Virginie et (les garçons) Zëro

 

Virginie Despentes et le groupe Zero ( Éric Aldéa guitare Franck Laurino à la batterie et Ivan Chiossone aux claviers)
Lecture du Requiem des innocents de Jules Calaferte
Samedi 1er avril 2023
Le Kubb Evreux

Virginie Despentes était samedi 1er avril dernier sur la scène du Kubb à Evreux pour lire une avant-dernière fois les 30 premières pages du Requiem des innocents de Louis Calaferte. A ses côtés sur scène, les trois musiciens du groupe Zëro.

Entretien passionnant avec Eric, Franck et Ivan, les trois membres actuels de Zëro.

Virginie Despentes, avant d’être une écrivaine féministe reconnue et appréciée, a vécu une vie dissolue marquée par la misère et la rébellion. Elle en a tiré l’essence de la plupart de ses ouvrages, dont le fameux “Baise-moi”, le brûlot incandescent qui lancé sa carrière.

Eduquée dans les bas-fonds à grands coups de sexe, drogues et rock’n’roll, emportée dans la tourmente d’événements pas toujours avouables et fan de musique punk et hardcore, elle s’est naturellement rapprochée, à la fin du siècle dernier de la scène musicale lyonnaise, la ville où elle vivait. Elle a même chanté dans Straight Royeur, un groupe punk-rap féministe …

A cette époque, elle a rencontré les membres de Deity Guns, alors formation phare de cette explosive scène locale sur laquelle a également éclot des formations comme Condense ou Prohibition.

Éric Aldéa guitare Franck Laurino batterie et Ivan Chiossone claviers – le groupe Zero

Retrouvailles autour d’un auteur

Fidèle en amitiés, Virginie s’est naturellement tournée vers ses anciens amis lorsqu’il a fallu mettre en musique le livre de Louis Calaferte Requiem des innocents. L’intrigue de ce roman vérité se déroule justement à Lyon. Elle décrit avec force de caractère la jeunesse de l’auteur dans un quartier défavorisé de la ville. Cela fait forcément écho à la littérature de Virginie Despentes comme à la musique de Zëro, même si, avec l’âge, la colère, bien que toujours présente, est devenue parfaitement maîtrisée, pour ne pas dire contenue.

« Virginie m’a demandé si je pouvais lui filer un coup de main pour une carte blanche pour un festival de littérature, assure Eric, le chanteur-guitariste de Zëro. Je lui ai dit OK mais avec le groupe plutôt que moi seul avec des machines. Nous avons commencé à bosser direct sur cette pièce. C’était en 2015, cela fait 8 ans que l’on tourne ce machin … »

Le spectacle n’a pas été joué huit années d’affilées, loin s’en faut mais il a servi de base à une collaboration fructueuse entre Virginie Despentes et les trois musiciens de Zëro, Éric Aldéa donc mais aussi Franck Laurino à la batterie et Ivan Chiossone aux claviers. La lecture proposée ce samedi soir est donc la reprise d’une collaboration, on le verra, particulièrement féconde. Le fait qu’elle découle d’une amitié de longue haleine n’est pas un hasard.

« Virginie, je la connais depuis ses années lyonnaises, à la fin des années 80. Nous nous sommes connus avec notre groupe de l’époque, Deity Guns, autour d’amis communs. Elle ne s’appelait encore Despentes mais était déjà très rock’n’roll. Elle travaillait dans un magasin de disques, lisait beaucoup. Elle me filait pas mal de bouquins, nous écoutions de la musique. Comme aujourd’hui en fait. »

Le projet autour du Requiem des innocents est donc d’abord une histoire de potes Le livre de Louis Calaferte décrit d’une manière très fleurie la vie dans les bas-quartiers lyonnais, des endroits qui parlent forcément aux protagonistes de la lecture. « Il y a toujours de la pauvreté à Lyon, confient d’une même voix les trois membres de Zëro. Ce n’est juste pas les mêmes quartiers. Nous avons récemment joué dans l’endroit où le livre a été écrit. C’était un bidonville dans les années 30, ils en ont fait un truc tout clean. Maintenant, ce bouquin parle de la misère, et de la misère il y en a encore plein de partout. Ce livre est toujours actuel, malheureusement. »

