THIERRY NUTCHEY, Hyperferon ou le silence de la moelle.

Parcours d’un voyou.

Il y a les amis, les révoltes. Il y a, parmi ces amis, la fille, la femme, le premier amour. Et puis, autour d’eux, il y a les drogues, la photo, les livres, le manque (de drogue, de la fille), le virus, la dictature de la Sécurité Sanitaire, une autre fille, le crime, la prison, la cavale. Loin d’être l’itinéraire d’un enfant gâté, Hyperferon – ou le silence de la moelle de Thierry Nutchey (paru chez L’Harmattan) nous conduit dans le sillage de Basile, un garçon, puis un homme, en quête de lui-même et de sa raison d’être.

L’expression dit « être pris comme un rat ». Basile, lui, a été pris dans l’oeil d’une truite, un œil rond, et un œil mort, celui d’une dizaine de truites qu’avec son ami Nacho, une belle mauvaise fréquentation, il aura tué. La truite, on la retrouve tatouée sur son bras, bien des années plus tard. Cet œil rond sera son pense-bête, sa mémoire, avant les assauts finals de la Sécurité Sanitaire, nouvelle autorité morale, politique, que Basile n’aura de cesse de fuir. Ou de rechercher.

Aime-moi je te fuis.

À l’origine, Basile est un fils de. Son père dirige la papeterie de la ville, fleuron industriel de celle-ci, surtout depuis la fin de la dernière guerre, celle d’avec les Allemands. Il aime la parcourir, en secret, déjà mauvais garçon, mais son père le lui refuse. Est-ce là le premier poison de son existence, ce père rigide qui ne lui permet rien ? Avec Nacho, fils d’un ouvrier de l’usine, il commet ses premiers larcins, avant que leur amitié pâtisse du jugement du daron.

Plus il grandit, plus il se fait révolté. Il se réclame anarchiste, lui, le fils du patron. Sa crédibilité en prend un coup, mais il s’entiche de Che, un gamin, comme lui, mais fils d’ouvrier, lui aussi, qui le guide dans ses premiers pas de rebelle. Et comme par hasard, il retombe sur Nacho, l’ami interdit, celui qu’on lui interdisait de revoir, et il découvre Constance, et il découvre la drogue. Il s’enivre, se défonce, Nacho lui vole un Nikon, il aime Constance, l’Amour de sa vie, il se shoote, expérimente les mélanges médicamenteux/héroïne, contracte le virus (hépatite A, B, C on ne sait pas), perd Constance, trouve la prison, trouve Lisa, devient artiste reconnu, subit une chimio dans le dédale kafkaïen des hôpitaux, se drogue toujours plus, avec Rob, son ancien co-détenu. Cercle vicieux sans début, sans fin, circulaire.

La vie de sioux.

Ce bouquin, c’est un appel à la vie, un livre de voyou, de ce genre de voyou qui ne veut pas suivre le chemin qu’on a tracé pour lui, sans son consentement, sans qu’il l’ait choisi. C’est une quête existentielle, une quête de sens, bientôt perturbée, de force, là aussi, par une autorité malveillante, celle qui ne vous veut que du bien, celle qui vous soigne des maux que vous voulez garder pour vous, pour en mourir, pour que la vie n’en soit que plus intense. Si l’autodestruction par les drogues est omniprésente, c’est le désir de vie qui est le plus fort, celui qui dit justement qu’elle est trop courte, la vie, pour se faire chier à rester dans les clous, ne pas s’amuser.

Alors Basile fait tout avec l’intensité des morts de faim, il brûle la chandelle par les deux bouts, par le milieu aussi, rêve d’aller pêcher les truites dans le Montana, s’enorgueillit d’avoir collé son poing dans la gueule de Jim Harrison himself alors que celui-ci pelotait le cul de Lisa. Où se trouve la vérité ? Le mensonge ? Dans les doses d’Hyperferon, le nouveau traitement censé le guérir de sa maladie ? Mais c’est quoi, finalement, cette maladie ? La vie itself ?

Écriture au cordeau.

Souvent, les livres de voyou, des punks, des anars, peuvent être fades. Mais, à l’instar de celle de Bukowski, de Fante, de Burroughs, elle est ici chatoyante. Elle renverse la certitude des ténèbres, des redescentes olympiques, pour nous conduire au sommet de la montagne, nous entraîner à sa suite dans la débauche, celle des livres que l’on aime dévorer, ceux qu’on vole, ceux dont la pulsation des interdits nous rappelle qu’aujourd’hui tout est policé, tout est politiquement correct.

Hyperferon – ou le silence de la moelle est tendu, tellement tendu, comme la corde d’un arc bandé dont une flèche peut-être décochée soudainement et nous porter au loin, à toute vitesse. C’est un livre incandescent, porté par un antihéros qui nous ressemble. Inspiré par le combat de Thierry Nutchey contre le cancer, ce roman nous place dans un monde sans pitié, où l’injonction à se soigner empêche le hasard de faire les choses, où la mort, tabou ultime, ne doit plus être, ne plus exister, comme pour affadir encore plus la vie.

Nous ressortons lessivés par Hyperferon – ou le silence de la moelle. Lessivés non par son caractère oppressant, mais par son côté farouche, libre, indépendant, conquérant, anti-establishment, quoiqu’en disent les Cochons de la ville, ou les Cochons de la culture. Sans tomber dans les clichés, une morale (plus ou moins douteuse), Thierry Nutchey remet les pendules (les siennes aussi), à l’heure et nous gueule en pleine tronche que la vie, c’est mieux quand on la vit, et pas quand on la subit. Alea jacta est…

hyperferon ou le silence de la moelle Thierry nutchey

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Exclu : Podcast de la chronique d’Hyperferon dans l’émission B.O.L diffusée le 15/02 sur radio-activ

 

 

Comments (1)

  • [SF] OLIVIER VALBREYE, Spores - LITZIC

    […] On aime aussi hyperferon ou le silence de la moelle […]

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