[ INTERVIEW ] Part II DAVID LE GOLVAN
Découvrez l’interview, part.II de notre auteur du mois David Le Golvan.
Dans cette interview part II, nous évoquons un peu plus en détail le roman Un commerce équitable, toujours à travers la personnalité de notre auteur du mois de mars David Le Golvan. Les éléments qui y sont disséminés devraient vous donner envie de découvrir ce roman qui nous avait plongé dans une forte réflexion sur la politique telle que menée aujourd’hui. Retrouvez la première partie de l’interview ICI, et le lien vers la chronique d’Un commerce équitable ICI.
Interview part II.
L : Dans Un commerce équitable, nous suivons l’itinéraire d’un homme un peu « particulier » (je développerai dans la suite des questions sur ce terme de « particulier »). Quel en a été le point de départ ?
David Le Golvan : Le point de départ date de plus de vingt ans, vingt-cinq peut-être, un peu vers mon début de carrière. En fait, Tony existe dans la vraie vie (mais je ne tiens pas à le rencontrer pour ne pas finir aux urgences…) C’était du temps où j’habitais le village qui sert de cadre à mon roman. J’avais une adorable voisine qui me parlait très souvent de son petit-fils, issu comme mon personnage d’un milieu modeste une petite classe moyenne, qui avait fait de belles études en sciences politiques, je crois, qui était très impliqué au PS jusqu’à devenir un des assistants d’un sénateur socialiste très connu. Or ce garçon, pour vivre, avait un petit boulot de contractuel au CDI du collège de son village. Un jour, je vais au supermarché et je vois une apprentie qui par son apparence semblait incarner « une jeune femme du peuple » (critères très subjectifs bien sûr…) et l’idée de l’histoire est née : faire un roman où le lecteur entrerait dans la vie de ce couple plus qu’improbable, une sous diplômée et un sur diplômé… une petite expérience chimique en somme…un peu explosive. Pour tout avouer, les deux protagonistes incarnent à eux deux mon propre parcours social.
L : Je dois t’avouer que le personnage de Tony m’a paru pendant une grosse partie du roman comme un être fortement antipathique. D’où t’es venue cette inspiration ? Du vécu (pourtant tu ne sembles pas particulièrement antipathique) ?
David Le Golvan : Une bonne partie du roman ? Tu es trop sympa avec lui !!… J’ai un gros problème dans ma vie : je ne fréquente que des gens humains, polis, sympathiques, que des gens aimables. Pour m’échapper, j’ai décidé de me confectionner d’immondes imbéciles, des connards pur jus. Ce fut le cas dans mon premier roman, La rondette, même si c’est plus progressif. Avant de me mettre à écrire, je me suis posé la question : pourquoi un écrivain devrait-il aimer ses personnages principaux ? Pourquoi ne passerait-il pas sa soirée avec une bonne tête à claques ? Je te jure que c’est franchement jouissif !
Et les gentils, c’est souvent assez fadasse en littérature. Tony ne s’inspire d’aucune personne en particulier. En gros, il est construit pièce par pièce avec tout ce que je peux détester de la figure du raisonneur politique. Il y a plein d’échantillons dans les médias, il n’y avait qu’à se servir. L’idée n’est pas de débiner tel ou tel politicien, tel ou tel parti. C’est à partir d’un personnage fantoche que j’essaie de mettre le doigt sur ce qui fait mal et sur la tyrannie idéologique. Et puis dans Tony, il y aussi une petite part d’autodérision.
Ces petits bouts d’excès, leurs petits tics, je les ai gardés en tête, et j’en ai fait la matière des discours de Tony.
L : Tu disais ne pas aimer particulièrement tes personnages (surtout celui de Tony). Mais… N’y a-t-il pas un peu de toi, d’une colère rentrée ou je ne sais pas quoi ? Parce qu’il est « aimable » dans le genre connard imbu de lui-même, non ?
