CHEN QIUFAN, L’île de silicium

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Roman (science fiction/techno thriller) disponible chez Rivages.

Sur une île située au large de la Chine, répondant au nom d’île de silicium, les matériaux technologiques usagés sont envoyés en vue d’être recyclés. Au milieu des déchets vit une communauté d’hommes et de femmes soumis à une pollution démentielle et travaillant dans des conditions plus que précaires. Trois clans règnent sur l’île, s’arrangeant avec ce business florissant, mènent leurs affaires et asservissent les déchetiers à leur tâche ingrate. Mais parmi eux travaille Xiaomi, une jeune femme qui va changer le cours des événements et amener ses frères et sœurs d’infortune à se réveiller.

En situant son histoire dans un futur indéterminé, mais plus que réaliste car puisant certaines de ses réflexions dans une réalité souvent invisibilisée quant au regard des pays occidentaux, Chen Qiufan mêle technologie de pointe et tradition dans un ballet dont on imagine très vite l’issue sanglante. Au fur et à mesure des pages, il tisse des portraits forts, contrastés, à l’humanité blessée, et nous entraine dans une vaste réflexion quant à nos manières de consommer, sur le transhumanisme, mais également sur notre rapport aux croyances.

Une plume choc.

L’auteur prend le temps de planter le décor et nous immerge directement dans des transactions entre une entreprise américaine de recyclage et un chef de clan régnant sur l’île de Silicium. Déjà pleuvent quelques phrases chocs, comme ces propos du chef d’entreprise chinois qui, alors que Scott Brandle, l’émissaire américain, tente de lui vendre son concept, rétorque : « Intéressant, présenté ainsi. Les Américains laissent leurs déchets sur le pas de la porte d’autrui puis, un moment plus tard, ils font demi-tour et vous disent qu’ils sont venus vous aider à nettoyer, et que c’est pour votre bien. » (p27)

Le cynisme est donc de rigueur et pointe l’un des méfaits criant d’injustice de la mondialisation (un autre exemple est donné plus loin, p.54 pour illustrer la chose). On sent chez l’auteur une vraie prise de conscience, une colère aussi contre ces industriels peut scrupuleux pour qui la vie humaine n’a que peu d’importance. Mais de la même manière, il dénonce les ressortissants de son propre pays qui n’hésitent pas, eux non plus, à asservir leur propre population au seul but de tirer profit de la situation.

Transhumanisme.

Des images, chocs et même violentes, apparaissent ici et là pour dénoncer, là aussi, les méfaits d’une quête technologique effrénée et sans limites qui pollue la terre et pervertit les corps. Afin d’être toujours plus connectés, d’être toujours plus augmentés, d’être toujours plus forts, les hommes et les femmes se font poser des prothèses censées les améliorer. Même les chiens sont pucés (plutôt que dressés), pour attaquer quiconque arrive sur un territoire ne leur appartenant pas, pour contenir les déchetiers dans leur quartier, ou pour remuer la queue dès qu’une personne s’approche (une scène très violente est décrite dans laquelle un chien en voie de décomposition, remue toujours la queue dès que s’approche de lui. Cette découverte macabre amène Xiamoi à s’interroger sur la présence d’une âme véritable avant que Dang, son ami et traducteur de Scott Brandel, désactive la fameuse puce).

Cette question de l’âme contraste avec ce déballage de technologie. Nous savons le peuple chinois très respectueux de ses divinités, du poids des croyances, et le mélange entre ces traditions et cette technologie galopante impose un climat étrange au roman, comme une dualité. Chen Qiufan mêle les deux avec un brio incomparable, nous amenant à nous positionner face aux deux concepts, à trouver notre propre part d’humanité dans toute cette histoire.

Finish au sprint.

Tout s’installe donc, les rouages commencent à tourner et l’engrenage infernal commence à broyer les corps et les âmes. Chacun des protagonistes se retrouve confronté à des choix qui font ressortir leurs traumas, leurs blessures, leur apportant, même au moins reluisants, une véritable psychologie, loin d’un manichéisme qui aurait pu, pourtant, écraser le livre. Ces divers accidents, décrits parfois avec une poésie désarmante, vont faire s’écrouler toutes les tours d’ivoire et faire ressortir le poids de nombreuses frustrations. Le final qu’on s’imagine sanglant se met alors en branle et nous porte vers une révolution dont on espère que les fruits ne seront pas pourris.

Le rythme alors s’accélère, les événements s’enchainent et les dernières zones d’ombre disparaissent, comme si Chen Qiufan réussissait à trouver l’élément manquant autour duquel tout s’articule. Ainsi, l’humain retrouve ses facultés d’humain, retrouve aussi ses croyances véritables (et non dévoyées par l’idée d’un quelconque profit) et la fin laisse s’échapper une infime lueur d’espoir.

Ce roman captivant, original et chargé de sens montre le brio d’un auteur peu commun, ainsi que les qualités d’une littérature trop peu mise en avant. L’île de silicium est une vraie réussite qui nous met face à nos actes et qui tente, modestement, de nous amener à réfléchir sur ce qui nous a été légué et sur ce que nous laissons en héritage aux générations futures. A méditer donc.

Patrick Béguinel

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