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JESSIKA LOMBAR Coeur à pic, vertige de l’amour
Nouveau roman paru chez Ex Aequo
C’est avec un plaisir non feint que nous retrouvons la plume de Jessika Lombar. Celle qui fut notre autrice du mois de février dernier revient en effet avec son dernier ouvrage, Coeur à pic, vertigineux roman érotique en prise avec ce que l’âme humaine peut couver de plus tortueux. Loin d’être une succession de scènes glamours, ce roman nous place face à nos démons intérieurs, à nos troubles psychologiques et face à des sujets de société on ne peut plus brûlants et d’actualités.
Nous vous avertissons que nous ne pourrons vous en dévoiler beaucoup car il nous faut préserver un certain mystère pour que votre plaisir de lecture reste maximum. Nous nous attarderons donc plutôt sur des éléments d’écriture, sur l’art toujours délicatement mené de Jessika Lombar consistant à nous embarquer dans un monde à la frontière entre le bien et l’agréable et les éléments les plus sombres qui nous accueillent en leur giron.
Inès, femme jusqu’au bout des seins.
Inès est une jeune femme de son temps. Libre et libérée, elle n’entrevoit pas le mariage et la vie de couple comme une fin en soi. Elle s’attarde simplement à enchainer les conquêtes masculines avec un gargantuesque appétit. Inscrite sur un site libertin, elle assouvit sa soif de rencontre comme d’autres enquillent les shoots de vodka. Jamais rassasiée, elle s’abîme, s’oublie dans des relations sans lendemain, avec des hommes avec qui elle couche, un nouveau chaque soir, ignorant jusqu’à leur prénom, n’échangeant parfois pas un seul mot avec eux, sans se rendre compte qu’elle est peu à peu devenue accro au sexe.
Sa dérive atteint des paroxysmes tout au long de ce roman, jusqu’à la placer en danger, au sens propre. Comment s’en sortira-t-elle ? Nous ne pouvons le révéler (nous sommes cruels, c’est un fait n’étant plus à prouver). Mais sachez déjà que son cœur balance entre le mystérieux Guillaume et le ténébreux Dimitri. Pas pour les mêmes raisons, pas pour les mêmes conclusions. Ah, au fait, Inès est policière. Elle est l’un des membres d’une cellule d’écoute et de soutien aux femmes subissant des violences conjugales. Un paradoxe ? Pas si sûr….
En phase avec l’époque.
Vous voyez déjà deux thématiques se profiler, celle de l’addiction au sexe, comme tout système de dépendance, et celui tristement récurrent (c’est un euphémisme) des violences faites aux femmes. Inès en est la pierre angulaire et représente un personnage souffrant d’un mal intérieur que Jessika Lombar explique au fur et à mesure du déroulé de son histoire. Comme beaucoup de personnes, plutôt jeunes, d’aujourd’hui, ce personnage ne veut pas d’entraves et ne voit pas dans le mariage, ni dans la vie de couple, un aboutissement. Au contraire, victime de la société du zapping, elle picore à droite à gauche, nourrit ses instincts « primaires » de plaisir comme d’autres font leur course.
Sa passion dévorante, sa quête de plaisir débordant se trouve cependant malmenée dès le début du livre. En pointant une étrange attirance pour Guillaume, moniteur de saut à parachute, puis pour Dimitri, un homme rencontré sur internet, nous voyons un mal-être latent exploser au grand jour de façon foudroyante. En ce sens, le livre réussit à nous ballotter dans des sentiments entre plaisir immédiat et noirceur insondable.
L’amour, toujours ?
Jessika Lombar nous place dans une situation peu confortable. Là où ses précédents romans nous dévoilaient des scènes de grande sensualité, notamment Rose noir et Into Vinceres (bien que ce dernier pointait déjà des tourments intérieurs violents, liés au handicap physique), Coeur à pic rejoint, un peu, Les lèvres rouges (roman pointant du doigt l’emprise néfaste, et le mot est faible, des pervers narcissiques sur leur proie). Dans Coeur à pic, le sexe, sans amour, n’est qu’une suite de scènes plus ou moins bestiales, où la tendresse ne règne pas en maitresse.
Nous pourrions presque faire un parallèle sensiblement douteux, mais qui nous paraît néanmoins assez juste. Ici, chaque pénétration pourrait être comparée à un acte de scarification, une forme de punition que l’on pense être une satisfaction mais qui n’apparaît finalement pas comme telle. La plume de Jessika Lombar, en ce sens, est on ne peut plus puissante, fine dans ces analyses et dans sa façon d’exposer les faits, avec une sorte de crudité de faits qui peuvent nous apparaître comme glaçants.
Empathie.
Nous ressentons une forte empathie pour l’héroïne. Nous comprenons vite que quelque chose cloche, et nous voudrions l’aider, quand bien même son caractère de merde (oui, on peut le dire ainsi) pourrait nous rebuter. Pourtant, on se prend facilement d’affection pour elle tant sa dérive, inéluctable, nous terrifie. Fort heureusement, la fin du livre révèle les secrets de tous les personnages, pour le pire et le meilleur, et parvient à nous émouvoir (et nous disons cela avec énormément de sincérité).
Car ici, tout n’est finalement qu’une question d’amour. De celui qui nous portons à l’autre, de celui que l’autre nous porte, mais également de l’amour de soi (ce qui n’est pas facilement le plus aisé à ressentir). Ce vertige de l’amour, comme le chantait Bashung, prend ici une dimension totalement surprenante, mais d’une absolue pureté. Cette note d’espoir fini par l’emporter et balaye d’un revers de la main les ressentis les plus effroyables nous ayant assailli durant ce livre fort, perturbant, remuant la merde tapie au fond de nos psychologies cabossées (nous disons cela pour ceux qui s’y identifieraient d’une façon ou d’une autre) mais toujours d’une justesse incroyable et pleine de clairvoyance et de bienveillance (car jamais l’autrice ne porte de jugement sur les actes de ses personnages, nous laissant le choix d’en porter ou non.
Ce quatrième roman de Jessika Lombar, peut-être son dernier dans le genre érotique, loin des a priori quant à cette littérature, nous place une nouvelle fois face aux démons de notre société, mais tout en instillant un espoir féroce et une foi inébranlable dans le sentiment d’amour. Celui qui, nous en sommes sûrs, guérit de tous les maux.
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Si vous aimez l’érotisme, Jessika en parle et casse les a priori sur son blog
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Retrouver la chronique du livre sur le podcast de B.O.L diffusé sur radio-activ le 21/06/21