INTERVIEW OISEAUX-TEMPÊTE, Frédéric et Stéphane nous livrent des clefs

Interview passionnante de Stéphane et Fred, du groupe Oiseaux-Tempête.

Oiseaux-Tempête a sorti son dernier album, From Somewhere Invisible mi-octobre, et il nous a fait forte impression. L’occasion de poster quelques questions au groupe s’étant présentée, nous avons sauté sur l’occasion. Nous remercions chaleureusement Frédéric et Stéphane (le duo fondateur du groupe) d’avoir trouvé un peu de temps, dans le tumulte de leurs tournées, pour répondre à cette petite interview (qui s’avère passionnante !) !

L’interview.

Litzic : Salut Oiseaux-Tempête, et merci d’avoir trouvé un peu de temps à nous accorder. Première question, toute simple : comment allez-vous ?

Stéphane : Très bien ! Nous sommes actuellement en résidence à l’Atabal à Biarritz pour préparer notre prochaine tournée qui débutera ce vendredi et nous conduira littéralement aux quatre coins de la France ! Il y a là toute l équipe, Jos aka GW Sok, Paul aka Mondkopf, Jean-Michel notre batteur, mais aussi Grégoire Orio, la moitié du duo As Human Pattern, amis et collègues qui nous accompagnent dans toutes nos explorations visuelles, sur scène, en voyages, mais qui font aussi la plupart de nos clips vidéos. Il y a également Romain notre ingénieur du son et bien sûr nos deux canadiens Jessica et Radwan.

Frédéric : Et quelques bonnes bouteilles et tranches de rigolade pour nous accompagner. Tutto bene.

« Tous les titres de cet album sont issus d’improvisations live »

L : Vous avez sorti votre double album live TARAB il y a un peu plus d’un an, vous sortez actuellement votre album From Somewhere Invisible. Les titres de ce dernier sont-ils issus de la matière de vos tournées ou bien sont-ils un projet tout neuf ?

Stéphane : Tous les titres de cet album sont issus d’improvisations live enregistrées à l’Hotel2Tango à Montréal.

Frédéric : Un projet tout neuf, donc, comme sur tous nos disques. Même TARAB incluait des morceaux complètement inédits, ou des versions live franchement éloignées de leurs versions studio originelles. Avec Oiseaux-Tempête, on ne compose jamais avant d’aller enregistrer en studio, c’est notre credo, croire dans la magie de la petite troupe présente dans la pièce et se laisser aller vers l’inconnu. Et l’invisible, en l’occurrence…

« Une sorte de léger désenchantement du monde peut être »

L : Quel a été le point de départ de ce nouvel album ?

Stéphane : Après avoir rencontré Radwan rapidement au Liban lors d’un concert improvisé à Beyrouth nous avons tourné ensemble avec son projet Jerusalem In My Heart en France et en Europe. Nous sommes rapidement devenus de bons amis et il fait parti de notre famille de cœur maintenant. Il nous a proposé de venir tourner au Canada pour quelques dates et au dernier moment nous a dit qu’il avait booké deux jours dans son studio pour enregistrer quelque chose. C’était totalement inattendu mais tellement cool. On a évidement dit oui de suite. On avait aucune idée de ce qu’on allait faire ! Seulement qu’on était tous heureux d’aller jouer, de découvrir le studio et de partager de bons moments ensemble. Les Suuns étaient de la partie, on s’est juste dit qu’on allait sûrement s’éclater tous ensemble !

Frédéric : Pour une fois, l’initiative d’aller enregistrer un album ne venait pas de nous. C’est Radwan qui nous y invitait, et dans un des meilleurs studios d’enregistrement actuel. Comment refuser? On savait qu’il avait envie de nous faire sonner avec puissance et une grosse dynamique ; et on lui a fait une confiance aveugle sur les moyens d’y arriver. Enregistrer en condition live mais avec tous les amplis dans des pièces séparées, tout juste deux petits jours en rentrant de tournée pour improviser et trouver quelque chose ensemble pour faire un disque qu’on espérait à la hauteur des derniers. Mais tout ça sans le « bagage » habituel de nos voyages précédents autour de la Méditerranée, des enregistrements de terrain (« field recordings »), des rencontres qui nourrissent inconsciemment notre musique depuis le début. Sur ce coup-ci, on était vraiment à nu, quoi. On avait choisi l’équipe de départ avec Stéphane, convié Mondkopf, Jean-Michel Pirès et via Radwan demandé à Jessica Moss (A Silver Mt. Zion, Black Ox Orkestar) de se joindre à nous. Une équipe possiblement merveilleuse et bourrée de talents ; mais sur le reste, c’était la page blanche intégrale.