David Le Golvan : Eh oui, il y a un peu de moi. Mais…est-ce que je suis obligé de m’aimer ? J’ai le droit de me trouver ( parfois) imbécile, nom de nom ! J’ai joué de cette ambiguïté dans mon premier roman « La rondette » en persuadant longtemps mes tout premiers lecteurs (en gros, amis, amies, collègues) qu’il s’agissait d’un récit purement autobiographique autour d’un amour de jeunesse (en partie vrai… je reconnais) vachement romantique. En fait, je me suis amusé, en grand pervers, à jouer avec la tendance voyeuriste que peut avoir un lecteur qui connaît bien l’auteur et qui pense entrer dans son intimité, un peu comme lorsqu’on mate la page FB d’une personne de long en large. A part que le type qui dit « je » devient de plus en plus malsain jusqu’à en devenir monstrueux, ce que je ne suis pas…monstrueux… Bon pour Tony, j’abdique : il a peut-être un bon fond… S’il s’est engagé en politique et dans le courant socialiste, c’est peut-être quand même dans le souci de l’autre…j’espère du moins… Son seul problème, c’est qu’il s’y prend franchement mal, parce que sa matière, l’humain, au fil des études, des essais et des thèses qu’il a avalés, lui a échappé. C’est le rôle du roman de le lui rendre.
L : Tu dis qu’il a été construit de toutes pièces ce personnage, un amoncellement de tout ce que tu détestes, pourtant tu échappes au piège de la caricature. Comment procèdes-tu, justement, pour sonner juste et pas outrageusement caricatural ? Te relis-tu à voix haute, laisses-tu d’autres lecteurs te donner leur avis avant de publier ?
David Le Golvan : Sans avoir participé à des réunions politiques – pas ma tasse de thé…-, j’ai côtoyé des gens politisés, impliqués, idéologues. Que les choses soient claires : j’ai apprécié toutes ces personnes, parfois d’idées différentes, leur volonté de changer la vie en mieux. Le souci de l’autre, qu’ils soient libéraux ou socialistes, étaient leur principale motivation. Sinon ils n’avaient qu’à rester à la maison dans leurs pantoufles… En fait j’ai construit ce (demi)-monstre, Tony, parce que j’ai cette vilaine manie de retenir surtout ce qui coince dans leur schéma idéologique, les petits travers, tout ce qui ne tient pas en fait de la logique politique, mais du ressenti personnel ( des petits traumatismes de leur enfance, des petites vengeances personnelles) et trop subjectif. Ces petits bouts d’excès, leurs petits tics, je les ai gardés en tête, et j’en ai fait la matière des discours de Tony. Méchamment, et surtout pour me marrer, je n’ai retenu que le mauvais. Parce que je crois que c’est en mettant en lumière les travers qu’on peut les corriger. Molière ne disait pas plus. Gratter les petites croûtes pour remettre à vif les plaies, pour que ça démange.
J’ai cru comprendre que le lecteur ne se marrait pas à toutes les pages, qu’il avait parfois l’impression de prendre même des baffes.
L : Tu parlais d’ascenseur social. Celui de Ton y a fonctionné, au contraire de celui de Claude. Les élèves de Segpa sont-ils les derniers servis par l’Éducation nationale en matière d’ascenseur social ?
David Le Golvan : Ces élèves, malgré le dévouement admirable de leurs professeurs, de vrais saints, je le crains, ont grossi le rang des invisibles. Je sais bien que mon hommage est bizarre, mais au milieu du roman, j’ai essayé de soigner le « flot de conscience », le discours intérieur de Claude parce que c’est l’un de mes personnages préférés. Pas facile de se mettre dans la tête de quelqu’un qui n’a pas eu le même parcours culturel et social, qui a stagné … mais je voulais montrer sa simplicité résignée et surtout sa lucidité à l’égard d’un homme auprès duquel elle a senti une trahison, plus lucidement qu’il ne le croit. Elle aura son heure à la fin du bouquin. Pour revenir au cas des SEGPA, les hommes et femmes de terrain font plus que leur boulot, sont véritablement dévoués. Ils sont admirables. L’insertion sociale n’est pas facile du fait souvent d’un passif familial. C’est complexe et l’école, on le sait, ne peut pas tout résoudre, même si ses acteurs se retroussent inlassablement les manches.
L : Dans ce roman, il y est question de politique, au sens large comme au sens premier. As-tu des choses à régler à ce niveau-là ?
