WENDY MARTINEZ, Rivages du monde flottant

rivage du monde flottant wendy martinez Debut album disponible chez le Pop Club Records et Belka

En mars 2021, Wendy Martinez sortait La chevauchée électrique, son premier disque, un EP. En mars 2023, elle a sorti son premier album au nom étrangement psychédélique et auréolé d’une imagerie proche de la science-fiction (laquelle est bien présente dans le disque). Rivages du monde flottant s’avère un disque pop intrigant, à l’écriture exigeante et rêveuse.

Musicalement, nous retrouvons ce qui faisait déjà le charme du premier EP, à savoir ce mélange de pop et de chanson française, le tout baigné dans un psychédélisme 60’s remis au goût du jour avec tact et précision. Pas de grosse surprise à ce niveau, si ce n’est cette qualité d’interprétation et de production car, si les mélodies semblent très aisément accessibles, les arrangements qui les habillent rendent la musique de Wendy Martinez un peu… magique.

Il faut dire que quelques éléments baroques s’invitent à la fête (sur Qu’as tu tu ou La vieillarde et l’enfant), avec parcimonie et bon goût. Ils permettent d’imprimer à ce disque une vraie personnalité, loin des standards du genre sans se réfugier pour autant dans une niche parfois dure à pénétrer, celle des disques intelligents (dans laquelle Rivage du monde flottant s’inscrit pourtant). La base basse batterie s’augmente de claviers, de cuivres, de choeurs qui rendent l’ensemble céleste et aérien.

Les paroles.

Derrière cet aspect poétique, les mots imposent leurs couleurs. Celles-ci s’avèrent à la fois lumineuses et sombres. Le titre qui ouvre l’album en est un parfait exemple. En effet, Le pays imaginaire jouit d’une écriture absolument démentielle. Ici, pas de rime facile, mais une véritable recherche, à la fois esthétique et sémantique. L’exigence de Wendy Martinez montre ici que son talent n’est pas lié au hasard mais au contraire à une véritable envie de faire briller les textes autant que sa musique.

Sur ce titre, si le texte s’avère lumineux de trouvailles, nous pouvons y lire des métaphores bien plus sombres, qui, pour nous, évoquent notamment les exils et les traversées méditerranéennes trop souvent, hélas, tragiques. En propulsant son texte au 4é millénaire, l’autrice compositrice interprète laisse néanmoins une porte de sortie plus réjouissante, puisque le mot guerre n’y existe plus. Douce utopie ? On espère plutôt une future vérité.

Cette dualité entre mélancolie dramatique et légèreté existe sur tout l’album, osant aussi les thèmes actuels comme celui du metavers ou une prise de consciente « féministe » (ce dernier terme placé entre guillemets car il n’est pas ici question de combats féministes, simplement de respects pour des femmes hors du commun, notamment sur le titre Aux femmes fortes).

@briacdurand

Sensations exacerbées.

Le chant de Wendy Martinez est parfait dans ses intentions. Sa voix délicieusement grave, rehaussée d’une pointe de réverb’ nous replonge avec délectation dans une époque proche des yéyés. Elle dégage parfois une sensation de tension dramatique, tout comme elle laisse parfois échapper des bribes de lumière et de joie (jamais ostentatoire). Cela contraste son disque et permet de ne pas enfermer la chanteuse dans un registre exclusivement grave comme il évite l’exact contraire.

Nous y sentons une passion qui nous évoque à de multiples occasions l’Espagne et les chants Andalous, tout en gardant, et c’est une prouesse dans un album tout en français, une dimension totalement anglo-saxonne. Les musiciens qui oeuvrent avec elle n’y sont pas pour rien, notamment la paire rythmique totalement présente. Les lignes de basse, rondes et généreuses, ne manquent jamais de nous rappeler la perfide Albion, ou bien celles propres à Gainsbourg quand il chantait la pop anglaise mieux qui personne.

Faut-il d’ailleurs voire en Wendy Martinez une descendante spirituelle du chanteur ? Peut-être que celle-ci ne serait pas farfelue. On retrouve de ce dernier une rigueur croisée textes/musiques qui ne rend pas sa musique moins populaire que certains artistes faciles (et donc sans aucun intérêt). Il en va de même pour Ce Rivages du monde flottant, parfaitement équilibré entre accessibilité et démarche artistique de caractère.

Un disque fort.

Ce disque s’avère donc une très belle réussite, tant dans son fond que dans sa forme. Dansant même quand le propos peut s’avérer plus lourd, aérien, empruntant des sonorités à la world music autant qu’à Boris Vian (Qu’as tu tu) et à toute l’histoire de la musique dite moderne, un pied dans la littérature, une autre dans le divertissement de qualité, Wendy Martinez interroge aussi sur la société qui est la nôtre sans flirter ne serait-ce qu’une seconde avec une certaine mièvrerie propre aux midinettes de la variété française aux propos insipides.

Rien de facile ici, mais rien de rebutant pour autant. Au contraire, ce disque réserve bien des surprises, textuelles, musicales, qui font que de multiples écoutes ne suffisent pas à tout analyser, à tout relativiser, à tout décrypter. Riche en un mot donc. Et une artiste décidément talentueuse que nous prenons plaisir, à chaque nouveau titre, à (re)découvrir. Et dire qu’on l’aime n’est qu’un pas que nous franchissons avec allégresse.

Patrick Béguinel

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