JEAN M.MATHOUL, La saison des épeires

La saison des épeires Jean M. Mathoul
Publié chez L’Orpailleur.

Texte puissant, à la narration personnelle et novatrice, La saison des épeires de Jean M.Mathoul nous propulse dans un univers de boue, de sang, aux images floues mais pourtant évocatrices. Dur de sortir indemnes d’une telle lecture, laquelle ravage toutes nos croyances sur la littérature telle qu’on nous la montre habituellement.

Dans ce roman aux allures prophétiques et/ou bibliques, c’est une expression directe et crue qui impose sa puissance. Animale, viscérale, la langue nous heurte de pleins fouets, ne semble jamais vouloir nous laisser nous reposer. Elle n’est pas incongrue, ou décousue. Nous ne lisons pas non plus du Cormac Mc Carty. Cette langue est juste forte, imposante, écrasante, mais surtout elle déclenche dans notre imaginaire une foule d’avalanches. Et de questions.

De qui parle-t-on ?

Il n’y a ici qu’un personnage, sur lequel se greffent d’autres « entités ». Il y a Carl. Carl a un fils, Carl « Le jeune ». Lui-même aura un fils, Carl « le nouveau-né ». Au début du roman, nous ne savons pas au juste ce qu’est Carl : un être humain, ermite vivant au cœur d’une forêt, un animal, une créature autre (un être de terre ?). Au fur et à mesure, il vit, il meurt, son fils prend sa succession, est protégé par une louve, trouve une femme, mais une nouvelle fois les contours sont flous. Qui est humain, qui ne l’est pas ? Dur à situer, mais peu importe, on se laisse entraîner dans l’histoire malgré, et grâce, les zones d’ombre.

L’intrigue est une sorte de road movie qui donne suite à une succession de scènes. Celles-ci sont parfois violentes, parfois moins, mais jamais il n’y a de douceur, de tendresse (à quelques minimes exceptions). Tout est taillé dans la ronce, la boue, les tripes. Nous sommes spectateurs désabusés d’un spectacle organique virulent, torturé. Écartelé dans une vision d’un monde que l’on pourrait imaginer post-apocalyptique, les événements suivent une route qui paraît inéluctable, où le passé rattrape le présent, où l’avenir s’avère incertain.

Les figures, allégoriques, métaphoriques, dégagent une présence ample, qui recouvre tout le monde inhérent à cet univers. Il y a une présence sourde qui rôde, un parfum d’inéluctable, une histoire de destin. Tout est gravé dans le marbre des livres anciens, tout est redécouvert par l’auteur qui prend un malin plaisir à brouiller les pistes, à rester évasif, à faire de nous des lecteurs actifs, avides de sensations.

Un imaginaire qui nait.

Se crée alors un imaginaire fort. On pressent des références, des connaissances induites ou non par l’imaginaire collectif, mais Jean M. Mathoul reste assez vague pour effacer les certitudes. Nous nous trouvons donc ballottés entre ces dernières et des interrogations vives, mais ce mouvement de balancier ne nous décourage jamais dans la lecture de ce livre. Au contraire, on avance toujours plus dans ce monde obscur qui allume des zones depuis longtemps éteintes dans notre cortex cérébral.

La magie qui règne, autant dans les lignes du livre que dans cette écriture qui en dit beaucoup sans en dire trop, rend la lecture magnétique. Chaque mot à son importance, preuve du pouvoir de chacun d’entre eux. Le livre a été écrit entre janvier 1991 et janvier 2014 pour moins de 60 pages ce qui démontre d’un désir de précision, de méticulosité à embarquer le lecteur là où l’auteur le désire.

Ainsi, nous sommes à la merci de ce conte tragique qui montre l’Humain comme jamais nous ne le voyons d’ordinaire. C’est une claque littéraire, un ouvrage qui bouleverse car il ne s’autorise aucune facilité narrative, aucune approximation et délivre une histoire qui, longtemps après la dernière page, nous habite et nous guide dans notre quotidien. Fort et puissant, poétique et magnétique, dense et aéré, La saison des épeires nous a bouleversé et s’avère comme un chef-d’oeuvre du genre.

Commander le livre sur le site de L’Orpailleur : http://outsiderland.com/orpailleur/catalogue/la-saison-des-epeires/

Pour compléter l’article papier : http://www.radio-activ.com/podcasts/bol-130323-pad.mp3

Patrick Béguinel

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