GABRIEL KEVLEC, à propos de ses romans

gabriel kevlec à propos de ses romansSuite des questions à notre auteur du mois.

Nous rentrons un peu plus dans l’univers de ses romans dans cette interview. A propos de ses romans, on perçoit une violence, mais aussi de l’amour, et c’est avec beaucoup de tact que Gabriel Kevlec nous en dévoile quelques éléments, quelques secrets, qui permettent d’approfondir un peu plus encore son univers.

L’interview

Litzic : On va parler un peu plus précisément de tes livres. Peux-tu, pour les lecteurs qui seraient tombés à côté des chroniques, en faire un bref résumé en disons 2 lignes ?

Gabriel Kevlec : Deux lignes ? Jeanne (ndlr : Jeanne Malysa, directrice des collections où est édité Gabriel) vous a dit que j’étais incapable de faire court, c’est ça ? ^^
Cordons est une histoire de retrouvailles, de rédemption et de pardon, Le Choix de l’Oranger celle de la naissance d’amours parallèles et d’une reconstruction et En Toi celle de l’amour de toute une vie…après celle-ci. Zut, j’ai dépassé…

L : Cordons nous place en Angleterre, à Londres. Pourquoi ? Que t’évoque cette ville ?

Gabriel Kevlec : Londres est ma ville de cœur, la ville de tous les possibles et de toutes les libertés. Celle où l’on peut croiser dans le métro un homme d’affaires en costard et à crête de cheveux rouge et un ado en jupe nippone, make up et mèches roses et vertes sans que personne ne lève un sourcil. C’est la ville où j’ai été le plus heureux… ex aequo avec Paris.

On y suit le parcours d’un flic « adolescent attardé » (dans le sens où il refuse de grandir et de s’engager), d’un psy tourmenté par le souvenir d’un père rigide, et de la bonne amie des autres. Ce rôle féminin, que l’on retrouve aussi dans Le choix de l’oranger, est important. Quelle place ont les femmes dans ta vie ? Ressemblent-elles à Kathryn ?
Gabriel Kevlec : Les femmes ont une place primordiale dans ma vie, de Jeanne (ma directrice éditoriale) qui joue le rôle de maman, à Paracelsia (une amie et auteure) qui a endossé le costume de la petite sœur des ténèbres, en passant par Farida et Nano qui ont agrandi de leur bras ma famille de cœur. Chacune ressemble un peu à Kathryn dans leurs folies, leur liberté et leur cœur immense. Elles sont guides, amies, confidentes, et source sans fin d’admiration et d’inspiration.

Elles sont guides…

L : Pourquoi ce postulat de départ flic/psy ? Y a-t-il des symboles cachés ?

Gabriel Kevlec : Il parait que pour connaître la faiblesse de quelqu’un, il faut regarder ce qu’il affiche le plus ostensiblement. Un flic qui ne respecte même plus ses propres règles, un psy à l’esprit fendillé par ses troubles passés, cela me semblait à la fois logique et à même d’être le terreau de personnages que je ne voulais pas superficiels.
Les symboles cachés dans mes livres le sont davantage dans la forme que le fond : une sorte d’épanadiplose ou de mise en abyme dans Cordons et Le Choix de l’Oranger, un message caché à destination du lecteur dans En Toi.

L : Tous deux ont vécu des traumatismes plus ou moins importants du fait de leur homosexualité. On ne peut que se poser la question quant à ton propre parcours (d’autant que Le choix de l’oranger confirme cette violence) ?

Gabriel Kevlec : J’ai connu le rejet et les traumatismes, rien que du tristement banal malheureusement, mais avec le recul je n’ai pu que constater que le plus violent est ce que je me suis infligé à moi-même. Je me suis haï, caché, méprisé, abîmé… Ça prend un sacré paquet de temps de reconstruire après avoir rêvé se détruire et en avoir été si proche tant de fois.

L : Penses-tu que les choses s’améliorent en la matière, avec plus de compréhension, d’acceptation de la part de tout le monde, ou qu’elle a tendance à régresser ?

Gabriel Kevlec : D’un point de vue de la loi, c’est indéniable, on a progressé : on partait de si loin en même temps… D’un point de vue des mentalités par contre, l’intolérance est comme une mauvaise herbe : laisser deux ou trois graines et on peut rapidement être envahi. Quand j’avais 16 ans, je rentrais de boîte à des heures indues en donnant la main à l’élu du soir. Je ne sais pas si j’oserais faire ça aujourd’hui. C’est sur les réseaux que j’ai trouvé les lieux les plus safe au final. Il y a sur twitter un genre de grande famille. De l’entraide véritable. Des mains tendues. On se soutient, on se comprend, on s’affiche, on éduque…. Et ensemble, peu à peu, on fait en sorte que les choses s’améliorent en nous rendant un peu plus fort.

J’ai connu le rejet et les traumatismes

L : Dans Le choix de l’oranger, on est plus sur une histoire de reconstruction personnelle suite à un traumatisme terrible. Finalement, dans Cordons, c’est un peu la même chose, en moins tragique ?

