[ POESIE ] JEAN-CLAUDE PECKER, Lamento.
Lamento, recueil de poésies* de Jean-Claude Pecker, disponible chez Z4 éditions.
Il y a des récits, des romans, des histoires, et l’Histoire. Et il y a mille et une façons de la raconter, cette histoire, intime, bouleversante au point qu’il faille cinquante ans pour qu’elle voit le jour, qu’il faille dix ans pour agencer ses détails. Jean-Claude Pecker a décidé d’émousser sa plume sur une poésie qui prenait racine au cœur des sentiments les plus forts, ceux de l’absence, de l’horreur et de la cruauté du monde. Lamento est ce dernier voyage qui évoque la disparition de ses parents, le jour de ses vingt et un ans, disparition de ses parents en partance pour Auschwitz, via Drancy. Douleur, cendres, oubli, trois ingrédients pour un recueil qui touche à l’essence du monde et des hommes.
8 poèmes.
Lamento, une plainte, un souvenir amer dispersé sur 8 poèmes. 8 poèmes, ce n’est rien, c’est également tout. 8 poèmes, ce sont toutes ces choses qui n’ont pu être dites, c’est l’amour filial qui jamais ne s’est éteint, ce sont des sentiments incandescents, qui brûlent et se consument pendant des décennies. C’est aussi réussir à dépasser la pudeur, réussir à vaincre ses démons, parvenir à trouver la force d’exprimer l’indicible, sans virer dans un pathos de mauvais goût.
Jean-Claude Pecker a mis du temps pour accoucher de ses 8 poèmes. Accoucher, le terme est juste, car il possède, ce mot, toute la connotation liée au corps, lié au sang, lié à la filiation. Sa propre filiation a été détruite par l’horreur nazie, volontairement, pour la simple raison que son père et sa mère, étaient juifs. Et lui, jeune homme, dont l’avenir, même si trouble du fait des événements qui avaient cours à l’époque, pouvait ouvrir le champ des possibles, se retrouva amputé de ces repères essentiels à tout homme, à toute femme, dans sa construction intime. La douleur ne se taira jamais, mais dans Lamento, elle trouve un autre moyen d’expression.
Résilience.
Dans ces poèmes, il est question de cendres, d’oubli, de trains noirs qui vont vers le nord, des trains dont le bruit résonne dans chaque recoin de la mémoire de Jean-Claude Pecker. Le pouvoir des sens. Bon ou mauvais. Mais qui reste et qui, à chaque moment, peut se réveiller. Le pouvoir des mots égal celui des odeurs, des couleurs, des souvenirs indélébiles puisque traumatisant. Il est aussi question d’hommage aux êtres aimés, simplement exprimé par un fils choqué, encore et toujours, par la barbarie qui les lui a enlevé.
Ces 8 poèmes sont aussi ceux d’une expression universelle, celle de l’amour que nous portons à nos proches. Celle d’un deuil qui ne peut s’effectuer de façon normale, puisque la mort a frappé de manière totalement anormale. Que nous n’avons pu l’enterrer, ce deuil. Que l’abrupte réalité n’est qu’incompréhension, et douleur tragique, que nul ne peut effacer. Ne reste que les mots, et ceux de Jean-Claude Pecker sont simplement ceux d’un homme brisé, qui, jusqu’à son dernier souffle, survenu il y a quelques semaines, n’a jamais oublié ses parents.
Il paraît bien dérisoire que cette chronique paraisse aujourd’hui. C’est pourtant un hasard. À moins que l’inconscience m’ait poussée à lire Lamento hier et à publier ce papier aujourd’hui, jour de l’armistice de cette guerre qui a vu tant de familles détruites par la « folie » de certains hommes. Le devoir de mémoire ne doit jamais être négligé.
Dans deux jours, le 10 mai, cela fera 76 ans que ce couple a été déporté.
N’oublions jamais les victimes du nazisme et de tous les génocides.
Disponible également chez Z4 éditions : Le bruit qu’on entend dans les caves de Philippe Azar et Secrets et Turbulences de lamento.
*Ce recueil est disponible en version française, bilingue esperanto-française
Nous pensons également à Thomas Degré et ses livres De Budapest à Paris et Marie, 4 novembre 1943