F.RUSCAK, P.BRIONES, Sirènes et Vikings (Les humanoïdes associés).
Tome 1 : Le Fléau des abysses
Deux mondes vivent à proximité l’un de l’autre. Celui des humains, des Vikings, ces guerriers légendaires, belliqueux, fiers et rebelles. Celui des Sirènes, ces poissonnes monstrueuses de légendes brumeuses, prétendument assoiffées du sang des pauvres mortels.
L’affrontement est inévitable. Le crime de l’un des bipèdes pousse l’une des écailleuses à prendre une décision radicale : libérer une terrible créature abyssale et colossale, en contrevenant à l’ordre de sa reine-mère.
Un chef des Vikings envisage d’éradiquer ces maudits humanopiscis, mais son fils, épris d’une troll issue des amours d’une humaine et d’un troll, donc paria dans le monde féerique comme dans le monde des humains, propose d’en apprendre plus sur ces abjectes belligérantes entraînant les marins et leurs navires par le fond.
Contre toute attente, le jeune idéaliste tombe éperdument amoureux de son ennemie désignée, ce qui déclenche une succession d’événements dramatiques, et le lovecraftien Léviathan aux tentacules de Kraken pourrait bien causer la perte des uns et des autres…
Les antagonistes énamourés
La virtuosité de Philippe Briones n’est plus à démontrer. Ce travailleur acharné du trait et de la forme livre toujours des dessins d’une intensité graphique hallucinante, d’une vive tension au niveau des mouvements et des expressions faciales et d’une minutie savante concernant les détails des décors, des costumes ou des accessoires.
Ses Sirènes possèdent une animalité qui fascine et terrifie à la fois, et en même temps des mimiques tellement humaines. Enfin, je dis « ses » Sirènes, ce n’est pas totalement exact. À l’origine de ces prédatrices mirifiques, deux BDistes à la puissance évocatoire bienvenue : Gihef et Marco Dominici. Philippe Briones ne trahit pas leurs créations et leur donne leurs lettres de noblesse. De l’émulation à l’état brut !
Les Vikings sont fiers et revanchards, mais le jeune Ingvald apparaît comme le vilain petit canard. Pas étonnant qu’il aime la jeune troll hybride, puis que les écailles argentées d’Arnhild l’intriguent.
Deux cœurs, l’un de Terra, l’autre Hydro, s’apprivoisent en se moquant des rancœurs, des préceptes, des obstacles inhérents à leurs conditions de mortels ennemis.
L’amour, plus profond que l’océan, plus impétueux que l’ouragan, plus dévastateur que l’incendie et plus ancré que la montagne, emporte tout sur son passage et menace la pérennité des deux mondes. Mais comme Roméo et Juliette, Pyrame et Thisbé, Antigone et Hémon ou Iseut et Tristan, Igvald et Arnhild s’aiment et se désirent en défiant toutes les lois établies au nom de la peur.
Les profondeurs des relations inhumaines
Même si leurs relations peuvent entraîner des conséquences funestes pour les humains comme pour les Sirènes, nos deux tourtereaux persistent et signent. Ils essaient de changer les choses…
Ils sont attirés l’un vers l’autre d’une manière inexorable, comme un papillon se dirige vers une flamme.
Les relations dépeintes ici sont bien plus complexes que nous pourrions le penser de prime abord. Igvald est mésestimé par son père, sa dulcinée troll est rabrouée par son clan et a choisi de le quitter, car elle est jugée impure du fait de son ascendance, et Arnhild a des relations complexes avec sa mère.
Ces trois personnages, issus de peuples divergents, tentent chacun à leur manière de prouver leur valeur, de sortir du lot pour que les leurs soient fiers d’eux et de se démener pour défendre les intérêts de leurs camps respectifs.
L’amour à mort
Ils forment en fait un triangle amoureux atypique et deviennent le parangon de nos relations labyrinthiques et obscures nées de sociétés sclérosées par le jugement, le regard de l’autre, l’intolérance patentée et les liens superficiels entretenus à coups de pouces bleus, d’images stéréotypées et de clichés bombardés sur tous nos écrans fixés devant nos prunelles creuses.
L’amour à mort (référence à la pièce Amour Amor des Bombyx du Cuvier, troupe basée à Saint-André-de-Cubzac en Gironde) n’est pas de l’amour, ni sur notre globe, ni sur les planètes disparates de Doctor Who, ni dans de fantastiques dimensions sous l’égide de nos Sirènes, de nos rêveurs de Sandman, de Matrix ou encore d’Alice aux pays des merveilles. Aucune relation alimentée à la pie de la cruauté et de la bassesse ne peut réellement nourrir ces protagonistes.
Oui, le fantastique, la SF, la BD, le manga, le livre illustré, ne sont pas des mirages insipides. Ils nourrissent autant que des classiques germinaliens, chagrinés de peau, esméraldalisés ou bovarystes. N’en déplaise aux élitistes de tous les bords, les arts multiples n’appartiennent pas à la rigoriste normativité, mais à toustes nos diversités interconnectées.
Pour conclure
Le premier tome de Sirènes et Vikings amorce le début d’une saga de quatre tomes indépendants (les quatre tomes sont sortis à l’heure de cette chronique), chacun sous la houlette de duos créatifs différents.
Il est le vestibule d’un univers riche, multifacettes, fantastique et lugubre, qui, à travers le prisme de monstres, de bêtes à la dentition cauchemardesque, de batailles épiques et intestines, de passions et de ressentiments exacerbés, nous en dit bien plus que nous pourrions le croire sur notre propre monde entaché de violences, de harcèlements, de maltraitances et de jugements à l’emporte-pièce.
Sirènes et Vikings, Tome 1 : Le Fléau des abysses, de Françoise Ruscak et Philippe Briones, Les Humanoïdes Associés, 56 pages, septembre 2020
Florent Lucéa
Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
Depuis 2021, il dirige également la collection encre sèche des éditions Ex Aequo
Florent
Florent Lucéa a rejoint l'équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l'oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l'on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019. Depuis 2021, il dirige également la collection encre sèche des éditions Ex Aequo