[Interview] DAVID FONSECA, les détails sont d’importance.

Deuxième partie de l’interview de David Fonseca, où chaque détail compte.

Découvrez la suite de l’interview que nous a accordé David Fonseca. Vous pouvez redécouvrir que chaque détail à son importance et que l’auteur dévoile des parts non-négligeables de sa personnalité à travers ses réponses. Nous sommes saisis par la richesse de celles-ci, car elles nous amènent toutes à déplacer notre caméra pour obtenir un autre angle de vue sur notre propre parcours de lecteur (et d’auteur, le cas échéant).

Deuxième partie de l’interview

L : Quels sont les livres qui t‘ont accompagné, qui ont façonné ta personnalité littéraire ? Quels sont ceux qui t’ont profondément marqué ?

David Fonseca : Je considère que je ne suis qu’une mosaïque de ce que j’ai lu. Une citation. Ma dette à l’égard de tous les auteurs lus est irrémissible. Mais j’envisage rarement un auteur comme un livre tout d’un bloc. Ce que je leur dois dépend de mes obsessions. J’ai lu et aimé Dostoïevski (mais aussi Kierkegaard) pour la question du divin (ou, plutôt, de son absence), Moravia sur le couple, l’incommunicabilité et la fracture incommensurable qu’il y a entre un homme et une femme au sein de la cellule familiale qui n’a, finalement, rien de naturelle, Kafka pour la culpabilité, René Char pour la poésie qui me la déniaise, Baudrillard sur la société, pour qui un système, s’il veut survivre, doit produire en contrechamp de lui-même sa propre critique (comment donc faire après pour produire une critique du « système » puisque la critique est prévue par ledit système lui-même?), Nietzsche pour le coup de poing et le goût pour la bagarre…et tant d’autres que je ne voudrais pas verser dans une liste façon Prévert parce qu’il me faudrait parler autant de musique que de peinture, notamment.

Toutefois, parce que cette obsession me tient toujours, Fernando Pessoa, sur la psyché humaine dans son Livre de l’intranquillité (qui vient de reparaître dans une nouvelle traduction) comme son œuvre faite d’hétéronymes, va avoir une influence décisive, Pessoa qui demande sans cesse : qui suis-je moi morcelé ? A rebours, parce qu’il n’y est au contraire jamais question d’intériorité chez ses peronnages, Cormack Mc Carthy, tout Cormack Mc Carthy, parce qu’il parvient à produire ce que j’aime par dessus-tout, qu’il s’agisse de littérature, musique ou peinture, le mélange du propre et du sale. Du propre au sens où la beauté surgit du plus noir comme dans la peinture de Soulages, là où le noir produit sa propre lumière. Le propre et le sale comme dans une forme musicale dont je ne me suis jamais remis depuis que je suis adolescent, celle du rap, d’un certain type de rap sans doute, mais dont la saleté, les sons sales, anti-mélodieux, l’écriture brutale/bancale qui produit son propre lyrisme. Mais dans le même temps, il y a l’opéra, surtout celui de Puccini, que je découvre au collège, qui ne m’a jamais quitté comme la musique classique : le propre et le sale. C’est sans doute que tout ce qui n’est pas pétri de contradictions est destiné à mourir, écrit Eric Ambler dans son Epitaphe pour un espion. On trouve toujours le moyen de tout justifier/de se justifier. Le malheur, sur cette terre, fait dire Renoir dans La règle du jeu, c’est que chacun a (ses) raisons. Tout peut se justifier. C’est intéressant. Cela ne signifie pas que tout se vaut, que chaque argument à la même valeur. Au contraire, cela signifie qu’un combat entre différents discours va avoir lieu, une logomachie et que des hiérarchies vont s’établir entre les discours. Pour cette raison, il me paraît essentiel de lire, de passer d’un univers à l’autre pour apercevoir comment ces univers s’évitent ou se frottent. La littérature, c’est le monde du multivers.

L : D’ailleurs, es-tu plus livres ou auteurs ? Quels sont, chez ces derniers, ceux qui t’ont influencé de façon certaine, ceux que tu n’as cessé d’approfondir l’oeuvre ? Et ceux que tu redécouvres ?

