[BD] VILLIEU & HOUCKE, deux hivers un été (éd.La boite à bulles)

Des saisons mêlées de joies et de larmes

L’héroïne de Deux hivers un été, Wally, livre son témoignage sur les événements tragiques qui ont touché sa famille lors de la Seconde Guerre mondiale. Ses parents étaient artisans à Paris. L’occupation de la France par les nazis sonne le glas pour cette famille juive venue dans l’hexagone pour se construire une vie meilleure. L’arrestation de leur fils aîné la pousse à mettre ses filles à l’abri, en zone libre, près de Grenoble.

La promiscuité, la faim, la peur tenaillent Wally et ses sœurs. De plus, la plus petite est restée à Paris avec leurs parents. Pourtant, au milieu de l’enfer, leur refuge leur offre aussi des moments de grâce. Leurs amis sont présents pour elles quand ils le peuvent, mais très vite la réalité les rattrape, et leurs parents sont déportés.

Wally et ses sœurs s’accrochent à la plus ténue parcelle de bonheur pour ne pas sombrer et récupèrent la petite dernière par miracle. Elles savent que le danger rôde partout, et elles redoublent de vigilance pour ne pas finir dans les gueules des cerbères nazis. Elles ont l’espoir chevillé au corps et espèrent le retour de leurs proches envoyés à Auschwitz. Elles ne peuvent imaginer l’horreur indicible qui se trame dans un tel camp de l’abomination où l’ignominie côtoie l’innommable.

La vie envers et contre tous

Deux hivers un été est une BD essentielle dans le paysage du neuvième art. Elle traite un sujet difficile en empruntant le prisme du témoignage. Wally, cette jeune fille, qui doit devenir adulte bien avant l’heure, nous emporte dans son quotidien, nous fait partager ses espoirs, ses coups de cafard, ses peurs, ses doutes et son indéniable ténacité. Elle résiste tout autant que les maquisards et les maquisardes, tout autant que Joséphine Baker, Lucie Aubrac, Germaine Tillion, Berthy Albrecht, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, car Wally maintient la cohésion de sa famille écrasée par le régime totalitaire nazi.

Cette femme nous transmet sa vérité, dépouillée, sans faux-semblants, sans rien dissimuler de ses fragilités et de ses heures plus légères. Elle nous transperce le cœur, et nous suivons ses pas en nous identifiant sans mal à cette âme vaillante. Elle nous laisse entrer dans le boudoir secret de sa mémoire, dans son intime corridor, et nous chavirons avec elle sur les flots déchaînés de la barbarie la plus veule. Nous sommes des privilégiés, car elle nous permet d’assister à un dialogue entre elle, l’auteure et l’illustrateur. Nous sentons poindre tout le respect et la prévenance de Valérie Villieu et d’Antoine Houcke dans ces planches vibrantes de sincérité.

Dessin sensitif, encre précieuse

Le terme osmose ne serait pas de trop pour parler de la connivence évidente qui lie les trois protagonistes de ce projet superbement mis en images par Antoine Houcke. Durant six années, l’illustrateur a œuvré pour livrer sa lecture du témoignage de Wally. Valérie Villieu donne elle aussi sa vision en se glissant dans la peau de Wally. Les mots de Wally sont retranscrits par la plume de Valérie et les mots de Valérie prennent vie sous le pinceau d’Antoine. Ce triangle d’encre sympathique qui déroule l’histoire comme s’écoule le liquide d’une clepsydre nous fait une place dans son espace. Un quatuor se forme avec le lecteur ou la lectrice sans effort, comme si tout cela coulait de source.

Les dessins sont vifs, leurs traits sont maîtrisés, nous sentons le travail dantesque de l’illustrateur qui a dû passer de longues heures pour composer chaque case pour donner du rythme et de la force au témoignage de Wally. Un illustrateur ne fait pas qu’illustrer un propos, il le transfigure, il l’emmène dans une autre direction et lui donne une autre dimension. Trois voix, trois lignes, trois dimensions s’offrent à notre regard qui se nourrit de nos expériences, de nos souvenirs, de notre sensibilité.

Pour conclure

Deux hivers un été est une fresque qui nous donne à voir les épreuves martelant injustement une famille juive sous l’occupation. À travers les yeux de Wally, le lecteur découvre un récit à la puissance évocatrice indéniable, superbement rendu par deux créatifs sensitifs.

Les trois voix, qui s’expriment dans cette BD, les quatre même si je compte celle d’Annette Wieviorka qui signe la préface, nous invitent à rejoindre leur cénacle et à prendre toute la mesure des instants d’Apocalypse qui ont buriné la face du monde. Des témoignages comme celui de Wally doivent être relayés, c’est une entreprise nécessaire et primordiale, afin de nous prémunir d’extrêmes come-back, de nostalgies négationnistes ou d’obscurs schémas rétrogrades. Je vous conseille donc de mettre cette BD entre toutes les mains que vous chérissez, pour que jamais, ô grand jamais, les victimes de la vilenie, tombent dans l’oubli.

Il n’y a rien de dangereux que l’ignorance. Elle est la mère de tous les obscurantismes.

Florent Lucéa

deux hivers un été

 

Deux hivers un été de Valérie Villieu et Antoine Houcke, La Boîte à Bulles, 192 pages, mai 2020

 

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Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
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