Virginie Despentes
Lecture du Requiem des innocents de Jules Calaferte
Samedi 1er avril 2023
Le Kubb Evreux

La misère humaine en toile de fond

Bien que dans la description des personnages et des scènes, le livre puisse être pris avec humour, il décrit avant tout avec noirceur la misère humaine. Le texte se veut autobiographique. Il avait fait scandale à sortie mais avait permis d’asseoir la notoriété de Louis Calaferte, auteur par la suite d’un brûlot, autobiographique encore, sur le travail à l’usine : Septentrion. Dans Le requiem des innocents, il raconte ses 400 coups et son enfance dans un taudis à Lyon au milieu de personnages souvent plus bêtes que méchants. Mais la violence est omniprésente, presque un art de vivre, ou plutôt de survivre.

Cette forme d’écriture a happé de plein fouet Virginie Despentes. Elle en a été durablement et fortement influencée. « Cela se voit dans sa manière d’écrire la beauté de quelque chose de populaire, confirment les musiciens. C’est une manière d’écrire proche du langage. »
Un style que l’on retrouvera, notamment dans la description des personnes hors-normes, dans la trilogie à succès Vernon Subutex.

La liberté retrouvée de Zëro

Ceci étant dit, reste la mise en musique des textes. Cette fois, le groupe Zëro prend la main. « Virginie nous a laissé une liberté qui normalement n’existe pas lorsque que tu bosses, par exemple, dans la danse ou pour le cinéma. Nous avons beaucoup travaillé dans ces domaines et Virginie est celle qui nous a laissé le plus de liberté parmi toutes les personnes avec lesquelles nous avons travaillées. Elle n’impose rien. Nous lui faisons écouter les morceaux, nous discutons et elle est souvent plutôt contente en général ! »

Les musiciens connaissent en fait suffisamment bien le texte pour se trouver eux-mêmes des repères. « Nous sommes à l’écoute du texte et nous savons, à force de l’écouter, quand cela va être la fin. Nous avons pleins de repères comme cela. On se regarde aussi … Cela laisse une flexibilité dans la diction de Virginie, nous pouvons nous adapter. Nous avons toujours fait comme cela, car cela nous permet d’avoir à la fois la fluidité du truc mais aussi un peu de flexibilité dans le temps. En même temps, on se repère un peu comme dans le jazz. Nous changeons quand la mesure est terminée, cela ne va pas se faire au mot près, même si cela reste le plus proche possible de celui-ci. Virginie sent le tempo, elle peut aussi caler un mot sur un premier temps, c’est la liberté.»

La tonalité de Virginie apparait souvent monocorde mais sa lecture regorge de variations ponctuelles. Il ne s’agit pas d’un texte simplement lu. « La musique accompagne un peu les mots. Virginie s’est habituée à la musique. » Celle-ci vient à son tour rythmer les mots lus par l’écrivaine. Durant la représentation, elle bat d’ailleurs régulièrement la mesure de sa main droite, comme pour marquer le rythme et le débit.

Virginie Despentes et Franck Laurino
Lecture du Requiem des innocents de Jules Calaferte
Samedi 1er avril 2023
Le Kubb Evreux

Tous fans de Calaferte

Les textes, eux, ont été exclusivement choisis par Virginie Despentes. Mais les trois musiciens sont également fans de Calaferte. « Quand elle a proposé Calaferte au début, nous étions hyper contents. Sur scène, elle lit les trente premières pages, sans coupe. C’est le début du Requiem des innocents. »

