CÉLINE GUEGUEN, Un si bon fils !

céline gueguen, un si bon filsExtrait de la plume de notre autrice du mois.

Comme il est de coutume, nous vous dévoilons un texte qui vous permettra de vous familiariser avec l’écriture de Céline Gueguen, notre autrice du mois de mars. Un si bon fils est une nouvelle extraite de son recueil La neige, c’est surfait et autres nouvelles et vous donne la teneur de ce recueil…glacial.

Un si bon fils !

Il avait attendu ce moment depuis des mois. Il était enfin là, comme les oiseaux, les plantes lui avaient confirmé. Le printemps était revenu. Son projet de refaire les plates — bandes des tulipes était prêt : il avait passé une partie de l’hiver à dessiner des plans, à travailler les couleurs à l’aquarelle et aux crayons. Il avait imaginé ces bulbes sous la neige. Il avait presque pu sentir leurs cœurs battre dans la terre. Aujourd’hui, le temps était suffisamment clément ; les nuages porteurs de neige avaient quitté les cieux. Il fallait aussi installer les nouveaux rosiers. La place était déjà prévue, dans le coin sud du jardin. Elle serait contente de voir autour de la fontaine des fleurs écarlates de Rosa Canina ; il y aurait aussi un magnifique rosier paysager qui serait un pendant harmonieux au vieux portail.

Il prit donc sa pelle, mit le grand sac de jute sur son dos et sortit, heureux à la perspective de passer enfin un après-midi au grand air. Au loin, les pics enneigés étaient le dernier souvenir du rude hiver. Il fit le tour de la fontaine, nettoya les mousses accumulées depuis l’été précédent tout en sifflotant. Un papillon vint se poser sur le manche de l’outil. Le soleil transpirait à travers ses ailes. Il le regarda, sourit. Tout cela lui rappelait son enfance, lorsqu’il refermait ses mains agiles autour du petit insecte et sentait les frêles ailes se débattre contre ses paumes. Pourquoi ne pas revenir à cette période heureuse, juste quelques instants ? Il se déplaça à pas de loup, tendit les mains pour les refermer autour du papillon. Mais il avait perdu son agilité d’enfant et le papillon s’envola. Quel regret ! Il adorait prendre ces petites bêtes, mais surtout leur arracher les ailes, étaler la poudre dorée sur ses mains et son visage, puis regarder l’animal finir sa lente agonie. Il avait essayé plusieurs méthodes pour faire durer ce moment : couper les ailes en morceaux avant de les arracher, les transpercer d’un coup d’ongle, jeter de l’eau dessus… Cela l’occupait des heures durant, accroupi au soleil dans le jardin, sous le regard attendri de sa mère. Il avait essayé de passer le temps avec d’autres animaux et avait donc passé de longs moments à observer les vers de terre se tortiller, les mouches voler de travers. Il avait même essayé de retrouver le même plaisir avec les chats et les chiens, mais ce passage s’était révélé un vrai échec. Rien ne pouvait remplacer la sensation divine d’arracher les douces ailes des délicats papillons. De l’eau venant du sac posé à ses pieds le ramena au temps présent. Il était urgent de se mettre au travail. Il s’empara donc de sa pelle et se mit à creuser avec vigueur. Il lui fallait ouvrir la terre sur plus d’un mètre de profondeur. Si les bêtes venaient saccager les plates-bandes, tout serait gâché. Penser à mettre du répulsif !

Au bout de plus d’une heure de travail, l’objectif était atteint. Il sortit prudemment un sac en plastique hors de la toile de jute. Il ne fallait surtout pas que Maman sorte de là. Il avait déjà eu tellement de mal à la rentrer dans le plastique. Il avait fallu casser quelques os, mais le cadavre avait fini par prendre la position adéquate. Les neiges abondantes de l’année avaient permis de conserver le corps au frais alors que la terre était gelée et dure. Maman serait heureuse d’être là, avec Papa qu’il avait installé sous la fontaine. Maman était de plus en plus délicate et sa peau diaphane ressemblait de plus en plus aux ailes de papillon. Elle ne cessait de regarder vers ce coin du jardin en soupirant et en parlant de Papa. Quand il lui avait brisé « les ailes », il avait promis au-dessus de son cadavre encore chaud qu’elle le rejoindrait bientôt. Elle pouvait être fière d’avoir un fils qui tenait ses promesses avec autant d’amour.

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