[ INTERVIEW ] GUY TORRENS, littérature, punk et homosexualité

Découvrez la première partie de notre interview avec l’auteur du mois de janvier Guy Torrens.

La poste étant parfois facétieuse, nous n’avons pas encore reçu le livre qui aurait dû être présentement chroniqué. Alors, plutôt que de laisser l’espace vide, nous bousculons nos habitudes pour vous publier la première partie de l’interview de Guy Torrens. Il nous y parle de littérature, forcément, de punk et d’homosexualité. La deuxième partie de l’interview sera diffusée quant à elle un peu plus tard (si toutefois la poste a fait son travail correctement).

L’interview.

Litzic : Bonjour Guy. Première question ; comment vas-tu ?

Guy Torrens : En ce moment précis dans un instant de deuil, mais autrement je vais bien, beaucoup de projets et d’autres écrits achevés.

L : Peux-tu te présenter rapidement pour les lecteurs de Litzic ?

Guy Torrens
 : Je dirai une vie « officielle » éducateur pour jeunes délinquants et formateur pour éducateurs et l’autre vie, chanteur parolier dans trois groupes de rock punk jusqu’en 1995, cerise sur le gâteau une tournée en Pologne de trois semaines et enfin une autre forme d’expression, poèmes, romans et nouvelles et une manière de transmettre avec l’animation d’ateliers d’écriture créatifs.

L : Quels sont tes premiers souvenirs de lecture et ceux qui t’ont mis la puce à l’oreille quant à ton intention de devenir toi-même écrivain ?

Guy Torrens : Mon premier souvenir marquant, j’avais 12 ans, a été Cyrano de Bergerac, j’avais été fasciné par ce personnage de l’ombre. Plus tard Henri Miller, la trilogie et la découverte de la littérature japonaise notamment Mishima. J’ai toujours aimé écrire et raconter des histoires. Ma première tentative a été une nouvelle de science-fiction que je qualifierai maintenant de fantastique. Je ne voulais pas spécialement être écrivain, mais l’écriture à temps plein s’est imposée après la mort de mon compagnon qui avait partagé ma vie pendant 25 ans et c’est aussi le rock qui m’a amené à l’écriture.

L : Quel a été (ou quel est) ton livre de référence, celui qui t’a si profondément marqué que c’est lui qui te vient tout de suite en tête ?

Guy Torrens : « Le cœur qui cogne » d’Yves Navarre. Je l’ai tellement lu qu’il est presqu’illisible, comme certains disques vinyles qui craquent tellement qu’ils deviennent inaudibles.

L : Tu touches un peu à tout, littérature, musique, théâtre. Comment s’est forgée ton identité artistique, les artistes qui t’ont chamboulé et inspiré ?

Guy Torrens : Par découvertes successives. D’abord l’énergie et la liberté du punk. Mais j’avais une proximité avec des poètes comme René Char, Michaux et en abandonnant la scène, j’ai commencé à n’écrire que des poèmes, deux recueils ont été publiés en 2005 et 2007, c’était aussi une nécessité de tenter d’écrire les « dessous de mon monde ». C’est dans le premier roman «  les Crépuscules d’or pâle » que j’ai commencé à mélanger, poésie et fiction et fiction et réalisme et les livres d’Haruki Murakami m’ont fait toucher cette possibilité du « basculement des mondes » comme le Velvet Underground et les Clash ont fait sauter des verrous.

L : Le punk, justement, envoyait bouler un certain conformisme. Penses-tu que c’est cela qui t’a plu dans ce mouvement ? Aujourd’hui, quels sont les groupes en la matière que tu écoutes ?

Guy Torrens : Ce qui m’a plu, c’est la multiplicité. Je ne pourrai pas parler de mouvement mais d’émergences créatives dans tous les sens que ce soit dans les fringues, les coupes de cheveux, la musique, des chansons courtes, percutantes. Le No Futur aussi mais pas dans le sens « Il n’y a plus d’espoir » mais plutôt dans « Carpe Diem », le futur c’est le présent et vivons le à fond. Le groupe que j’écoute encore régulièrement c’est les Clash et le disque posthume de Joe Strummer qui est récent.
On en revient à l’éclectisme, actuellement, j’écoute des groupes comme RadioHead, Massive Attack, Shame, le mix des Cure. En rock français, surtout Feu Chatterton, Lescop, Treponem Pal, le live de Marquis de Sade, Detroit, Bertrand Cantat et ceux avec qui je me suis « réconcilié », Thiefaine et Arno. J’ai aussi découvert l’opéra. J’ai même écrit un polar d’anticipation autour du personnage de Maria Callas «  Maria et l’hippocampe ».

L : Tu as récemment écrit une pièce de théâtre, Ulysse Variations, qui a été jouée à Paris. Comment tout cela s’est-il passé ? Les retours ont-ils été bons ?

Guy Torrens : Il y a eu peu de monde mais les retours, principalement des spectateurs ont été très bons. Mais on ne s’attendait pas à un raz de marée, l’offre théâtrale est énorme à Paris, mais il fallait que ça se fasse, maintenant il faudrait tourner en province mais c’est un autre défi. Ce que je retiens c’est le travail remarquable de mise en scène de Loïc Fieffé et l’interprétation de Nicolas Torrens ( mon fils). D’ailleurs la pièce a été écrite pour lui et en collaboration avec lui. L’écriture théâtrale est assez spécifique et je ne m’y étais pas frotté, depuis j’en ai écrit deux autres à plusieurs personnages et je verrai bien si elles sont jouées ou pas.

