[ POEME ] GUY TORRENS, Le noyé de la Saint Jean
Guy Torrens, notre auteur du mois de janvier, est aussi poète. Découvrez sa plume avec Le noyé de la Saint Jean. L’image que cette poésie nous renvoie est celle, hélas tragique, de tous ces migrants qui ne toucheront plus terre vivant.
Le noyé de la Saint Jean
Le noyé de la saint Jean
a le visage pâle reposé
des abysses.
Il attend
Un chien noir galope soulevant de petites tempêtes de sable fin.
Il arpente la mer bleue, repasse en trottinant, se retourne, halète
touche du museau l’eau trop salée pour lui.
Une méduse échouée.
Un signal de tempête.
Une nostalgie douce.
Il repart la gueule ouverte.
Il attend.
Le fleuve s’est ouvert dans la baie ensablée.
Des mares d’algues sèchent posément, poliment.
Les vagues sont sourdes.
La main du noyé lentement se promène sur la surface de l’ombre.
C’est la fin d’après-midi.
Il le sait.
Les rayons sont obliques, les ablettes en rangs serrés viennent lui rendre visite.
Il attend.
A la dérive, sans rives, sans liens.
C’était à la Saint Jean au bout de la jetée.
La houle s’écrasait.
C’était un temps à vent, incessant et sincère.
Un temps qui fait tourner la tête quand on est indolent
Des paroles en l’air s’échappaient en tournant.
Il avait le souffle court l’attention morbide.
Le sable du fond celui des puits d’oubli roule, s’enroule,
soulève une poussière aussi fine que la sueur glacée des poissons.
Les courants vifs secouent ce sable du fond.
Celui des bleus profonds.
Où les sirènes se reposent de leurs chants.
Il attend.
Les Atlantes aux écailles d’or pâle, faisceaux de lumière verte
dansants et tournoyants aux portes de la cité perdue.
Celle dont les statues anciennes se tiennent à l’abri des songes voilés.
Celle dont le soleil de psaumes se montre et se dérobe
aux Léviathans soucieux de sortir des impasses des faux semblants
des clapotis mouvants.
Celle dont la reine ne fut qu’une nuit seulement
l’ultime maîtresse des éléments majeurs.
Et ce fut le chaos.
C’était à la Saint Jean au bout de la jetée.
C’était un temps de fièvre entouré de genêts.
Les corps qui se dénudent sous leurs voiles d’ellébores.
Une senteur acide, à rendre fous les jasmins d’un printemps ocre et vert.
Les yeux oubliés du pays sans âge mais de l’âge qui ne dit
que l’instant de son âge.
Pierre de dolomite enfouie de peines inexprimées.
Une essence de ville, de déserts de désirs.
Une route obsolète sur des lieux qui n’ont d’yeux
que pour les flashs, que pour les rides
grosseurs inanimées se dérobant à l’oubli
Un souffle court resté de l’animal.
Presque rauque.
Le souffle de la chaleur usité par la peur.
Un souffle court resté de l’animal.
Les bois d’oliviers dans la garrigue rase sans sommeil, ni douleurs.
Un moment de présence illuminé, chaviré du silence absorbé.
Somnolence sur le seuil d’une trace inutile et mal fagotée.
Des allers retours de misère.
Apercevoir l’inconcevable vision une fois, une seule
et l’emmener dans la stupeur de l’odeur de la pisse.
Il n’y avait qu’une lumière fauve
et un vieillard assombri
de la honte d’être là encore.
C’était à la Saint Jean au bout de la jetée.
C’était un temps d’éclairs de foudres, de sueur.
Il avait la peau moite
Celle que l’on cache, en s’essuyant les mains
Celle que l’on montre contre le corps de l’autre trop brièvement reçu.
Ne reste que cette eau de la peau au goût de mer profonde.
Il attend le visage tourné vers ce tonnerre brûlant
que le courage lui vienne de sombrer dans l’instant que la mémoire trahit.
Sa souffrance est si claire que l’onde est le miroir de ses cris de détresse.
Ils se reflètent en curieux anathèmes, en imprécations forcées
pareilles à des branches de solitudes
qui feraient un bouquet de l’enfance éperdue
avant de le jeter très loin, hors d’atteinte des remords inconnus.
C’était à la Saint Jean au bout de la jetée.
Il attendait sa vie qui n’a fait que passer en s’excusant parfois.
Alors il a plongé.
C’était un temps d’enfin, au bout de la jetée.
Le noyé de la Saint Jean a le regard pâle des abysses nostalgiques.
Ce texte “Le noyé de la Sinat-Jean” est publié avec l’aimable autorisation de Guy Torrens.
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