« C’est sûr qu’on est assez perméable avec Oiseaux-Tempête »

L : Quelles en sont les thématiques ?

Stéphane : Une sorte de léger désenchantement du monde peut être ! Cela parle aussi de la peur en général. La peur de l’autre, de l’image (et de son double) que l’on renvoit, la peur de pas être à la hauteur, la peur d’abandonner en cours de route les choses qui nous tiennent à coeur, le doute.

Frédéric : C’est ce qui nous a sauté aux yeux a posteriori. Entre la musique qu’on avait enregistré et les textes que G.W.Sok avait choisi de dire sur trois des morceaux à l’écoute de nos prises instrumentales. On quittait une géographie donnée, un territoire précis, pour se fondre dans un invisible plus global. C’est sûr qu’on est assez perméable avec Oiseaux-Tempête à l’actualité, à la marche folle du monde. Beaucoup de nos amis et de nos collaborateurs vivent dans des pays étrangers ou sont de nationalité extra-européenne. Malgré internet et les échanges trans-frontières que les réseaux nous permettent, l’accès à toutes les infos et les bibliothèques possibles et inimaginables, on a l’impression de ne jamais avoir vécu une période aussi fermée sur elle-même, aussi raciste, amnésique et cynique de la part de la poignée d’individus qui possède la majeure partie des richesses de notre planète, abreuvant les consommateurs en voie de paupérisation des gadgets les plus idiots et les plus inutiles possibles, posant ici et là des fake news quotidiennes pour détruire le peu de vérités auxquelles se rattacher pour penser et agir. C’en est glaçant. On peut se morfondre, où tenter des choses, partager, continuer d’y croire, à son échelle. On est évidemment plutôt partisan de la seconde option.

« Évidemment un producteur de génie, comme Radwan, peut faire des miracles »

L : Dans le titre qui ouvre l’album, He Is Afraid And So Am I, vous dégagez une réelle puissance avec une économie de moyens. L’intensité que vous dégagez est-elle proportionnelle à ce que vous ressentez ou bien réussissez-vous à la créer de toutes pièces ?

Stéphane : J’imagine un peu des deux. Avec le groupe on ne réfléchit jamais à ce qui va arriver. Nous sommes assez dans l’instant. Surtout en studio. Nous improvisons toujours. Nous n’écrivons jamais de morceaux. Tout sort comme ça, dans l’énergie du moment. Notre seul vrai travail consiste à faire en sorte que tout le monde soit bien à l’aise, attentifs, à l’écoute, heureux d’être là tout simplement. On se laisse entraîner par nos idées, celles des autres, on répond on rebondit . On veut créer notre bulle de son, se sentir en confiance, avoir la possibilité de ne rien s’interdire.
Et si ça ne passe pas, on coupera au mix peu importe. Je crois que l’énergie dont tu parles vient de là, de notre plaisir de jouer tous ensemble. De cette sensation sans prix d’être libre. Sans peur du qu’en dira monsieur X.

Frédéric : Pour moi, tout est transformation, mutation, mouvement. Un enregistrement est toujours la captation d’un instant T, à vif. Évidemment un producteur de génie, comme Radwan, peut faire des miracles à partir de quelque chose d’un peu passable. Mais qu’en sera-t’il lorsque le public découvrira ce groupe ou cet artiste en live? Avec Oiseaux-Tempête, comme avec nos autres groupes d’ailleurs, on a fait le pari d’une certaine authenticité. Ce n’est pas nécessairement un gage de qualité, mais c’est au moins quelque chose que l’on ne pourra jamais nous enlever. Je dirais que la puissance dont tu parles vient d’un agrégat collectif, dans lequel le moindre détail de texture, ou d’intention, de sentiment vécu au moment de la prise illumine le tout. Comme tout prestidigitateur, on a nos petits « tricks », nos secrets, nos langages qui peuvent paraître mystérieux, mais dans le fond on ne crée rien d’autre qu’à partir de ce qui est déjà là.

« L’urgence est réelle. Elle est palpable et partout. »

L : Il est difficile de ne pas ressentir à l’écoute de votre album un sentiment d’urgence. Comment la définiriez-vous ? Est-elle liée aux constats en rapport avec la menace climatique ou celle des déplacements migratoires avec ce qu’ils apportent de peur de l’autre, de racisme, d’intolérance etc… ?