« Ils ont secoué la forme littéraire mais sont restés socialement «  fréquentables » »

L : Tes nouvelles, enfin celles que tu m’as fait parvenir, contiennent peu de dialogue, au contraire d’une pièce de théâtre. Je crois qu’Ulysse Variations est un seul en scène. Comment as-tu envisagé l’écriture de cette pièce ? Comme un dialogue interne ou à la manière d’un « conte » ?

Guy Torrens : Cette pièce est effectivement un seul en scène sous forme de monologue adressé. C’est une dénonciation claire de la guerre et des systèmes religieux, c’est pour ça que j’ai pris la figure d’Ulysse , héros mythique et guerrier qui revient à Ithaque où plus personne ne l’attend sauf sa conscience. Ce qui m’a intéressé c’est l’élément qui existe dans la pièce mais que je n’avais pas mis au premier plan, et que la mise en scène et le jeu de Nicolas a révélé, c’est la vieillesse d’Ulysse et ce va et vient entre la jeunesse et le temps qui passe.

L : Tu citais Henry Miller un peu plus tôt dans l’interview. Un punk lui aussi, non ?

Guy Torrens : Non, je pense qu’il fait partie d’un courant comme Philip Roth. Ils ont secoué la forme littéraire mais sont restés socialement «  fréquentables ». Contrairement à Kerouac, Ginsberg, ou William Burroughs, Selby Jr.

L : Comment penses-tu que le punk (oui je fais une fixette) se traduise en littérature ? Par exemple, dans ce que j’ai lu de toi, cet esprit punk pourrait se traduire par quelque chose de sanguin au niveau de ta plume, une crudité, douce, des émotions de tes personnages, sans cette violence propre au punk. Tu confirmes ou infirmes mes dires ?

Guy Torrens : Je ne sais pas si ça peut se traduire en littérature mais un auteur comme Murakami Ryu avec un roman comme « les Bébés de la consigne automatique » ou sa trilogie «  Ecstasy, Mélancholia, Thanatos » me font penser à cette possible traduction. Pour moi, mes personnages sont pris dans une sorte de cynisme bienveillant. Les deux mots accolés peuvent paraître étranges, mais c’est ce que je ressens, par exemple un de mes personnages dans « les Saisons de l’après » dit «  Si on ne courait pas après les chimères après quoi pourrait-on courir ? »Il définit le pas de côté de la réalité avec sa violence et son humanité.

L : Tu disais avoir véritablement pris la plume au décès de ton compagnon. Était-il pour toi question d’exutoire ou bien , l’écriture t’ayant toujours habité, était-il plus question d’écouter ta voix intérieure ?

Guy Torrens : Je dirai les deux. Après la mort de Jean, je me suis autorisé à écrire à temps plein. Le cri exutoire est venu dans mon premier recueil de Haïkus, les Orphelins du déluge et dans le premier recueil de poèmes dont le noyé de la Saint Jean, j’ai d’ailleurs apprécié ton commentaire, je ne l’avais pas ressenti comme ça mais il est malheureusement dans cette actualité. J’avais commencé mon premier roman avant sa mort et il en avait lu une grande partie et pour le reprendre j’ai dû passer par cet exutoire, ce cri. Et après l’écriture est devenue une nécessité, un refuge, une arme.

L : Tu évoques l’homosexualité dans tes nouvelles. J’ai lu pas mal de bouquins qui en traite mais je trouve que ta façon de l’approcher possède quelque chose d’extrêmement délicat. On y lit plus le couple que le couple d’homosexuels et je sens que, contrairement à d’autres, et ils sont très nombreux, tu ne fais pas ton fonds de commerce avec la question de la sexualité (ce qui t’honore), toujours « vendeuse ». Ça me donne à penser que ta façon de voir les choses est la bonne, dans le sens ou l’homosexualité y est simplement banale (ce qui n’est pas le cas dans la tête de beaucoup de personnes) ? J’y sens aussi, plus qu’une question de sexualité, une question d’amour.

Guy Torrens : C’est tout à fait ça. J’écris à partir de ce que je connais et ce que je ressens en me méfiant du nombrilisme très en vogue. J’ai toujours été gay et ça ne m’a pas posé de problèmes. Ça posait des problèmes aux autres, à une société corsetée, pétrie de moralisme. Je dénonce ça mais pas de manière frontale, ce n’est pas un manifeste. Effectivement je parle d’amour et de relations fortes entre deux individus qu’ils soient du même sexe ou pas. Il se trouve que je connais mieux la relation d’amour entre deux hommes et que je la fais exister. Mais mes personnages féminins ne sont pas des faire-valoir comme dans « La nuit de l’Aube », Claire est une femme engagée, féministe mais aussi décalée que les personnages masculins.

L : Quels sont aujourd’hui les auteurs qui te parlent ?

Guy Torrens : Difficile de faire un tri. Surtout Haruki Murakami, Laurent Gaudé, Henning Mankell, Amistead Maupin. Ils racontent des histoires et c’est ce qui m’intéresse principalement. Mettre les personnages dans d’autres réalités.

L : Si tu ne devais en citer qu’un ?

Guyt Torrens : Laurent Gaudé.

L : Groupe ou artiste musical ?

Guy Torrens : Feu Chatterton.

L : Un livre ?

Guy Torrens : Les yeux fardés de Luis Llach.

L : Un film ?

Guy Torrens : Le secret de Broke Bake Moutain

L : Un artiste ou une œuvre d’art ?

Guy Torrens : Le Jardin des délices de Jérôme Bosch.

L : Hormis l’écriture et la musique, quel autre art te serais-tu bien vu pratiquer, et pourquoi ?

Guy Torrens : La peinture, j’aime observer et tenter de transformer la réalité.

Guy torrens interview

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