David Le Golvan : Oui et c’est celle au sens large qui m’a le plus intéressé. La première partie montre un homme qui prend conscience peu à peu de l’écart entre la rhétorique politique et le vécu, le quotidien (si peu de politiques voire de sociologues traitent de cette matière : le quotidien). Le fait qu’il soit socialiste n’est en aucun cas un règlement de comptes avec ce parti politique pour lequel je n’ai absolument aucune antipathie. Mais reconnaissons-le, vingt-cinq ans après avoir eu l’idée du roman, c’est lui qui s’est écroulé le plus significativement à force d’aveuglement, cette cécité que j’essaie de mettre en évidence avec Un commerce, malgré des sonnettes d’alarme. Moi ce qui m’intéressait le plus, c’est le vécu de ce couple irrémédiablement séparé par un fossé, le fossé culturel. C’est plus que de la politique, cela se veut une petite réflexion anthropologique. Comment la culture, joli bien de l’humanité, peut-il aliéner un couple ? J’aurais pu aborder ça sous l’angle du « pathos », à la manière d’un Didier Eribon, Annie Ernaux ou d’Edouard Louis, mais je suis absolument à l’opposé de leur vision, même si on a eu le même parcours social en gros, d’où ce ton de conte cruel, farcesque parfois… et trash…
L’écriture poétique est certainement la plus prometteuse, celle où on renifle de belles sensibilités.
L : On sent un certain humour dans ton écriture, un humour certes noir, ou un peu décalé, qui fait passer un peu la pilule. Es-tu plutôt du genre bon vivant, à sortir la bonne blague au bon moment ?
David Le Golvan : Eh oui ! Un humour distant, cru parfois, taquin, sans doute noir oui, qui aime flirter avec l’absurde, la folie même. C’était très manifeste dans ce roman, même si les Appelants quitte momentanément la légèreté. J’ai cru comprendre que le lecteur ne se marrait pas à toutes les pages, qu’il avait parfois l’impression de prendre même des baffes. Alors que quand j’écrivais, je me marrais en douce à tout ce qui pouvait tomber sur la tête de ce pauvre Tony. Oui, il faut lire mes bouquins avec ironie, celle qui me guide quand j’écris. Contrairement à ce qu’on pourrait croire de mes livres, je suis un philanthrope qui, comme le disait Brigitte Fontaine récemment, une icône ! ne chercherait qu’à rire dans la vie. Pas toujours évident certes.
L : Petite question, encore dans le domaine scolaire : as-tu déjà remarqué des élèves avec des prédispositions certaines pour l’écriture ? Si oui, comment les accompagnes-tu ? Si non, crois-tu que le monde de l’écrit s’amenuise par la force des écrans qui délivrent du tout cuit à longueur de temps ?
David Le Golvan : Est-ce que j’ai repéré mon petit Rimbaud, c’est ça ? Pas facile. Des potentiels, il y en a sûrement une flopée. J’ai essayé l’écriture de nouvelles fantastiques collectives : wrong way ! On aboutissait régulièrement à une sorte de « Teen movie » fantastique standard où c’était le plus fort en gueule qui tenait à bout de bras le scénario. L’écriture poétique est certainement la plus prometteuse, celle où on renifle de belles sensibilités. Problème : le cadre scolaire. Trop frustrant, trop normé, trop collectif, impossibilité de se retrouver face à soi-même. Que dire à un élève qui veut une « appréciation » sur sa poésie (pire…une note…) ? Cela m’a convaincu que la création littéraire ou artistique devait se faire hors du boulot voire contre le boulot. Le plus beau moment de création a été une mise en scène d’une farce que j’ai créée pour les collégiens, moment unique et émouvant dans ma carrière. Entièrement d’accord sur les méfaits des écrans. Mais ne pas désespérer : j’étais téléphage adolescent, l’écran TV a disparu en grande partie de mon existence à vingt ans, comme les Barbies ont disparu de la chambre de mes filles, après une phase de surpopulation.
En fait, j’accepte toute idée à partir du moment où elle est suffisamment saugrenue.