David Fonseca : C’est une question abyssale que voilà, qui me permet de revenir sur la question de l’interprétation et du délire auquel elle confine. Je suis persuadé qu’on ne sort jamais du cercle de l’interprétation. C’est l’une de mes obsessions et elles sont nombreuses. Tout n’est qu’un jeu d’interprétations. Ce qui signifie immédiatement que rien ne sera jamais donné médiatement, avec évidence. Dire d’une œuvre comme d’une simple phrase : c’est clair, c’est évident, c’est déjà l’interpréter. Terrible conclusion qui signifie ipso facto qu’on n’en finira jamais avec une œuvre, quelle qu’elle soit. Cela veut donc dire que si je devais aborder sérieusement un auteur qui m’est cher, une vie pour une seule de ses œuvres n’y suffirait pas. Si je devais vraiment l’approfondir ou la redécouvrir, comme tu le dis, je m’y engloutirai tout à fait. Ce n’est pas moi qui la cernerait mais elle qui m’avalerait. Je deviendrai fou. J’ai arrêté de lire dans cette perspective, une fois encore. Parce que, si je devais réellement prendre au sérieux un livre qui m’est cher, je n’en sortirai jamais parce que j’y perdrai la vue.

Je ne peux pas, je ne peux plus aborder la lecture sous cet angle-là. Ce serait y porter un regard de vigile, qui surveille ses territoires.

Si, dès lors, j’écris à mon tour, ce n’est jamais pour ressembler aux œuvres qui me tiennent l’estomac. Bien sûr, les modèles sont importants, il faudrait peut-être toujours commencer par là. Les peintres le font, copient d’abord longtemps leurs modèles avant que leur style vienne. Van Gogh mettra des années avant d’oser s’attaquer à la couleur. Il faudrait en passer par là. Mais, ce stade révolu, pour ma part, j’écris pour tuer le monstre en moi, comme le chante PNL. J’écris pour me laisser surprendre par ce qui vient et le tuer tout à fait. Je n’y suis pas encore parvenu.

L : As tu eu un livre de chevet, qui t’a accompagné pendant de longs mois, ou que tu citerais comme tel aujourd’hui tant la marque qu’ils ont laissé en toi est toujours vive ?

David Fonseca : Je n’ai pas de livre de chevet et n’en ai jamais eu. Ce serait tout le contraire de l’amour de la lecture. Ce serait demeurer prisonnier d’un seul livre comme le font les fanatiques. Lire, pour moi, c’est aller de livre en livre. Mon livre de chevet, mon livre préféré, c’est le prochain livre que je lirai. C’est toujours le même sentiment lorsque j’aperçois un livre en librairie, en bibliothèque, en libre accès, comme lorsque je découvre un nouveau film, un nouvel auteur, un nouveau réalisateur : je le lis, je le regarde comme s’il allait être le dernier. Comme s’il allait devenir mon livre/mon film de chevet. Chacun porte en eux, toujours, une promesse ou, je dirai plutôt, chacun porte en eux une certaine charge électrique délivrée par une tension, charge qui à la lecture sera, il est vrai, le plus souvent faible, parfois forte.

Je ne peux donc que te parler de mes derniers livres de « chevet », qui ont tous pour point commun de parler de « déclassés », s’approchant de l’univers de Faulkner, qu’ils ont tous en partage, qu’il s’agisse du livre de Gabriel Tallent, My absolute darling, qui raconte l’histoire d’amour complètement folle et débridée car incestueuse entre un père et sa fille et l’émancipation de cette dernière comme on gagne un combat à mort, le Né d’aucune femme de Franck Bouysse qui est, pour moi, son livre le plus abouti au sens où pour la première fois (mais je n’ai que presque tout lu ce qu’il a écrit) forme et fond sont égaux dans le récit, tandis que dans ses précédents ouvrages la forme, c’est-à-dire l’ambiance de ses romans prenaient souvent le pas sur le récit, du moins était-il plus fort que le récit, ce qui suffisait amplement à ma lecture ; et puis enfin, la lecture de tout ce que Cormack Mc Carthy a écrit. Pas simplement La route, qui m’a touché au possible. Mais tout ce qui venait avant, préfigurant La route, qui traîne les mêmes obsessions, depuis Un enfant de Dieu, L’obscurité du dehors et ses trilogies…: qui raconte l’histoire d’individus – des rednecks – dénués de toute forme d’intériorité, qui ne sont qu’une somme de gestes, qui, chacun, sont sur une route qu’ils n’ont jamais choisi et n’en peuvent pas changer jusqu’au terme de leur cirque le plus souvent fatal.

