AIMEE DE JONGH, Taxi !
Hey Taximan ! Raconte-moi ce que tu vis…
Une bédéiste, qui voyage pour promouvoir son art, atterrit dans les villes cosmopolites du monde, traverse la vie comme elle vient, sort d’aéroports surpeuplés, s’engouffre dans des taxis, s’installe sur leur banquette arrière et converse avec les chauffeurs avec plus ou moins de facilité. Taxi ! est son histoire.
Elle choisit quatre villes, quatre taxis, quatre conversations, quatre histoires de vie, des moments fugaces, en surface, et qui pourtant, laissent la place à une sincérité à fleur de peau, entre deux regards qui se croisent dans un rétroviseur. Un cœur à cœur, sans prétention, sans préméditation, deux solitudes qui se rencontrent, s’apprivoisent et dialoguent, alors qu’une relation de service les unit.
Alors, pourquoi se confier ? Par quel phénomène alchimique, chacune chacun parvient à dire des choses qu’elle/il dissimule au fond d’elle/lui ? Rien que le hasard de la rencontre ? Rien que le besoin de vider son sac ? Ou alors un lien ténu et étrange qui se tisse sans savoir vraiment pourquoi.
Clair-obscur sur carlingue solitaire
Le noir et blanc d’Aimée de Jongh est fait d’aplats denses et de blancs lumineux. Ils se marient, tricotent une trame invisible, qui harmonise et unifie les formes, les personnages, les bâtiments, les foules, les espaces traversés par ces taxis et leurs occupants.
Les visages des protagonistes principaux sont bien identifiables, très différents. Leurs traits, leurs expressions faciales, le jeu des regards créent un pingpong qui fait écho à l’alternance des morceaux de chacune des quatre scènes des quatre véhicules évoluant dans quatre cités antagonistes. Ces dernières sont identifiées aisément grâce aux ambiances de rues, aux passants et au paysage qui nous environnent.
Ces scènes entrecoupées et mixées entre elles avec une apparente déconstruction semblent exprimer le fil de la pensée de l’autrice qui se déroule comme défilent les souvenirs, les immeubles ou les autres véhicules. C’est comme si les souvenirs disparates se rassemblaient comme ils pouvaient, mais pourtant, chères et chers Litzic Addicts, vous suivrez les quatre moments du quotidien facilement, sans vous perdre inutilement.
Émergences du quotidien
L’autrillustratrice transmet des émotions avec un souci du détail des textures des objets, des personnages et transfigure ses souvenirs d’une manière surprenante. En effet, d’un quotidien, qui pourrait paraître banal à certains esprits emmurés dans leur forteresse imaginativement infertile, l’autrice livre une BD sensible qui nous laisse un souvenir ému et nous renvoie à nos propres expériences de liens courts avec une personne télescopant nos parcours de vie : cette BD nous fait prendre conscience que l’Art pluriel se nourrit de toutes les inspirations.
Tout instant vécu peut nourrir tout le monde en réalité… Il suffit juste de rester ouvert à ces fractions sensitives…
L’artiste s’engage corps et âme à recréer le réel, à le réinventer, mais ici, Aimée de Jongh ne l’embellit pas, elle tente de rester la plus fidèle possible à ses souvenirs. Elle ne cherche pas non plus à atteindre un idéal. Ni surréalisme, fioriture, ou effet de manche.
comme dans toutes les autobiographies graphiques
Évidemment, comme dans toutes les autobiographies graphiques ou sous d’autres formes, il se peut que se glissent des élisions de moments gênants, des amendements ou des omissions de propos ou gestes qui desserviraient le message. Mais le propre d’un récit inspiré du réel n’est pas de dire la vérité !
Souvenons-nous des fameuses Confessions de Rousseau qui enjolive les tiroirs de sa mémoire. Annie Ernaux, dans L’autre fille, fait un récit autobiographique, mais l’autrice ne peut qu’extrapoler cette sœur qu’elle ne connaîtra jamais. Se raconter est un exercice complexe, raconter une scène de sa vie, une blessure, un événement marquant, en toute impartialité, est une mission impossible, l’être humain est une entité trop subjective pour transmettre toutes ces facettes, mêmes les plus obscures. La transparence totale serait une meilleure voix, pensez-vous ?
retranscrire le vécu
Taxi ! est une BD qui nous rappelle que les gens considérés comme invisibles : personnels de nettoiement, grooms, surveillants d’établissements scolaires, accompagnants, aidants, soignants, coiffeurs ou chauffeurs, sont des personnes bien trop souvent mésestimées.
Parfois, nous pouvons avoir tendance à négliger le « bonjour », le « merci », la petite attention envers celles et ceux qui nous offrent un service, nous soignent, nous encadrent, nous permettent de pallier nos empêchements.
Une BD à mettre donc entre les mains des regards à œillères et des cœurs inattentifs à des professionnel(le)s jugé(e)s parfois anecdotiques, alors que sans elles-eux, les mégapoles, les entreprises, la clientèle, les personnes faisant appel à elles-eux aussi développées, riches, puissantes, influentes, soient-elles, ne pourraient pas pérenniser leurs activités, leur économie, leur consumérisme. Tout le système serait grippé si ces pierres de fondation de nos pyramides inégalitaires ne tenaient pas le coup.
Un peu d’altruisme n’a jamais tué personne, par contre, prenez garde aux disciples des mots creux et insipides et leur propension à déverser leur fiel, à embrigader des gens en se conformant aveuglément aux délires d’un homme ayant pondu un bouquin qui s’écoule comme un poison dans les librairies du monde et qui gangrène nos esprits si nous ne prenons pas garde.
SI vous l’ignorez.
Diantre ! Ce genre de phénomènes, de verbiages, de théories fumistes et sans saveur, constitue une menace de première catégorie… car dites-moi : suivre les préceptes déviants, retranscrits dans un livre de soi-disant combat, griffonné par un homme aux idées bien plus étroites que sa taille au garrot ou celle de sa moustache, a été une voie si productive, si épanouissante et si opportune pour faire avancer l’humanité ?
Donc, oui, lorsque je lis des commentaires à la vacuité de gouffre gargantuesque à propos de ma chronique sur Dans la secte, je pourrais m’en moquer et rire très fort comme le saltimbanque que je suis aux yeux du monde. Je pourrais ne pas rétorquer, ne pas répliquer, je pourrais courber l’échine, me renfrogner, me vexer, m’abaisser à l’insulte crasse. Mais j’ai plutôt envie de hurler que la propagande avilissante qui s’extirpe de bien trop de bouches, me donne La Nausée, que je refuse de me taire et de répondre au mépris par l’indifférence.
Se taire, c’est consentir ! Je préfère poursuivre la création, l’écriture, je préfère dire à toustes les artistes que l’engagement dort dans la moindre de nos lignes tracées, et que nous ne devons pas baisser le crayon devant l’adversité !
JAMAIS !
Taxi ! Récits depuis la banquette arrière, d’Aimée de Jongh, La Boîte à Bulles, 96 pages, septembre 2021
PS : un petit dessin pour exprimer mon ressenti, comme la semaine dernière, sur Taxi ! une BD dont on se délecte comme d’une bonne tasse de thé tchaï et un cake au matcha. Portez-vous bien, et prenez soin de vous et des autres.
Florent Lucéa
Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
Depuis 2021, il dirige également la collection encre sèche des éditions Ex Aequo
Florent
Florent Lucéa a rejoint l'équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l'oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l'on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019. Depuis 2021, il dirige également la collection encre sèche des éditions Ex Aequo