Stéphane : L’urgence est réelle. Elle est palpable et partout. On parle et discute souvent politique entre nous. On en rigole aussi beaucoup. Sans tomber dans le cynisme, du moins essaye t-on, on s’aperçoit tous que le monde est en train d’aller dans la direction inverse des valeurs qu’on nous a inculquées. C’est assez déroutant pour l’instant. On se pose juste des questions. Nous n’avons pas de réponses ni même de pistes. Notre seule certitude c’est qu’on se doit de faire quelque chose. Du reste essayer…

Frédéric : C’est exactement ça. Cette notion d’urgence était déjà présente dès notre premier album lié à des voyages en Grèce pendant la grande crise de 2011/2012. C’étaient les paroles que nous entendions directement des grecs que l’on avait rencontrés avec Stéphane Charpentier (le photographe illustrant notre premier album) et qui nous avait tous bouleversé dans le groupe. A l’époque de la sortie de notre disque éponyme en 2013, c’était un peu moins dans l’air du temps hexagonal d’évoquer ces questions. Pas mal de papiers nous sont passés sous le nez alors : la musique pour la musique, et le reste aux oubliettes : « quand c’est un peu sérieux, c’est relou, non? ». On était quasi à deux doigts de se faire passer pour des « musiciens engagés » dans un monde si cooolement dégagé de tout questionnement autre que son petit pré carré, ses RTT, sa vie tranquillou et la nouvelle bouse sponsorisée qu’on essaie de te vendre comme du divertissement d’avant-garde… Maintenant que la crise est, en fait, presque partout, les discours changent ; pas vraiment ceux du Kapital et de ses sbires, mais ceux qui sont directement ou indirectement concernés dans leurs propres vies, dans leurs questionnements intérieurs. Ces prises de conscience, et les leviers d’actions qui peuvent encore en découler, sont indispensables si l’on veut éviter de se retrouver un de ces quatre-matins dans une dictature décomplexée, à mi-chemin entre Minority Report, Mad Max et 1984… Et franchement, par moments, on pourrait se dire qu’on n’en est pas si loin.

« Du moment qu’on est pas dans Ghosteen« 

L : In Crooked Flight On The Slopes Of The Sky est plus contemplatif et dégage une forme d’apaisement, même si très mélancolique. Pour celui-ci, le tout instrumental prévaut. Le message qu’il délivre, pour nous, est celui du respect, de la Terre et des Hommes. Sommes-nous dans le juste ?

Stéphane : Mais bien sûr, pourquoi pas ! Du moment qu’on est pas dans Ghosteen du pauvre Nick (Cave ndlr)… Je ne veux pas juger ou prétendre détenir le sceptre du bon goût, mais il y a clairement une limite ici franchie, que je n’aimerais pas traverser musicalement ni personnellement. Il n’y pas grand chose à en dire finalement. C’est un concentré de peine. C’est comme ça. Qui sommes nous pour juger la peine d’un homme, qui plus est outrageusement sincère ? …. Nous sommes conscient qu’un titre ou deux regorgent de mélodies à la limite de l’emphase sur ce disque, on les assume. J’aime beaucoup les concerts de pierres frottées avec plein de reverb ou des guitares préparées avec des clous, des murs de drones en Ré avec les plus gros sub du monde, mais pourquoi se priver d’une ou deux petites mélodies ? Je suis très heureux si tu ressens ce que tu décris sur certains morceaux pour ma part.

Frédéric : C’est très intéressant ton ressenti. Comme quoi une musique, même sans paroles, peut charrier tout un tas d’émotions diverses à l’auditeur, qu’elle soit agencée avec des pierres ou de vrais instruments… 😉 Peut-être qu’avec le temps, on a de moins en moins peur d’assumer un certain lyrisme dans nos morceaux, l’aspect mélodique et orchestral prenant volontiers la place de moments plus abstraits ou ouvertement bizarres. On a sans doute moins peur, on tente plus. En tout cas j’ai le sentiment que les frontières musicales sont de plus en plus floues et obsolètes ces temps-ci pour beaucoup, et c’est tant mieux, autant pour les musiciens eux-mêmes que pour les auditeurs.

L : Nous sentons de la mélancolie, de l’urgence, de la colère, de la tolérance, un espoir fragile, de la magie, de la foi, jamais de résignation dans From Somewhere Invisible. Y a-t-il d’autres sentiments que vous y ajouteriez ?