L : Quand as-tu commencé à te dire que, peut-être, tu voudrais raconter des histoires toi aussi ? Qu’est ce qui t’a « motivé » ?

David Fonseca : Il faudrait plutôt parler de ce qui m’a démotivé à écrire. A l’évidence, doté de pieds on veut – c’est un cliché évidemment – tous devenir footballeur, doté de mains, on se dit nombreux qu’on pourrait devenir écrivain. Tout le monde a sans doute une histoire à raconter. Mais avant d’écrire, on lit, tout comme avant de vouloir devenir footballeur, on regarde ses idoles. Là réside le plus souvent la difficulté. Parce que nos modèles, le plus souvent, nous écrasent. C’est comme de vouloir débuter l’ascension en montagne par les sommets de l’Annapurna. Nul n’en a les capacités respiratoires, sauf à vouloir terminer avant l’arrivée poumons écrasés. Alors, comme beaucoup sans doute, certaines lectures m’ont suffisamment bouleversé pour ne pas vouloir m’en montrer indigne, c’est-à-dire de me mettre à écrire à mon tour. Là réside l’impasse. Il faut tuer ses idoles. Elle sont là pour être renversées. Du moins les miennes. Il ne faut pas y penser et agir. Simplement agir, être dans l’action et ne pas penser. Si je pense, je meurs alphabétiquement. Il faut, il m’a fallu une bonne dose d’inconscience et de quant-à-soi pour qu’un jour je ne me cache plus, fasse mon coming-out en me mettant à écrire, c’est-à-dire de considérer un instant – un instant complètement fou – que ce que je pouvais écrire pourrait éventuellement intéresser un lecteur. Au sens où je me mettrai à envoyer de mes nouvelles à des destinataires inconnus.

Pour y parvenir, toutefois, il m’a fallu une bonne trentaine d’années. En effet, assez tôt, dès la classe de 6e, lorsqu’il s’agissait de remplir la fiche pédagogique, invariablement j’indiquai : écrivain, savant, puis océanographe. Mais « écrivain » venait toujours en premier lieu. Je suis parfaitement incapable de l’expliquer autrement qu’en te disant que c’était là, tout simplement. Il n’y a aucune forme de rationalité qui puisse rendre compte de ce désir. Il s’agit sans doute de quelque chose qui est étranger à la pensée, qui est davantage organique, comme une résolution : quelque chose qui vient du corps mais ne s’explique pas.

Une chose me revient à l’esprit cependant, qui vient de l’enfance et pourrait apparaître comme un semblant d’explication, c’est qu’enfant, chaque soir, afin de m’endormir, je ne lisais pas d’histoires : je me racontai plutôt à moi-même des histoires le noir venu. Donc, avant de vouloir raconter des histoires aux autres, j’ai commencé par être mon propre auditeur. D’ailleurs, enfant, je pensais que le monde entier n’était qu’un théâtre qui fermait ses portes lorsque je m’endormais, chaque acteur ayant tenu son rôle dans la journée s’éteignant tout à fait durant mon sommeil. Pensée de démiurge ou d’apprenti romancier, je te laisse trancher.

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Relire le portrait o-su-bjectif de David Fonseca

Relire Portraiture, texte offert par notre auteur du mois pour que vous appréhendiez sa plume de la meilleure des façons possibles.

Enfin, relire la chronique de Faillir et celle de Cellules

Redécouvrez la première partie de l’interview de David Fonseca

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