L : Je ne vais pas laisser passer une occasion de polémiquer. Tu te serais bien vu en Polanski (le réalisateur, pas le violeur j’imagine). Qu’est-ce que t’inspire toutes ces histoires autour des récents Césars ? L’art, l’écriture, doivent-ils (question philosophique) être moraux ? Tu as 4 heures…
David Le Golvan : Tiens, question bizarre !!(ma référence à Polanski était une chtite provocation de circonstance ; j’aime la plupart de ses films tout en préférant Lynch, Bergman, Tarkovski, Kubrick, Cronenberg…)J’ai vu quinze fois, vingt fois « Le bal des vampires » en rigolant comme un bossu à chaque fois, comme mes élèves quand j’en montrais des extraits. Un bijou de comédie alerte, burlesque, à la réalisation rythmée et au dialogue et scénario superbement ciselés par le grand Gérard Brach, je crois. Au générique, il y a leurs deux noms et je ne peux que leur tirer mon chapeau. Ces mecs ont un talent fou. Qu’on lui attribue, au premier, ou non une statuette, une rosette, une sucette ou autres breloques, je m’en fous : je n’aime pas les cérémonies, j’aime les films. Est-ce que j’ai envie de faire connaissance avec Monsieur Polanski ? Non, je m’en fous et je suppute que c’est réciproque. Je ne permets pas de jeter l’anathème sur quiconque, je n’absous ou condamne personne, je n’existe pas pour ça. Je ne suis ni prêtre, ni imam, ni Christophe Barbier… L’affaire Dreyfus est un sans doute un film moral, utile moralement du moins, Le Pianiste était un film moral. Oui je crois aux œuvres morales, pour moi les meilleures, parce que contrairement à certains juges improvisés, elles ne sont pas moralisantes (pas mal comme paradoxe ça ! tu auras quatre heures aussi).
L : Te relis-tu à voix haute, laisses-tu d’autres lecteurs te donner leur avis avant de publier ?
David Le Golvan : Oui, c’est indispensable. Pas seulement pour faire comme papy Flaubert. Parce que j’ai l’oreille musicale, très sensible aux sons et aux rythmes. J’ai la chance de pouvoir compter aussi sur le regard et la lecture de Laurence, une amie d’enfance qui me connait depuis quarante ans, en qui je fais pleinement confiance pour ne pas sombrer dans la flatterie paresseuse, très fine psychologiquement pour me glisser ce qui va très bien et ce qui ne va pas, qui n’est pas « experte » et diplômée en littérature et donc qui aura un regard plus proche de lecteurs classiques, ceux que je vise. Elle m’a beaucoup aidé et conseillé pour assagir mon style sur ce roman et sur les suivants, en entretenant un dialogue régulier. Je demande aussi à mon épouse pour certains écrits… pas tous. Le regard de l’être avec qui on partage sa vie est complexe, peur légitime d’y voir un reflet. Imagine le choc avec le couple Tony et Claude !!
L : Tu dis plus haut dans l’interview que ton cadre de vie est reposant pour l’imagination. Comment te vient l’inspiration ? Comment sais-tu que l’idée qui germe mérite d’être développée au point d’en écrire tout un roman ?
David Le Golvan : En fait, j’accepte toute idée à partir du moment où elle est suffisamment saugrenue. L’histoire vient d’une image, d’un objet, d’une phrase lue, prononcée ou entendue. Pour Un commerce, je suis bel et bien tombé sur une Claude à un rayon boucherie, il y a vingt-cinq et je me suis dit : « Si je l’épousais ? » en prenant ça pour une grosse blague et en me posant juste après la question : « Pourquoi tu ris ? ». Pour mon premier roman, une seule image : un homme d’une quarantaine d’années, alors qu’il pleut à torrents, attend dans sa voiture, de revoir l’amour de sa vie disparu depuis plusieurs décennies. Pareil pour Les Appelants, mon troisième roman : un vieillard tout seul qui sort d’une forêt, mais il faut y ajouter une musique parmi celles que j’écoute souvent le soir ( j’en parle juste après)… et puis pour les autres, l’idée surgit d’une observation qui fait déclic : la décoration d’un mug chez mes beaux-parents, un délire autour d’un homme qui fait des kilomètres en rampant, un commentaire d’architecte sur la construction d’un collège, un bal populaire en Bretagne…
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