’enfuit avec le souvenir que je n’en garde pas, aussi éphémère que des ronds dans l’eau. Je prends néanmoins un grand plaisir à m’improviser chef d’orchestre pour illuminer tour à tour de noir les scènes de ce festival aveugle.
Tout n’est plus que musique. J’explore radieux le nuancier de la plus vaste œuvre collective conçue par l’Homme, pavé monumental dans une mare de sons, ce grossier caillou dont la valeur surpasse pourtant celle de tous les diamants du Monde. Ses arêtes sont tranchantes et sa forme imparfaite, mais quel amour de caillasse !
Écrasés quelque part sous la montagne sacrée d’un genre se déclinant à l’infini, ma condition et mes interrogations ont totalement cessé de vivre dans mon esprit. Dussé-je passer l’éternité ici, je n’y vois aucun inconvénient si mon juke-box est conçu pour résister à l’avarie… »

interview benoît behudé carte blanche musicaleFB de l’auteur

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