ETIENNE GENDRIN, Têtes de mule

Aux Résistantes, La Patrie reconnaissante

Couverture de Têtes de mule d'Etienne Gendrin

Têtes de mule conte l’histoire de La jeune Alice Daul qui rejoint son Alsace natale après une longue absence pour cause d’occupation allemande. À peine débarquée, elle se rend compte que sa région est sous la coupe totalitaire de l’Allemagne nazie.

Très vite, elle décide d’entrer dans la lutte avec ses copines de scoutisme (dissous voilà peu par les lois nazillardes).

Les valeurs de ses six héroïnes, leur hardiesse, leur courage n’ont rien à envier aux Résistants qui prennent le maquis ou font sauter des chemins de fer.

Découvrez leurs actions, leurs doutes, leurs réussites, le danger qui couve dans tous les recoins, et vibrez en suivant Alice dans son combat pour la liberté primordiale de chaque être humain à disposer de sa personne.

Des filles qui hantent la tempête

Alice et ses amies sont ébauchées par Étienne Gendrin comme s’il avait été témoin de leurs aventures. Il saisit sur le vif, en quelques traits et avec une large gamme de couleurs aquarellées, leurs attitudes et l’ambiance des lieux qu’elles traversent. Nous avons l’impression que les personnages évoluent devant l’auteur et qu’il les dessine en direct, avec rapidité, pour saisir leur physionomie, leur donner vie sur le papier, sans chercher à traduire un réalisme documentaire.

L’auteur-illustrateur dessine ses ressentis sur les confidences d’Alice avec un respect et une admiration qui se lie entre les cases et les phylactères. Il donne sa lecture du parcours si incroyable d’une jeune fille qui défie un système abject.

Couleurs et lignes virevoltent les unes avec les autres pour notre plus grand bonheur. Alice a un petit côté Tintin ou Bécassine, notamment avec son nez-allumette, mais contrairement à Bécassine dans ses premières aventures, Alice possède une bouche, et elle sait utiliser les mots pour mobiliser son réseau.

Ce dernier est une incroyable mécanique qui a permis à des prisonniers et à des jeunes alsaciens désireux d’échapper au travail obligatoire de prendre les chemins de traverse et de sauver leur vie.

Six jeunes filles, telles des petites fourmis face à la botte nazie, relèvent le plus grand défi de leur existence.

Il n’y a pas de petite résistance

Nos Résistantes sont comme L’Albatros de Baudelaire et comme le Poète, elles ont des rêves et des aspirations. Elles veulent déployer leurs ailes vers les nuées (la liberté), mais leurs ailes de géantes (c’est-à-dire leurs idées altruistes) les empêchent de marcher sur un sol occupé par l’hydre nazie.

Nos Super Nanas (oui, j’ai des références très hétéroclites) combattent le fascisme avec leurs moyens. Les capacités, qu’elles ont acquises avec leur expérience du scoutisme, leur insufflent le courage et l’endurance nécessaires pour mener à bien leur mission.

À l’instar de Marcel Grob (voir notre chronique sur Le voyage de Marcel Grob de Philippe Collin et Sébastien Goethals) enrôlé de force dans la Waffen-SS, Alice et ses complices de toujours résistent à leur mesure.

Elles ne font pas sauter de train, ne tirent pas sur des officiers nazis ayant torturé des Femmes de l’ombre (film éponyme de Jean-Paul Salomé), ne rejoignent pas un groupe comme celui de Missak Manouchian (L’Armée du Crime de Robert Guédiguian), ne livrent pas des codes secrets au chef de la Résistance (Jean Moulin, une affaire française de Pierre Aknine) ou ne pilotent pas des avions rivalisant d’adresse pour épauler des troupes en danger (Dunkerque de Christopher Nolan).

Non, elles ne font rien de tout ça. Elles décident, seules, d’offrir un saufconduit à des braves gens.
Il n’y a pas de résistance insignifiante. Chaque pierre apporte sa force à l’édifice qui fera ployer l’arbre décharné du Reich.

Pour conclure

Alice Daul a témoigné de ses aventures hallucinantes, et Étienne Gendrin les a mises en images avec inventivité. Il nous offre une lecture sensitive de l’histoire d’Alice. Il traduit avec brio les tensions sur les visages ou dans les corps, avec une économie de traits et des contrastes saisissants qui nourrissent notre imagination. Nous vibrons, nous tremblons, nous accompagnons ces six Drôles de dames qui n’ont rien à envier aux Résistantes plus médiatisées telles que Lucie Aubrac ou Germaine Tillion.

Elles partagent toutes le même feu intérieur, et toutes ces flammes ont alimenté un brasier à même de fragiliser l’aigle despotique. Elles ont participé à la défense de la liberté, et le monde ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui, sans ces femmes valeureuses. Des œuvres comme Têtes de mule nous permettent de ne pas oublier que la Résistance a plusieurs visages, et que la moindre action menée a compté et a fait la différence.

En effet, imaginez que ces cinq cents personnes passées en Suisse soient restées sous le joug nazi, il est certain que leur sort aurait été bien funeste.

Si vous avez envie d’en apprendre plus sur des Résistantes déterminées et vaillantes, alors Têtes de mule doit se poser sur votre table de chevet et passer ensuite sur celle de vos ados. Ces derniers pourront alors « lire plaisir, tout en lisant utile » !

N’est-ce pas le propre de la Culture plurielle d’ouvrir nos horizons ?

Têtes de mule, d’Étienne Gendrin, La Boîte à Bulles, 168 pages, Octobre 2020

Florent Lucéa

florent lucéa 2021

Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
Depuis 2021, il dirige également la collection encre sèche des éditions Ex Aequo

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Florent

Florent Lucéa a rejoint l'équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l'oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l'on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019. Depuis 2021, il dirige également la collection encre sèche des éditions Ex Aequo

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