LANCELOT SABLON, L’exil des animaux

l'exil des animaux lancelot sablonLe grand recommencement

Nom d’une comète, la nature n’est pas notre subordonnée ! Ras le tricorne, prenez votre rapière, et suivez, chère lectrice et cher lecteur, les aventures fantasmagoriques de Loutre, Chouette, Loup, Castor et Musaraigne dans L’exil des animaux de Lancelot Sablon.

Cette équipée de bêtes déter à quitter leur terter nous embarque dans un atterrissage prometteur sur une lande foisonnante et luxuriante, refuge bienvenu après leur départ d’une Terre moribonde et nauséabonde, où les humains mésestiment tout ce qui porte des plumes, des poils, des écailles, et ne parlons même pas de ces pauvres plantes !

Hélas, trois fois hélas, la promesse de renouveau tourne court. En effet, une terrible menace se profile sur la planète verte de l’exil, et nos amis animaliers, aussi roublards que vaillants à ne pas se laisser dépossédés de leur rêve d’Eldorado, décident de vaillamment combattre l’adversaire qui fait obstacle à leur installation avec toute leur compagnie d’espèces éreintées.

Découvrez un livre jeunesse qui ne prend pas les jeunes pour des ignares en leur contant de vaines fariboles. Il est peut-être temps d’arrêter de croire que nos têtes juvéniles ne doivent être nourries que de réseaux asociaux, de télé déréalisée et d’écrans biberonnés à la pie de la vacuité neuronale…

Dire en peu de mots l’essentiel de toute une vie

Les superbes illustrations de Samiki sont peu nombreuses, mais elles suffisent à donner vie à ces animaux aux caractères bien identifiables. Si Lancelot Sablon choisit ses mots avec soin, Samiki sélectionne elle aussi avec précision ce qu’elle veut représenter.

Le livre est court, les images sont sporadiques, saupoudrées de-ci de-là comme des copeaux de givre sur le lac de la fée Viviane, mais rien n’est fait au hasard. La couverture constitue une expérience sensitive à elle seule. Les lettres du titre stylisées et modelées avec brio participent de l’attention portée à tous les détails de ce petit trésor de stratagèmes inventifs.

Le style graphique enlevé et redoutablement efficace traduit de manière parfaite la sensibilité de Samiki qui affleure comme un lotus à la surface des eaux pourpres du Nil. Une délicatesse, une économie des traits et des teintes, une composition tout en finesse et en maîtrise qui sert le texte et lui insuffle une mise en relief opportune.

Je verrais bien ce livre adapté en livre tridimensionnel à la sauce Babouche à l’oreille, la maison d’édition des livres audio, adaptés en spectacles vidéo et agencés avec brio par une équipe artistico-sensible.

Les mots de l’auteur d’ailleurs sont tous mûrement réfléchis et ne se livrent pas facilement. Ils résistent gentiment, l’auteur donnant la définition en fin d’ouvrage des mots qui pourraient être les plus hermétiques.

Texte et images se combinent à merveille. La possibilité d’écouter la voix de conteur de Lancelot Sablon est une opportunité merveilleuse qui permet de prolonger l’expérience tactile et visible par un voyage audible.

La flèche qui atteint sa cible

Lancelot Sablon excelle dans un exercice complexe. S’adresser aux enfants, sans tricher, en toute sincérité, sans faux-semblants, sans effets de manche, sans grandiloquence, sans en faire trop. Avec patience, avec bienveillance, l’auteur-maître-conteur nous emporte dans son intime vision, dans son monde de fabuliste du vingt-et-unième siècle, sans effort, en nous prenant au creux de son cœur et en nous parlant au centre névralgique de notre pavillon auditif.

Rien de violent, pas de slogan, pas d’esbroufe, dans L’exil des animaux, tout coule comme le fleuve impétueux de nos songes mutiques, tout glisse comme le manteau illusoire de nos pensées assiégées par la surenchère médiatique, tout nous englobe, nous enrubanne et nous environne pour toucher notre propre intimité et nous emmener vers la pleine conscience.

Tous les messages, même les plus évidents, doivent être répétés, martelés au burin de nos convictions, défendus becs, griffes et nageoires afin que les générations qui fleurissent sur nos terres délavées par l’obscur, la peur, la gloire éphémère et l’argent-gangr’haine se réveillent avant qu’elles soient irrémédiablement coincées dans la Matrice

Pilule bleue ou rouge, peu importe, vous n’avez pas le choix finalement… Refusez d’être des zombies conformistes en déliquescence adeptes du métro-boulot-dodo et chercher à être, plutôt que passer pour…

Laissez donc les masques, que l’on voudrait vous faire porter, dans la poubelle, apprenez à penser par vous-même, pour vous-même, car oui, vous vous appartenez. Vous n’êtes à personne… Vous ne vivez pour personne à part pour vous…

L’exil des animaux vous somme de respecter toutes les vies, car vous faites partie de toutes ces vies, sans en être propriétaire, et toutes ces vies ne vous possèdent pas non plus, mais elles sont une part primordiale de votre être !

Pour conclure

Court, succinct, précis, aussi habile que les stratagèmes de Renart, aussi volubile que la langue de sieur La Fontaine, bien plus utile que toutes les conférences d’États hypocrites lors de COPies à revoir, que tous les débats d’experts écologigues dans le tube cathodique ou que tous les spécialistes de la psycholologie des petits nenfants à qui il faut donner des livres aseptisés, affaiblis, simplistes et dépecés de toute réflexion ou message à l’universalité nécessaires (je pense notamment aux livres du Club des cinq défigurés par les lèvres gercées de la bien-pensance).

Oui, arrêtons de provoquer des prises de conscience ! Oui, vraiment, arrêtons de poser des questions qui invitent au développement d’une pensée propre ! Oui, franchement, enfin, cher Lancelot, vous allez trop loin avec vos synonymes éclipse-totale, vos tournures de phrases oniriquement incorrectes et votre propension à vouloir alimenter la curiosité de nos jeunes esprits en péril.

Espérons que l’exil d’un Lancelot à rapière métaphorique, pourfendeur d’injustes idées rétrogrades et insipides, puisse constituer un début de planche de salut pour toustes ces gamines et gamins livré(e)s à iels-mêmes, dégouté(e)s d’apprendre par un système de compétition perpétuelle et de course à la réussite à tout prix, rendu(e)s sourd(e)s aux souffrances d’autrui par le culte programmé de l’égo-montgolfière et abreuvé(e)s de superficialité véhiculée par des pontes de la bêtise la plus consumériste et mercantile possible.

L’exil des animaux, de Lancelot Sablon, auto édition, 36 pages, mars 2021

Florent Lucéa

florent lucéa 2021

Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
Depuis 2021, il dirige également la collection encre sèche des éditions Ex Aequo

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Florent

Florent Lucéa a rejoint l'équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l'oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l'on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019. Depuis 2021, il dirige également la collection encre sèche des éditions Ex Aequo

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