[INTERVIEW] Quelques questions à Heptanes Fraxion
Questions à Heptanes Fraxion
Nous avons posé quelques questions à Heptanes Fraxion, poète de son état. Il nous offre une première salve de réponses à la sincérité impossible à contredire. Très vite nous revenons avec la suite de cette interview. Mais nous vous laissons à présent en sa compagnie.
Les questions.
Litzic : Salut Heptanes ! Quels sont tes premiers souvenirs de lecture ? S’agissait-il, déjà de poésie ?
Heptanes Fraxion : Mon amour de la lecture est aussi un refus violent du monde et de mon manque de personnalité.
Une de mes premières lectures marquantes fut une série dans la bibliothèque verte qui s’appelait Langelot écrite par un certain Lieutenant X… Une série d’espionnage donc qui dans mon souvenir sonnait terriblement réaliste et puis Agatha Christie et puis une certaine science-fiction Française comme Niourk de Stefan Wul ou Ravages de Barjavel, quelques lectures plus sociales aussi sous l’influence d’une extraordinaire prof de français au collège qui m’a mis dans les mains Les petits enfants du siècle de Christiane Rochefort par exemple ou La perle de John Steinbeck et puis de la bande dessinée telle que Rahan ou Blek le rock… Le monde réel ne m’intéressait pas des masses et m’exprimer à l’oral non plus. Je dessinais un peu aussi.
L : Te rappelles-tu de tes premiers écrits, hors pratique scolaire ?
Heptanes Fraxion : Mes premiers écrits doivent dater de mes quinze seize ans… sûrement par frustration et ennui…et paradoxalement par méfiance des mots ,ceux que la famille ou la société ou l’école imposent… c’était de la poésie narrative, figurative, elliptique, fragmentaire. La poésie que j’avais lu en étant lycéen me semblait terriblement artificielle exception faite d’Émile Verhaeren . Le XIX siècle, le surréalisme me glissaient allègrement dessus… trop esthétisant ou trop cryptique … Je trouvais les chanteurs, les auteurs compositeurs interprètes beaucoup plus réels et magiques, plus proches. Découvrir Tom Waits à seize piges et l’album Nebraska de Bruce Springsteen m’ont marqué durablement … Étrangement, c’était de la musique de quasi quadragénaires… Ah et puis la puissance évocatrice de certains bluesmen comme John Lee Hooker ou Lightning Hopkins… Et puis la chanson française classique Eddy Mitchell, Alain Souchon… Rien d’underground, ça c’est certain.
Mes poèmes me faisaient grave chier car trop scolaires, trop stériles à mon goût…
L : par quoi étaient-ils guidés ? Qu’est-ce qui te pousse à te saisir de la plume : une urgence, une colère, un besoin … (plusieurs choix possibles)?
Heptanes Fraxion : Mes 19 ans furent un tournant.Ma barbe avait poussé, j’avais un peu voyagé et je n’étais plus puceau. Mes poèmes me faisaient grave chier car trop scolaires, trop stériles à mon goût …J’ai tout brûlé… Littéralement… Et je me suis mis à vivre.Et comme par hasard j’ai découvert deux poètes qui m’ont libéré de la forme comme du fond : Blaise Cendrars et Charles Bukowski ! Je m’en suis goinfré sans pour autant me remettre à écrire
Je crois que dans ma poésie, j’essaie piteusement d’arracher quelque chose au réel ou de le tordre tout en enquêtant sur la banalité de l’existence ou en chroniquant ma vie contemplative.
Le poème est aussi un endroit , une géographie où je ne me prive pas de modestes considérations philosophiques ou de petits constats sociaux ou sociétaux. Bordel, que tout ça a l’air prétentieux, je ne suis juste qu’un branleur paumé qui ne sait ni bricoler ni jardiner et qui s’il le savait n’écrirait peut-être pas.
L : Qu’est-ce qui t’inspire d’une façon générale ? En parcourant ta page fb, on découvre ton univers, visuel, textuel, musical. On y sent de la cohérence mais aussi de la beauté, là où, habituellement, notre regard ne voit que le premier abord des choses (je pense à ton fil « mon quartier ne fait rêver que moi » notamment). Est-cela, le travail du poète ? Montrer la beauté de ce qui est « banal » ?Comment as-tu vécu le(s) confinement(s) ? Ont-ils été pour toi source d’inspiration ou bien au contraire une confirmation du monde d’avant qui semble, aujourd’hui plus que jamais (j’induis là, non?) semble en roule libre ?
Écrire, c’est aussi une forme de vengeance.
Heptanes Fraxion : En photo, je m’intéresse principalement aux non-lieux, à l’absence, à la narration que peut trimballer le passant qui passe.
Quant à la musique, c’est je crois un désir de collision, un besoin de sortir de ma zone, de ma bulle en faisant vivre le texte différemment. Cela ne fait que deux ans que j’ai ce genre de velléités et je n’ai donc pas trop de recul.
À mon échelle, la crise sanitaire a mis à jour la violence de mon entreprise. Étant devenu non essentiel, j’ai été enrôlé dans un nouveau travail où on laisse le cerveau au vestiaire le matin pour le récupérer le soir. Tout est devenu débile, mon esprit était en train de mourir et j’ai craqué psychologiquement et physiquement.
Sans que je lui demande quoi que ce soit, David Litavicki, qui avait déjà mis en chansons trois de mes poèmes pour son album Serrures et palmiers avec Bleu Russe , m’a fait parvenir une dizaine d’instrumentations sur lesquelles j’ai trouvé sept textes. Je me suis accroché à ça comme un naufragé à sa planche de bois, je me suis soigné à travers ce projet. Mes sales journées et mes mauvaises nuits ont refait sens petit à petit et ainsi naquit l’album Rien de spécial sous le nom de Mina, disponible sur Bandcamp.C’est un album de spoken word, de slam punk où j’ai pu réaliser mon fantasme de chanteur raté.
Différent mais pareil, ma collaboration avec Denis Cassan du groupe NatyotCassan qui souhaitait explorer d’autres univers à travers sa musique et qui m’a envoyé par morceaux, une demi-heure de musique de film sur laquelle j’ai posé la série de textes Ô, publiés aux Chats de Mars. Ô est donc devenu un film parlé qui m’a rendu fou de manière tout à fait salutaire et vous pouvez le trouver sur spotify par exemple.
Je ne sais plus lequel de mes ex amis m’avait dit de façon péremptoire, que tout ce qu’on ne faisait pas avant quarante ans, on ne le faisait pas après. Je peux donc affirmer qu’il se trompait lourdement ce connard. Écrire, c’est aussi une forme de vengeance.