MARIANNE DESROZIERS Trouville, côte Normande (partie 2)

marianne desroziersRetrouvez la première partie de Trouville, côte Normande ICI

 

Il la regarde en douce, à la dérobée. Ses mains, ses yeux, sa bouche aussi. Il est curieux d’elle, si curieux, il voudrait tout savoir. C’est comme une faim d’elle inextinguible. Elle évite bien de le regarder. Elle l’écoute surtout, même s’il ne parle pas beaucoup. Elle écoute entre ses silences tout ce qu’il ne dit pas. Elle essaie de décrypter cet animal étrange : l’homme. Elle le connait peu. S’en est toujours méfié. A cause de sa mère. C’est elle qui l’a mise en garde. Méfie-toi des hommes, ma fille, ils te perdront. Ils nous perdent toujours.

Elle a peur de ne pas bien comprendre ou au contraire de trop bien comprendre où il veut en venir. Pourtant cet homme désagréable lui plait d’une certaine manière. Sinon elle n’aurait pas accepté ce café qu’il lui a offert tout à l’heure quand elle l’a croisé en sortant de l’hôtel. Ce n’était pas la première fois qu’ils se croisaient. Elle l’a remarqué le jour même de son arrivée, il y a presque une semaine. Et il l’a remarquée aussi. Sinon il ne l’aurait pas invitée à boire ce café au Bar de la plage. Il aurait pu en inviter une autre. Il ne manquait pas de jeunes femmes, des beaucoup plus jeunes qu’elle, des plus jolies, des moins farouches. Elle se demande pourquoi il l’a choisie, elle. Elle se méfie. Ca doit être un pervers, un tordu. Vous ne dites rien, je vous agace peut-être ? Cela arrive de temps en temps, j’agace. Non, vous ne m’agacez pas, dit-elle d’un ton agacé. Alors, dites-moi tout, vous faites quoi, Anne ? Il va lui falloir répondre, elle le sait, elle n’y échappera pas. Elle n’aime pas la manière dont il prononce son prénom, l’arrogance avec laquelle il se l’approprie alors que dix minutes auparavant il ignorait tout d’elle. C’est comme une main-mise sur son identité. Elle lui en veut de considérer qu’il a déjà gagné la partie. Il sait qu’elle va céder, qu’elle ira au bout. Et puis quoi ? Comme toujours, il se lassera, en trouvera une autre peut-être. Elle aussi se lassera mais elle n’osera se l’avouer et s’accrochera à cette amourette qui n’ose pas dire son nom. Un matin, au réveil, elle dira je pars et elle partira, lui ne dira rien pour la retenir, il ne fera aucun geste, il n’aura pas un regard pour dire reste.

Après un très long silence elle le dit dans un souffle. Elle écrit des livres. Elle dit ça comme elle dirait n’importe quoi. Elle pourrait dire sur le même ton je suis boulangère, je suis comptable, je travaille dans un pressing, je suis ouvrière à la chaîne, je fais des ménages, je suis mère au foyer. Elle non. Elle écrit. Elle le dit sans fierté aucune. Ce n’est pas une revendication non plus. Elle s’en excuserait presque. Il sourit. Elle non.

Il la regarde à nouveau même si elle ne l’encourage pas. Elle écrit. Il ne sait pas trop ce qu’il doit en penser. Il ne s’attendait pas à ça. Il n’est pas habitué aux femmes créatrices, aux artistes, aux intellectuelles. Non, il ne s’attendait pas vraiment à ça. Il se demande quelle est la bonne réaction, ce qu’elle attend de lui. Il devine que les autres doivent lui demander si elle en vit. Il se doute bien qu’elle n’en vit pas. Statistiquement c’est peu probable. Pas financièrement du moins. Elle en vit autrement bien sûr. Ca l’aide à vivre l’écriture. Ca la fait tenir. Ca la fait se lever tous les matins. Il sait donc il ne demande pas. Il prend juste acte de ça, elle écrit. Il lui faudra faire avec s’il se passait quelque chose entre eux, ce qui n’est pas du tout certain. C’est une bizzarerie de plus. Comme son nez légèrement de travers ou son étrange implantation des cheveux. Comme sa bouche qui se tort un peu vers la gauche quand elle parle. Le phénomène s’accentue nettement quand elle est émue. Il l’a bien remarqué qu’elle était émue. Il l’a vu mais il se garde bien de le lui signifier. Il sait qu’elle n’aimerait pas ça. Elle serait gênée. Peut-être même vexée ou en colère qui sait. Alors elle se fermerait comme une huître et il faudrait tout refaire ou bien renoncer et passer son chemin. Elle commence à peine à s’ouvrir. Ne pas faire de faux pas. Ne pas laisser échapper un mot malheureux. Ou un geste déplacé. Il marche sur des oeufs avec elle. Il n’est pas habitué à ça. Il est habitué à séduire facilement des femmes faciles. Elle est difficile. Il est joueur. C’est un jeu et il doit gagner la partie. Comme au casino, au poker ou au courses de chevaux. Les femmes ne sont qu’un jeu après tout. Il serait dangereux pour les hommes de les prendre trop au sérieux. Ils s’en mordent les doigts les hommes qui tombent dans ce piège-là.

(à suivre…)

Ce texte est publié avec l’aimable autorisation de Marianne Desroziers.

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