[NOUVELLE] GUY TORRENS, Bourbon Jack (partie 2, suite et fin)

Suite et fin de la nouvelle Bourbon Jack, de Guy Torrens, notre auteur du mois de janvier.

Nous vous dévoilons la suite, et fin, de la nouvelle Bourbon Jack. Cette nouvelle, surréaliste (mais l’est-elle) vraiment, nous plonge dans l’histoire d’un barman musicien qui trouve sa voie grâce à la présence énigmatique d’une chatte qui lui demande de composer quelque chose qui lui ressemble. Dixit, elle dit « J’aimerais que tu me joues quelque chose qui te ressemble, pas ces trucs enflés, quelque chose qui est toi. » Ce qu’il tâchera de faire, comme vous pourrez le découvrir dans cette seconde partie.

Retrouvez la première partie de Bourbon Jack ICI


– Je pensais que c’était de la jalousie mais ce n’était pas ça. Elle voulait que je fasse une musique qu’elle seule pourrait apprécier, une sorte de musique pour chat, c’est dingue je sais, mais c’est comme ça.
– Une musique de chat ?? Et c’est quoi ?
– Tu vas entendre.
Il se leva, alla derrière le comptoir, sortit une guitare, une belle Strato avec seulement deux cordes, un vieille pédale Delay en acier, un ampli et une petite boîte à rythmes qui n’avait qu’un rythme binaire. Il régla tout et se mit à jouer. J’avais déjà écouté du minimaliste, de l’indus, de l’expérimental mais là je restai bouche bée.
De ses deux cordes, il sortait des sons qui se répercutaient, tantôt graves, tantôt aigus et qui s’enroulaient les uns aux autres et qui ressemblaient au bout du compte aux miaulements des chats mais des miaulements qui faisaient une mélodie, âpre, tordue, cruelle, farouche, brutale, sauvage mais aussi douce, moelleuse, sucrée, suave. Le morceau n’en finissait plus et j’étais là, scotché sur la banquette en cuir râpé, à boire verres sur verres et Jack se fondait dans les notes, j’eus même l’impression que la guitare jouait toute seule. Le silence soudain me fit atterrir, genre atterrissage d’urgence.
– Alors qu’est-ce que t’en penses ? Il était de nouveau en face de moi.
– Jamais rien entendu de pareil, et je lui débitai tous les qualificatifs qui m’étaient passés par la tête.
Il parut satisfait mais vérifia quand même.
– Tu dis pas ça parce qu’on boit ensemble depuis des heures ?
– Non, tu m’as fait oublier ce qui m’avait amené ici. Ou alors il fallait peut-être que j’arrive ici et que j’entende cette mélopée, c’est le mot juste, mélopée.
Il répéta, mélopée, mélopée, mélopée. Il plissa les yeux et hocha la tête.
– Ouais, c’est le terme exact ; mélopée. Elle serait ravie.
– Serait ? Elle n’est plus avec toi ?
– Qui sait ? Quand j’ai fini ce morceau, elle a disparu. Je l’ai cherchée partout et rien. Je pense qu’elle était là pour ça et que cette musique lui a rendu la liberté.
– Elle te manque ?
– Terriblement, mais elle m’a appris à me dépouiller jusqu’à l’os et c’est l’essentiel. Mais je suis sûr qu’elle va réapparaître un de ces jours entre deux portes et se réinstaller sur le canapé en me disant « Au boulot ! » On ne peut pas tenir un chat en laisse sinon il meurt.

J’avais envie de rajouter « c’est comme les hommes » mais je m’abstins. Je m’abstenais beaucoup ces temps-ci, je devenais peut-être civilisé. Il me demanda par politesse la raison de ma présence. Je lui dis que ça n’avait plus d’importance. La pluie s’était arrêtée et le ciel commençait à pâlir malgré les nuages encore bas et menaçants. Je lui fis une accolade en partant, il me dit « quand tu veux, tu sais où me trouver. »
Je revins souvent et à chaque fois, il me faisait écouter ce qu’il avait produit, je lui demandais s’il l’avait retrouvée et c’était toujours une réponse négative. Un soir je trouvai porte close et un panneau à « vendre ». Je me renseignai auprès de l’agence chargée de la vente et on me répondit seulement qu’il était parti.
Six moi passèrent j’avais repris ma vie en main comme on se plaisait à le dire et je tenais ma promesse du premier soir. J’étais en balade nocturne quand je m’arrêtai devant une affiche annonçant le concert de « Bourbon Jack and the Cats ». Il avait remis ça. Pour rien au monde, je n’aurais raté ça.
La salle était pleine à mon grand étonnement, je n’avais rien entendu à la radio et cette affiche était inattendue, j’aurais pu la rater. Je me mis au fond de la salle pour ne pas être bousculé. La scène s’éclaira. Dès qu’il apparut, je sus qu’elle était revenue. Il avait l’air plus jeune et félin. J’en étais presque jaloux. Je me laissai aller à la musique et derrière moi dans un coin je remarquai, une petite boule noire, très noire. C’était elle. Elle me regarda fixement de ses yeux verts, commença un brin de toilette. Et sourit. Il avait raison c’était terrifiant.

Ce texte “Bourbon Jack” est publié avec l’aimable autorisation de Guy Torrens.
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