Stephane : Un peu de joie non aussi ?!
Sur une des tracks on rigole comme des cinglés, on l’a laissé d’ailleurs !

Frédéric : Yallah, beaucoup de fun. Le morceau en question est un autre instrumental, scindé en deux indexes sur le disque : Weird Dancing In All-Night I & II. Radwan voulait nous faire improviser une plage en utilisant de vrais quarts de ton, comme dans les musiques orientales. On a accordé nos instruments en fonction, filé un tempo différent à Jean-Michel notre batteur. Au moment où Radwan s’est lancé pour nous diriger, on s’est rendu compte qu’on était tous en décalé, et l’impro est complètement partie ailleurs, pour notre plus grand bonheur.

L : Pouvez-vous définir From Somewhere Invisible en 3 mots ?

Stéphane : Court, produit, accessible.

Frédéric : Intense, libre, poétique.

« C’est vrai que la voix de Jos est de celle que l’on aimerait suivre aveuglément »

L : We, Who Are Strewn About In Fragments, He Is Afraid And So Am I, The Naming Of A Crow sonnent pour nous très chamaniques, dans le sens où le message qu’ils délivrent semble l’être par un patriarche s’adressant à une assemblée de jeunes gens (un peu à la manière des indiens d’Amérique). Pensez-vous que nous puissions encore écouter nos aînés et continuer à éduquer l’humanité à l’heure ou tout semble s’écrouler ?

Stéphane : Je n’en sais rien. Personnellement j’aime écouter les histoires de ceux qui ont la chance de voyager, de rencontrer d’autres cultures, ceux qui ramènent des fragments d’ailleurs avec des scintillements dans les yeux. L’idée du chef dictant les règles du jeu ou les lois dans le marbre m’effraie totalement. Alors j’imagine qu’il fait horreur aux jeunes générations. Cependant, j’aimerais recevoir les conseils d’amis ou parents de temps à autre , pour retrouver le nord quand ma boussole interne se dérègle. Cela devient très rare, nous sommes de plus en plus seuls face aux changements supraluminiques du monde. Je comprends que l’on se perde. Le monde vacille très fortement, l’indicible exsude de tous les pores des politiques, des dirigeants, des anciens modèles. Se faire une idée exacte du monde est devenu chose quasi impossible. Entre la chance d’avoir accès instantanément à d’autres points de vue et les fake news ou autres réalités alternatives racontées ad nauseam, c’est difficile de se faire une idée juste. On s’en remet donc à son ressenti personnel, à ses émotions qui par nature sont sincères puisqu’elles surgissent en nous. Mais elles peuvent être totalement à coté de la plaque, on peut être trompé plus facilement que jamais. Mon seul avis, que je tente de m’appliquer c’est de ralentir. Tout ralentir, tenter de prendre le temps même s’il est plus précieux que jamais car rare.

Frédéric : C’est vrai que la voix de Jos est de celle que l’on aimerait suivre aveuglément, avec ce je-ne-sais-quoi d’assurément prophétique. Il incarne, vraiment, comme le violon langoureux de Jessica, les synthés aériens de Mondkopf, le martèlement de Jean-Michel ou la pulsation séminale de Stéphane. Mais, comme dans toutes les histoires et les mythologies, il faut toujours se méfier des prophètes. L’humanité semble sans-cesse les yeux rivés vers de nouvelles figures providentielles ou héroïques, qu’elle érige ou déboulonne plus ou moins aisément pour éviter, sans doute, de se regarder soi-même. Dieu(s), le roi, le président, le boss, le chef, on attend toujours des autres qu’ils soient plus parfaits ou meilleurs que nous-mêmes. L’éducation n’est pas une affaire de pyramide, c’est un échange. On a toujours à apprendre, il y a toujours de quoi lutter, quelque chose à faire et à vivre, tant qu’on le veut/peut ; pour soi, pour les gens qu’on aime, et ceux que l’on ne connaît pas encore.

L : Vous avez carte blanche pour faire votre promo, parler de votre album de façon libre, pour inciter les lecteurs et lectrices de Litzic à écouter, à acheter votre album et à venir vous voir sur scène. C’est à vous :

Stéphane : Je n’ai pas vu cette question !

Frédéric : Ahahahahhahahah, c’est quoi la question ?

Merci beaucoup pour vos réponses.

interview from somewhere invisible oiseaux-tempête

La chronique de From Somewhere Invisible est lisible ICI.

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