[ ROMAN ] DAVID FONSECA, Cellules (disponible chez L’Orpailleur)
Cellules, premier roman de notre auteur du mois David Fonseca.
Quelle mouche peut-elle bien piquer un auteur de délivrer, comme ça, dans un premier roman son histoire ? Pas vraiment autobiographique, Cellules, de David Fonseca est une auto fiction qui retrace sa vie de façon franche et directe. Elle est un peu comme un fardeau dont se libérerait directement l’auteur qui, dès lors allégé, peut se concentrer davantage sur les autres aspects de sa plume.
Ce premier roman a été écrit d’un jet, quasiment. Il s’agit peut-être d’une mise au jour, d’ une seconde naissance ou d’un accouchement qui permet d’enfin avancer. Non pas dans la vie, car cet auteur n’était plus au stade des premiers pas (l’écriture tient une place importante dans sa vie de tous les jours), mais pour avancer dans l’exploration de sa plume. Et pour ça, il lui fallait se lancer dans le grand bain tumultueux des auteurs. Alors, inconscient, il envoya ce manuscrit, sans l’avoir relu, comme pour exorciser une part de ses démons.
Les démons d’une vie.
Et ils sont nombreux, ces démons. Ils proviennent d’une part de la première cellule que nous connaissons tous : la cellule familiale. Celle de David Fonseca était dysfonctionnelle, comme tant d’autres et il en parle avec une sincérité farouche, une franchise que nous n’étions peut-être même pas en droit d’attendre puisque nous ne connaissions pas cet homme, cet auteur.
Eut-il été connu, comme Amélie Nothomb ou Michel Houellebecq, une célébrité, que cette honnêteté aurait été quémandée (parce que nous sommes tous des vampires assoiffés de potins, enfin plus ou moins). Ceux-ci auraient probablement noyé le poisson sous des phrases ronronnantes, insipides peut-être, brillantes, enfin peu importe, mais n’aurait probablement pas écrit ces phrases avec une telle pulsion « de vrai », celle de raconter l’histoire de son point de vue, sans l’embellir ou sans l’enlaidir.
Non, ici, le propos est clair, part du point A pour atteindre le point Z, dans une constante linéarité quant à sa progression. La langue y est assurée, limpide, fortes d’explications mais jamais répétitives ou superflues. Elles creusent le passé, non pas pour s’y lamenter, mais pour relater une progression, celle que tout être humain vit de sa naissance jusqu’à son trépas.
Sans embellissement.
David Fonseca posait déjà là les jalons de son écriture. Une écriture partant d’un petit rien qu’il développe et qui prend une part entière et non-négligeable dans son histoire. Comme si évoquer un souvenir équivalait à décrire un moment majeur de son existence d’alors. La force qui émane de cette plume est coulée, emportée par un courant fort d’émotions. Nous pouvons y sentir un grand nombre de celles qui définissent les êtres humains, amour, colère, dégoût etc.
Donc, les sentiments sont posés, là, presque comme s’il nous incombait de nous en saisir, de les faire nôtre. Alors nous les prenons. Nous sommes parfois choqués, parfois amusés (mais c’est relativement rare), parfois attendris. Mais toujours, notamment par la force évocatrice de ses observations/descriptions, nous restons en spectateur. Il ne s’agit pourtant pas de voyeurisme, mais de ce mouvement qui nous pousse à découvrir où la langue peut nous mener, à quel point nous pouvons y capter des éléments qui nous sont propres.
Autrement dit, en partant de son cas particulier, comment parvient-il à écrire sur ce sujet universel qu’est l’être humain. Cela n’est pas pompeux, ne sombre jamais dans le pathos ou le sensationnalisme, sans doute grâce à un regard presque journalistique de ce que fut sa vie d’enfant. Cellules nous enferme dans la nôtre, non pas une prison puisque nous sommes libres d’arrêter la lecture à tout moment, mais dans celle qui est notre propre corps.
Identification ?
Il réveille, par les méandres de sa plume, certaines pensées, certains souvenirs, nous force nous aussi à l’introspection. Est-ce voulu de sa part ? Certainement pas. Son écriture n’a pas pour objectif de nous en mettre plein la vue ou de nous édicter une conduite à tenir, mais simplement à démystifier les rouages qui sont les siens, l’ayant conduit un jour à se saisir de l’opportunité d’écrire.
