[BD] Le voyage de Marcel Grob//L’itinèraire d’un malgré nous

 Le voyage de Marcel Grob, de Philippe Collin et Sébastien Goetthals (paru chez Futuropolis)

Marcel Grob est arrêté manu militari et présenté à un jeune juge d’instruction qui l’accuse d’avoir été un Waffen SS. Marcel ne nie pas longtemps son enrôlement dans cette branche militaire du troisième Reich, mais il précise qu’il a été contraint de s’engager. En effet, Marcel vivait en Alsace et n’avait que dix-sept ans, lorsque les nazis l’ont « réquisitionné » avec tant d’autres jeunes Alsaciens, arrachés à leur région sous domination nazie. Ils n’ont guère eu le choix, puisque si l’on refuse de rejoindre le Reich, sa Gestapo s’occupe de votre famille.
Cet odieux chantage pousse Marcel dans les chélicères acérées des Waffen SS. Son périple au bout de l’enfer commence. Aucune horreur ne lui est épargnée.

Le juge va devoir démêler les écheveaux de la mémoire de Marcel pour se faire son opinion. Marcel, est-il réellement un « malgré nous », un gamin embarqué dans une guerre ignominieuse, ou un criminel de guerre, complice de massacres abjects ?

Le regard du condamné

La couverture est composée avec soin. Cette masse informe de soldats qui marchent vers un destin bien incertain nous glace le sang. Légion d’automates désincarnés, avalés par la machinerie coupable de crime contre l’humanité, digérés et surtout sacrifiés sur l’autel de la fanatisation d’un petit être moustachu qui embrase le monde pour l’uniformiser et le rendre malléable à souhait. De ce délire misanthropique, naîtra la plus grande plaie que l’Histoire moderne a connue.

Le jeune Marcel nous lance un regard désespéré sur cette couverture. Ce regard nous interpelle, nous transperce comme une balle de luger parabellum et nous lance un appel : « Sauvez-moi de cet enfer ! »

Hélas, personne ne sauvera Marcel. Il reste hanté par toutes les affres de cette guerre dégueulasse qui marque les hommes aussi sûrement qu’un tatouage sous le bras pour les soldats improvisés ou sur le poignet pour les déportés. À croire que les nazis avaient besoin de marquer les gens comme du bétail et nier ainsi leur humanité : de la chair à canon dans le cas de Grob et de ses comparses, des « semi-humains » dans le cas des déportés. Comment le monde a-t-il pu basculer dans une telle infamie ?

Témoigner pour ne pas oublier

Marcel nous entraîne sur les chemins de la perdition, dans les méandres obscurs de la Waffen SS et sa propension à laver le cerveau de ses mercenaires pour qu’ils exécutent toutes personnes rencontrées sur leur route sans se poser trop de questions. Les couleurs changent selon que nous suivions Marcel dans les sillons de sa mémoire ou que nous assistions à sa joute verbale avec le juge et la greffière au nom bien trop évocateur pour que cela soit une pure coïncidence.

Justement, ce roman graphique sème des cailloux blancs tout au long de ses pages jusqu’à un dénouement final qui vous laissera, j’en suis sûr, aussi pantois que moi.

Nous nous attachons sans problème à ce petit gars de l’Alsace pastorale et nous tremblons pour lui à chaque étape d’un parcours semé de morts, de balles qui sifflent à ses oreilles, d’exactions macabres et de perte d’identité. En effet, Marcel ne sait plus à quelle bouée se raccrocher pour garder sa santé mentale intacte. Il ne veut pas être là, mais il n’a pas le choix. Hanté par son passé, Marcel témoigne pour que personne n’oublie. Il ne raconte pas ce qu’il a vécu simplement pour se défendre. Il a été relégué au rang de maillon de la chaîne implacable qui étranglait le monde en 1945. Il voulait survivre, mais est-il réellement revenu intact de cette terrible épreuve ? En revient-on tout court ?

Pour conclure

Le voyage de Marcel Grob est un roman graphique qui participe sans aucun doute au devoir de mémoire en s’attachant à un pan méconnu de notre Histoire. L’Alsace et la Lorraine étaient écrasées par la botte nazie qui a ponctionné ses enfants pour grossir les rangs de son armée sur le front de l’est et en Italie.

La guerre vous dévore corps et âme. Marcel essaie de résister à cette bête féroce qui le marquera à vie. Or, si les guerres mondiales sont seulement un binôme, elles ont laissé la place à des conflits plus localisés, des tensions entre États dits civilisés, des terreurs kamikazes et des dissensions sociétales qui sont autant de barils de poudre prêts à consumer le monde.

Combien d’autres Marcel Grob existent encore sur notre globe asphyxié ? Combien d’enfants, combien de femmes, combien d’hommes sont enrôlés de force, conditionnés, lobotomisés avec des idées obscurantistes et rétrogrades pour rejoindre les rangs de légions décadentes ?

Heureusement que toustes les prêtresses et les chantres de la Culture plurielle et diverse, qui multiplie le champ des possibles, nous alertent des dérives sociétales, des séparatismes imbéciles, des divisions stériles et empêchent nos mémoires de gommer ce qui nous a précédés. Si nous savons d’où nous venons, nous savons vers quoi nous devons aller.

Florent Lucéa

Une autre BD : Léo et la méduse.

le voyage de marcel grob

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Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
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