Entre la première en 2015 et les dernières lectures, seul un morceau, musical, a changé. « La première fois, cela lui a fait un peu bizarre puis elle s’y est fait et nous a dit, comme d’habitude, “ben oui”. De toutes façons, elle essaie de mettre le plus d’émotions possibles dans la voix comme nous, on essaie de le faire pour la musique. Lire des textes devant des gens, c’est un truc qu’elle savait moins faire. Cela n’a rien à voir avec le métier d’écrivain. Elle a beaucoup progressé dans sa manière de lire, nous sommes également tous plus précis. Nous savons où nous allons, c’est plus maîtrisé, notamment dans les interactions entre la musique et les paroles. Un spectacle comme cela doit être joué une bonne dizaine de fois avant d’être rôdé.»

Là, il a fallu, en plus, l’entretenir durant huit ans avec parfois de grosses coupures entre deux représentations. « Nous l’avons tourné deux, trois ans puis nous avons arrêté. Nous l’avons ensuite rejoué une fois ou en deux et là nous l’avons repris pour cette tournée. » Jusqu’à ces deux dernières représentations. Elles devraient marquer la fin de l’aventure Calaferte, même si rien n’est encore écrit d’une manière définitive.

Un parti-pris féministe

La collaboration entre Virginie et les trois garçons ne s’arrêtera pas pour autant. Une alliance logique tant tous partagent les mêmes certitudes, notamment féministes. « Nous avons les mêmes convictions, ça c’est sûr mais nous ne devrions même pas en parler tant cela devrait un acquis. En être encore à éduquer les gens là-dessus, ce n’est pas aberrant mais un petit peu quand même… Nous ne sommes pas militants mais nous adhérons à ses positions. Nous sommes dans une société où, même si l’on en parle beaucoup, des mecs se croient encore obligés de zigouiller leurs nanas parce qu’elles veulent partir. Un féminicide tous les trois jours en France parce que le monsieur n’est pas content, ça craint.»

Virginie Despentes et le groupe Zero ( Éric Aldéa guitare Franck Laurino à la batterie et Ivan Chiossone aux claviers)
Lecture du Requiem des innocents de Jules Calaferte
Samedi 1er avril 2023
Le Kubb Evreux

 

Despentes, Dalle et Casey

La suite, car suite il va y avoir, a déjà un nom et sera fera à trois voix. Elle s’appelle “Troubles” et sera visible à l’automne prochain. Béatrice Dalle avait déjà rejoint l’équipe pour mettre en place avec Virginie une lecture autour de Pasolini. Un autre spectacle, “Viril“, a également été créé ces dernières années avec toujours la participation de Béatrice Dalle mais aussi, c’est la nouveauté, la rappeuse Casey.

Il s’agit d’un florilège de textes féministes soutenus avec brio par la musique du trio. « “Troubles” est comme “Viril” une compil de textes féministes contemporains mais pas que. Le nom vient d’un morceau d’Elvis Presley que nous ferons aussi. Ce titre nous paraissait bien coller au truc. Il y a aussi des textes sur le racisme, sur la prison. Ce sera davantage des morceaux séparés qu’une longue lecture. Nous sommes en train de monter ce spectacle en résidence. Il y aura quelques textes d’auteurs commun à “Viril” et quelques autres. Citons Paul Préciado, Valérie Solanas ou encore Angela Davis… Et pas uniquement des textes féministes.» “Troubles” prendra logiquement la suite de “Viril”, désormais rangé aux oubliettes après une grosse année de bons et loyaux services.

A priori, pas question pour Virginie de lire ses propres textes même si le spectacle “Viril” commençait par un quart d’heure de son essai “King Kong théorie” lu par … Béatrice Dalle. « Peut-être que Virginie écrira un texte ou en fera lire un par Béatrice mais je pense qu’elle n’a pas forcément envie de lire ses propres textes, ce l’on peut comprendre. Question de pudeur… Et comme Béatrice les lit très bien.»