Sans que nous ayons vécu les mêmes expériences, il apparaît que Cellules retrace une existence sans doute cabossée, mais dont la force libératrice provient de sa propre expression. C’est-à-dire que pour écrire sur tout autre sujet, il faut déjà commencer par celui que nous maîtrisons le plus, à savoir nous-même. Ce constat posé, sans ego surdimensionné, mais avec une nouvelle fois une sincérité prononcée, une honnêteté sans fausse pudeur, permet de laisser un poids de côté, de se débarrasser des pensées parasites et d’y aller, enfin, vraiment.
Et raison lui a été donnée puisque David Fonseca, dans son deuxième roman, explore une autre facette de son écriture, plus hachée, plus axée sur des images, des phrases collées les unes à côtés des autres. Et pour se faire, il se sert d’un élément d’histoire évoqué dans Cellules. Ce deuxième roman, Faillir, nous en avons déjà parlé. Malgré des différences majeures, ils sont liés par la même virtuosité. Non pas celle qui en met plein la vue, mais une virtuosité discrète et puissante, reposant toujours sur l’idée de vrai.
Relire le portrait o-su-bjectif de David Fonseca
Relire Portraiture, texte offert par notre auteur du mois pour que vous appréhendiez sa plume de la meilleure des façons possibles.
Enfin, relire la chronique de Faillir
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EXCLU / On parle de Cellules et Faillir dans B.O.L (Bande originale de Livres sur Radio Activ. Découvrez le podacst !
Raphaël Paour
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J’aimerais bien pouvoir faire une critique plus constructive de Cellules, mais j’en ai tout aimé, absolument tout.
J’ai d’abord été renversé par la violence poétique de l’écriture. De la poésie de partout, à chaque ligne, derrière chaque mot. Possédé, j’en ai lu quelques pages à ma femme, prenant plus de plaisir encore à dire le texte à haute voix qu’à le lire seul. Le plaisir, c’était celui que procuraient les mots, les images, le rythme des phrases qui flattaient ma langue. Mais c’était surtout celui de partager des bouts de paragraphes que je m’étais déjà appropriés, qui étaient devenus presque les miens. Cellules est le livre intime d’un auteur qui se dévoile généreusement ; on ne peut le lire sans éprouver une forme de gratitude.
Quand j’ai constaté la structure chronologique du livre avant de le lire, je me suis dit que l’exercice avait dû être suffisamment difficile comme ça et que l’auteur s’était peut-être épargné la peine supplémentaire d’organiser autrement des souvenirs qu’il avait donc dû jeter comme ils s’étaient accumulés, dans l’ordre du temps. Mais au fil de la lecture j’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’une facilité narrative, mais d’un charme de son livre qui explique sans théoriser et dissémine ses clés de compréhension tout au long du récit. Il y a cependant une structure sous-jacente à la chronologie. Elle tient à la sophistication des explications suggérées, à la précision de cette réflexivité radicale pratiquée par David Fonseca. Et puis j’ai constaté qu’à la structurelle formelle d’un récit organisé de façon thématique – je pense à un livre autobiographique de Paul Veyne – l’auteur avait avantageusement substitué l’ordre du rythme. Il n’y a pas de hiérarchies, pas de distinctions formelles, mais un rythme qui s’accélère ou ralentit, colle au pouls du personnage face aux événements ou à celui du narrateur qui se les remémore. Son livre est ainsi traversé de courants qui emportent le lecteur. Torrent d’abord alimenté par de faibles ruisseaux, il jaillit bientôt de la montagne, se fracasse contre la roche, poursuit sa course folle, bondissant, cascadant, bouillonnant, tourbillonnant puis s’apaise dans les plaines, glisse entre les vallées, se civilise à l’abord des villes, menace toujours quand même de sortir de son lit. J’ai adoré ce rythme, imposé pas un style tantôt haché, dur, percutant, tantôt plus délié, plus enrobé plus lent. Pour moi Cellules est un chef d’œuvre.
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Patrick Beguinel
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Bonjour Raphaël, et merci infiniment pour votre commentaire que je vais transmettre de ce pas à David Fonseca. Que dire de plus si ce n’est que je devrais vous embaucher comme chroniqueur tant ce que vous dite est juste, détaillé avec précision. Je n’aurai pas dit les choses mieux (d’ailleurs je ne les ai pas dites du tout), et votre commentaire apporte une pièce supplémentaire à ce que mon propre regard avait décelé. Je suis tde plus tout à fait d’accord avec vous quant à la notion de chef d’oeuvre.Pour moi, David Fonseca est un auteur foncièrement à part, tout comme son oeuvre. Et c’est cela qui rassure quant au pouvoir de la littérature : partir de l’universel pour atteindre le personnel. Merci encore pour votre mot. Patrick
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