MARIANNE DESROZIERS Trouville, côte Normande (fin)
Retrouvez la première partie et la deuxième ICI et ICI
Elle note qu’il a légèrement haussé les sourcils au mot écrivain. Elle regrette de l’avoir dit. Elle finit toujours pas regretter de le dire, de dire qu’elle écrit, d’ouvrir la bouche pour articuler maladroitement ces deux syllabes : j’é-cris, c’est comme si ça avait du mal à sortir, comme si ça ne voulait pas, si ça ne veut pas, c’est qu’il y a une bonne raison à ça : l’acte d’écrire doit rester secret. Elle a tort de le banaliser, de faire comme si c’était anodin, comme si c’était un métier ou pire un hobby. Elle s’en veut, elle n’aurait dû rien dire, elle aurait dû dire je ne fais rien, je vis, j’essaie de vivre, ça me prend tout mon temps, peut-être alors l’homme aurai ri et elle aurait pu rire aussi.
Il ne lui dit presque rien. Des banalités. L’air est frais, non ? Elle ne prend même pas la peine de répondre. Elle hausse les épaules. Elle n’est pas frileuse, elle finit par dire. Ca va se réchauffer, il est tôt encore. Je vous parie que d’ici midi nous aurons gagné au moins 5 degrés. Peut-être, dit-elle, lasse, les yeux dans le vague. Il essaie à tout prix de capter son attention, d’accrocher son regard. Vous aimez ici, la mer, tout ça ? Et joignant le geste à la parole, il tend le bras et balaie l’horizon en faisant un tour sur lui-même tel une toupie. Elle ne réagit pas à ses pitreries. Elle répond quand même. Elle répond avec un air sérieux. Oui bien sûr. Bien sûr que j’aime la mer. Qui n’aime pas la mer ? Vous croyez qu’il existe des gens sur terre qui n’aiment pas la mer ? C’est naturel d’aimer la mer, c’est comme aimer je ne sais pas moi… les oiseaux, les fleurs, les enfants. Tout le monde aime la mer. Ah bon, vous croyez ? Oui bien sûr que je le pense, sinon je ne le dirai pas, pour qui me prenez-vous ? Je ne sais pas. Je ne sais pas qui vous êtes. Il est penaud. Il ne sait plus quoi dire, il se tait. Ça lui fait plaisir de lui avoir rabattu le caquet. Elle sourit enfin, pour la première fois. Lui non, pas du tout. Il a le visage crispé des mauvais jours. Elle a soudain envie de parler. Vous voulez que je vous dise la vérité ? La mer c’est une affaire de femme. L’eau c’est un élément féminin. Les hommes vous croyez pénétrer la mer mais vous ne la pénétrez jamais vraiment. L’eau c’est comme la femme c’est impénétrable, ça résiste. Vous parlez peu mais quand vous parlez vous en dites des choses !
Elle dit des choses que les autres femmes ne disent pas. Ou alors elle le dit d’une manière différente. Elle dit que petite elle était garçon manqué qu’elle passait des journées entières dans les arbres. Vous entendez ? Des journées entières je vous dis, pas une heure ou deux mais des journées entières, du matin jusqu’au soir. Vous ne me croyez pas, n’est-ce pas ? Mais si je vous crois. Elle dit que les oiseaux étaient ses amis. Surtout ceux qui ne chantaient pas fort, dont la voix étaient comme étouffée par quelque chose.
Elle dit aussi que s’il n’y avait ni la mer ni l’amour personne n’écrirait des livres. Les yeux verts prennent alors une teinte étrange, à la fois profonde et dure. Son regard est celui d’une hallucinée. A cet instant, elle lui fait peur. Il se demande s’il fait bien d’insister. Si cette femme-là n’est pas complètement folle. Folle comme la mendiante qu’il avait suivie un soir il y a longtemps quand il était expatrié aux Indes. Il n’aime pas les femmes folles, s’en méfient, se demande si finalement toutes les femmes ne sont pas folles. Il pourrait bien se lasser d’elle. C’est peut-être déjà fait. Elle le sent et tente de radoucir son expression, d’arrondir ses mouvements, d’encourager un nouveau contact physique entre eux, les mains peut-être ou alors un frôlement de leurs cuisses, de leurs bassins.
Elle et lui longent la jetée côte à côte d’un pas rapide comme s’ils avaient rendez-vous quelque part bientôt, un rendez-vous très important à ne manquer sous aucun prétexte. Alors que leur rendez-vous c’est ici maintenant. L’histoire a commencé déjà, même s’ils ne se sont pas encore vraiment touchés. A peine effleurés quand il l’a aidé à redresser sa bicyclette rouge appuyée contre le mur du café et qui menaçait de tomber. Ce contact, aussi ténu soit-il, s’est révélé très agréable, pour l’un comme pour l’autre. Lui l’avouerait volontiers. Il est plus ouvert qu’elle à la rencontre. Il est plus léger. Elle a envie d’être légère mais ne peut pas. Des résistances en elle bloquent. Des nœuds l’empêchent. Des problèmes qui remontent à loin. Loin dans l’espace. Loin dans le temps. C’était dans une autre vie. Une de ses vies d’avant. C’était un autre homme. Qui ressemblait un peu à celui-ci. C’était un autre mer. L’Adriatique.Il faisait si chaud. Elle avait si soif. Et dans son esprit galopaient les petits chevaux de Tarquinia.
Ils se quittent à contre-coeur il semble. Pourtant rien ne les y oblige. Peut-être vont-ils chacun vers un autre rendez-vous. Ce rendez-vous là n’était qu’une escale sur le chemin vers leur vrai rendez-vous. Une autre femme, un autre homme, un autre moment, un autre lieu. Une autre mer.
Ce texte est publié avec l’aimable autorisation de Marianne Desroziers.
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Marty Alain
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Un seul mot : Excellent !!
Oserais-je dire qu’un retrouve dans ce texte un peu de la nostalgie des « Crocodiles dans les mers du Sud » ?
Alain Marty
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admin6895
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Bonjour Alain. Nous ne pouvons répondre à votre interrogation quant à la « ressemblance » avec Crocodiles dans les mers du sud car nous ne l’avons pas lu. Merci pour votre commentaire que nous transmettons à l’auteure. Bonne journée.
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