[ NOUVELLE ] CHRISTOPHE SAINZELLE, Le malheur des uns (fin)
Fin de la nouvelle Le malheur des uns par Christophe Sainzelle.
Nous dévoilons la fin de la nouvelle Le malheur des uns que Christophe Sainzelle nous a aimablement permis de publier. Cette chute, nous ne nous y attendions pas, et nous devons avouer qu’elle nous réjouit, tout autant qu’elle réjouit le narrateur de cette histoire.
Retrouvez la première partie de la nouvelle de Christophe Sainzelle, Le malheur des uns, ICI
… Et puis « Journée horrible » avait fait son retour ce matin.
Perdu dans ses pensées, Thomas ne vit pas Julie arriver. Elle ouvrit la portière et balança son sac sur la banquette arrière. Elle enleva le magazine sur le siège, le jeta sur le sol et s’installa. Elle se tourna vers lui :
— Thomas ! mon chéri ! mon amour !
Elle l’embrassa avec fougue. Il se laissa faire, soulagé. Ce premier baiser langoureux fut suivi de plusieurs autres. Elle ne le lâchait plus. Quand elle se retira, elle avait cet air qu’il connaissait si bien et qu’il n’avait plus vu depuis trois ans.
— Allons dans les bois, dit-elle.
— Les bois ? Tu es sûre ?
— Oui. J’ai besoin de marcher.
Le fantasme numéro un de Thomas était de faire l’amour dans une forêt. Et Julie le savait. Les circonstances ne leur avaient jamais permis de le satisfaire.
— D’accord, répondit-il, ému.
Il démarra, sortit du parking et s’engagea dans le trafic.
— Alors, cette journée ? lui demanda-t-il.
Elle secoua la tête.
— Horrible. Cet homme devait avoir une quarantaine d’années. C’est difficile à dire parce qu’il était tout rouge et tout gonflé. On a vite compris qu’il faisait un choc anaphylactique, une allergie à quelque chose. Peut-être une piqure d’insecte ou une réaction à un aliment. Il n’arrivait plus à sortir de sons de sa bouche. On lui a donné un antihistaminique. Je lui ai pris sa tension. Elle était très basse. On l’a amené en salle de réanimation. Je lui ai parlé pour qu’il ne tombe pas dans le coma. Il est mort quelques secondes plus tard.
— Oh mince.
— Oui. J’ai été prise de court. Je ne m’y attendais pas. Et d’un seul coup, je ne sais pas pourquoi, j’étais persuadée que c’était toi qui étais allongé sur le lit. Je me suis mise à crier, et l’interne est venu aux nouvelles. Il m’a calmée, mais je continuais de croire que c’était toi que j’avais vu mourir. Horrible.
Thomas exulta. Une variante inespérée avait relancé le processus. Il sortit de la ville et prit la direction de leur maison. Julie avait posé la main sur son sexe et l’excitait à travers son pantalon. Le coin de forêt où ils allaient s’ébattre se souviendrait longtemps des fesses de sa femme. Il pensa à cet homme providentiel qui avait remis Julie dans le droit chemin. Thomas n’avait pas souhaité sa mort. Il ne s’en réjouissait pas. C’était comme si une vieille tante lointaine lui laissait un bel héritage. Il avait juste envie de lui dire merci. Au moins, son décès était utile et profitait à d’autres.
Thomas aperçut les premiers arbres. Il se gara le long d’un chemin. Il arrêta le moteur et défit sa ceinture. Julie se pencha vers lui et l’embrassa avec autant de passion que sur le parking.
— Mon amour, mon chéri, j’ai eu si peur !
— Mais non, bébé. Je suis là. Bien vivant.
Ils descendirent de voiture et marchèrent quelques mètres, main dans la main, s’éloignant du bord de la route.
— Restons ici, dit Julie. Quelqu’un pourrait nous voir. C’est encore plus excitant.
Thomas se réjouit à l’idée de réaliser son fantasme numéro deux en même temps que le premier.
Décidément, il avait le droit à une belle journée horrible.
Ce texte « Le malheur des uns » est publié avec l’aimable autorisation de Christophe Sainzelle.
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