Gabriel Kevlec : Je ne suis pas tout à fait d’accord… Dans Cordons, le trauma du harcèlement scolaire a forgé des personnages avec des faiblesses, certes, mais d’une indéniable force de caractère, assez grande pour rebâtir sur une scène qui finit par être débarrassée des scories du passé.

Dans Le Choix de l’Oranger, le traumatisme a été cataclysmique. Mais ce n’est pas l’histoire qui est racontée, Samaël ne fait qu’évoquer son agression. Je conte l’après : comment construire sur des ruines. Impossible pour Samaël d’oublier, de pardonner comme Andrew a pu le faire.

Mais au final, il s’agit effectivement de deux histoires de construction. Après tout, c’est ce qui nous porte tous. On bâtit chaque jour des ponts et des murs en espérant que les premiers permettent aux autres de nous rejoindre et que les deuxièmes tiennent.

L : Tu optes pour des systèmes narratifs différents. Dans Cordons nous lisons les pensées des deux personnages masculins, dans Le choix de l’oranger uniquement celle de Samaël (enfin un peu celles de Ferréol, dans une moindre mesure toutefois). Pourquoi cette différence de langage ?

Gabriel Kevlec : C’est venu naturellement, tout comme le choix d’écrire à la 1ere ou à la 3e personne. Lorsque fleurit une nouvelle histoire dans ma tête, je ne pense jamais à la structure, tout se met en place tout seul. Et dans Le Choix de l’Oranger, je voulais que le lecteur s’immerge d’abord dans l’esprit de Samaël, au cœur de ses doutes, de ses douleurs, de ses espoirs, pour le confronter au même choix que ce personnage.

L : Au fait, j’y pense, ces prénoms, ils sortent véritablement de l’ordinaire ! Pourquoi cette envie et non pas celle de les appeler Pierre, Paul ou autre, plus classique ?

Gabriel Kevlec : J’avais envie de prénoms reflétant la personnalité des personnages, des patronymes portant en leurs phonèmes la symbolique des hommes qu’ils ornaient. Ferréol, l’homme de la terre, fort comme un cep de vigne ; Manoé à la graphie si douce et si bleue, coulant comme de l’eau ; Samaël, l’ange déchu, séducteur et destructeur de son propre monde. Magie de la synesthésie, les couleurs de ses prénoms sont celles de leurs personnages : un rouge passe-velours pour Ferréol et un céruléen intense pour Samaël et Manoé.

vous séparez scènes d’amour et scène de sexe, mais je ne ferais pas ce distinguo

L : Tu embarques véritablement le lecteur dans ton univers, en l’y invitant à se faire ses propres constats, ses propres idées, avant de dévoiler la chute. Je dirais de tes livres, malgré la violence sous-jacente qui règne en leur page, qu’ils sont accueillants, et doux (un peu à la manière de Ferréol, ils ne brusquent rien) ?

Gabriel Kevlec : Sans que je ne le cherche vraiment, ils sont peut-être le reflet de l’acte d’amour lui-même, une somme de douceurs habillant la violence organique de la petite mort, les pupilles qui se dilatent, les hormones qui éclaboussent tout, les spasmes qui traversent le corps… Qu’y a-t-il de plus doux et de plus violent que d’être expulsé de sa chair par les délicatesses de l’autre ?
Ou alors ils sont le miroir de ce que je cherche désespérément : la douceur d’une étreinte qui éteindrait la violence en moi. Que l’on me projette à la lisière de l’épectase et que l’on me prenne dans les bras après, juste quelques instants.

L : On y lit un contraste entre les scènes d’amour et les scènes de sexe (je pense à celles qui se passent dans des clubs). Bien que les mots soient quasiment les mêmes pour décrire l’acte sexuel en lui-même, tu arrives à créer des ambiances totalement différentes. Comment y parviens-tu ?

Gabriel Kevlec : Je vis dans ma tête tout ce que j’écris. Quand j’écris l’amour et le sexe, j’ai des frissons qui me dévalent, le cœur qui s’affole, le sang qui afflue, je n’ai plus qu’à me laisser porter par mes films intérieurs. Cette impression d’ambiance différente est également portée par le rythme des phrases elles-mêmes : si j’aime soigner les mots, j’adore plus encore en faire de la musique. Faire varier les longueurs des phrases, semer des allitérations, faire de chaque virgule une respiration, de chaque proposition une caresse ou un cri… Quand je travaille suffisamment, c’est le texte entier qui s’envoie en l’air, qui montre de longs feulements qui s’éteignent dans les phrases saccadées de l’ascension puis l’apnée de l’orgasme.
Je ne sais pas si je suis clair, sans doute pas trop, alors si je devais résumer : je fais l’amour et je baise avec mes mots.

Cela dit, vous séparez scènes d’amour et scène de sexe, mais je ne ferais pas ce distinguo. Même la description d’un plan cul anonyme au fond d’un bar, c’est de l’amour. De l’amour instantané, jetable, impulsif, sans promesses ni lendemain, organique à l’extrême, un amour réduit à peau de satin mais de l’amour quand même. Une autre forme d’amour, pas moins vraie, seulement moins bien considérée.

Infos

Première partie de l’interview

Relire le portrait subjectif de Gabriel Kevlec

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