Virginie Despentes et Franck Laurino à la batterie
Lecture du Requiem des innocents de Jules Calaferte
Samedi 1er avril 2023
Le Kubb Evreux

« Nous ne sommes pas du tout frustrés »

Au final, la proposition de Virginie Despentes a eu l’effet d’une bouffée d’oxygène pour les trois membres de Zëro. Intermittents depuis plus de 15 ans, ces précurseurs d’un post-rock à la française peuvent désormais voir la lumière au bout du tunnel. Même s’ils sont bien conscients que le star, c’est elle, ils savourent en se régalant les nouveaux débouchés offerts, quitte pour Eric à mettre sa carrière de chanteur de côté.

Zëro a néanmoins sorti un album en 2018, juste avant le Covid, mais n’envisage pas pour l’instant de s’y recoller. « Le groupe en trio est entre parenthèses mais à côté de ça, nous composons toujours de la musique pour la jouer sur scène. Mais nous sommes désormais trop vieux et il n’y a pas assez de gens pour venir nous voir. C’est un peu la loose en fait. Et c’est tellement grisant de faire des concerts avec pleins de gens. Nous sommes trop contents, même si nous savons que ce n’est pas nous que l’on vient voir. C’est mieux que de faire des concerts où l’on se retrouve parfois devant quinze personnes, des trucs de loose quoi, car cela mine et casse la motivation. Et puis nous avons fait çà longtemps. Maintenant, ce n’est pas forcément fini mais il faudrait que nous retrouvions une petite niaque. Ce n’est pas perdu mais ce projet-là, dans lequel nous jouons notre musique, est suffisamment excitant pour nous contenter. Nous ne sommes pas du tout frustrés, nous nous faisons plaisir à jouer des morceaux ambiants qui n’intéressaient personne lorsque nous les jouions en trio.»

Les musiciens de Zëro ont trouvé une manière d’assouvir une passion de plus de trente ans. « La musique calme, nous en avons toujours écoutés même lorsque nous faisions des groupes de noise comme Deity Guns ou Bästard, nous écoutions Brian Eno dix fois plus qu’Insane ! Nous nous sommes vite retrouvés autour de la musique planante, voire jazz ou industrielle. »
Unis autour de cet apprentissage commun, le groupe a su trouver des solutions pour évoluer dans leur domaine de prédilection, quitte à se produire dans les collèges pour expliquer comment écouter la musique sans se faire mal aux oreilles. Les Lyonnais ont aussi beaucoup composé et travaillé pour le milieu de la danse. Des chemins de traverses obligatoires si l’on part d’un constat simple : Zëro n’a jamais pu générer d’argent ! Tout cela a finalement été bien utile pour acquérir toute la dextérité nécessaire afin de mettre musicalement en lumière les voix de Virginie Despentes, Béatrice Dalle et Casey.

Le live :

https://www.youtube.com/watch?v=H3veVVHNv0k

Le disque : Zëro & Despentes – Requiem des innocents  [2LP] (Ici d’ailleurs)

https://icidailleurs.fr/product/requiem-des-innocents/

Texte et photos : Patrick Auffret (avec Lysianne Roche)

Il a rejoint l’équipe début 2022 et son corps de métier se tourne vers la scène où il photographie les musiciens en même temps qu’il s’imprègne de leur musique, qu’il restitue son forme de live report hyper pointus.

Ancien rédacteur en chef à Publihebdos, Pat Auffret a également collaboré durant 20 ans avec le magazine Longueur d’Ondes et Rock & Folk. Il travaille régulièrement avec l’agence photo Dalle et ses clichés ont été publiées dans divers journaux nationaux (Le Monde, Les Inrockuptibles, Rock&Folk, …) et internationaux.
Il est aujourd’hui président de l’association dédié au spectacle vivant Out of time.

soutenir litzic

Pour faire en sorte que litzic reste gratuit et puisse continuer à soutenir la culture

Nous retrouver sur FB, instagram, twitter

Un autre article : VIRGINIE DESPENTES, Cher connard.

Ajoutez un commentaire