3EPs : Gabriel Kröger, Levitation Free, Salim Nourallah

3 Eps a ne pas manquer.

Petite sélection de formats courts à ne manquer sous aucun prétexte. On y retrouve le rock poétique de Gabriel Kröger, la pop tendance dream/psyché de Levitation free et la pop rock de Sali Nourralah.

gabriel kroger vieilleriesGABRIEL KRÖGER, Vieilleries.

La nature morte qui orne la pochette de Vieilleries, tout comme le titre du quatre titres, ne doit surtout pas amener à penser que la musique de Gabriel Kröger sent la naphtaline ou, pire, le sapin. En effet, le disque nous propose un rock en français tout ce qu’il y a de plus actuel et moderne. On pense, pêle-mêle, à toute une scène indépendante qui met autant l’accent sur le fond que sur la forme, allant de MNNQNS à Cancre en passant par une certaine urgence à la Fauve. Ainsi, Marteau Poitrine, derrière des rythmiques rock et des guitares incisives, disperse une poésie sensible, égratignée par les accidents de la vie.

Romantique et exaltée, Marteau-Poitrine étonne par sa maitrise et ses aspects les plus originaux qui rompent l’éventuelle monotonie (elle n’apparaît jamais sur l’EP, on vous rassure tout de suite) qui pourrait guetter. Les arrangements sont bien sentis, tout comme les changements de rythmes ou les passages plus épurés de l’EP (on pense au pont, arpège de guitare électrique sur Un ange passe (et j’angoisse) avant que, justement, cette angoisse n’apparaisse dans une explosion contenue de colère sourde).

Parfait équilibre.

Les compositions sont habiles, vivantes, mêlent acoustique et électrique avec brio et sont portées par une voix qui semble en partie usée par la vie. Pourtant, d’une incroyable douceur, là où aurait pu surgir au contraire un caractère rugueux purement rock, Gabriel Kröger choisit l’option « pop », à savoir une expression quasiment à nu de ce qu’il ressent. L’impact de cette voix, pleine de fragilité et de force, sur des instrumentations bien senties et aux idées toutes concrétisées avec tact et inventivité, s’impose avec sobriété et élégance.

Les émotions véhiculées trouvent en nous un réceptacle adéquat. Si une nostalgie rouge nous saute aux oreilles, nous ressentons également un romantisme échevelé qui nous fait frémir d’aise. L’instrumental Winter wonderland closes at 10 pm nous conduit doucement vers une Russie/Sibérie lumineuse. La Prose du Transsibérien (avec Marie-Lys en featuring), dernier titre fleuve de l’EP avec plus de 10 minutes au compteur, lesquelles passent en un éclair, s’avère d’une beauté terrassante et aérienne. Sa poésie pleine d’un spleen joyeux (mélancolie de l’enfance que l’on laisse derrière soi, joie dans les accords et l’exaltation qui émerge malgré tout des paroles) nous transporte loin, très loin de nos peinâtes.

Beauté rock.

Sans délire mégalo, cet EP dégage une beauté rock, sauvage, un caractère indomptable, presque malgré lui. Nous voulons dire par là qu’il n’y a pas de pose, que la sincérité pleut sur les 4 titres de Vieilleries. Si le caractère désuet de la pochette est évident, on trouve dans ce disque une envie de faire un rock sans âge (donc indémodable), en dehors de tout revival quel qu’il soit, c’est-à-dire que Gabriel Kröger ne bascule jamais dans le facile ici. Avec ces compositions audacieuses et ces textes qui le sont tout autant, il offre un très bel ouvrage, touchant, fort, émouvant, inventif mais inspiré par une poésie vibrante et explicite, aux images fortes qui ébranlent nos fondations.

Nous touchons avec Vieilleries, une forme de perfection, juste équilibre entre rock et chanson, avec ce soupçon d’indépendance qui évite la mièvrerie. Au contraire, c’est la force des sentiments qui nous attaque de plein fouet, nous laisse admiratifs autant que contemplatifs du talent d’auteur/compositeur de Gabriel Kröger. Bref, un must have de ce début d’année.

photo : Louise Brault

Levitation Free, When your sun goes down (Chappelle Prod/Kuroneko).

Le briochin d’origine Sébastien Jamet est revenu avec un deuxième EP il y a quelques jours de cela. Baptisé When your sun goes down, celui-ci reprend plus ou moins la même formule que son précédent EP, à savoir celui d’une pop légèrement psychédélique nous rappelant, à bien des égards, celle des australiens de Tame Impala. Le titre d’ouverture, éponyme au disque, malgré un nom qui fleure un léger pessimisme, pour ne pas dire qu’il semble presque apocalyptique, dégage une certaine joie de vivre par le soleil qui irradie de ses mélodies.

Le ton est donné, pense-t-on, mais c’est mal connaître Levitation free qui enchaine avec un Can’t be losing you qui laisse poindre, par ces accords mineurs, une pointe non feinte de mélancolie. Nous voilà donc ballotté, en deux titres, entre une pop ensoleillée et crépusculaire. Le troisième titre ne fait rien pour nous installer dans l’un ou dans l’autre car il préfère jouer sur une énergie très rock, légèrement teinté de mélancolie. Mais dans Apocalypse Mind, on ressent plus une forme de colère froide qui jaillit des synthés rétro futuriste et des rythmiques enlevées.

Varié et intense.

Encore bousculés, jamais sur nos acquis, Levitation free surprend encore avec la base acoustique d’Everything to me (for Stefani Threadgill). Pourtant, Sébastien Jamet semble creuser plus profond sa mélancolie. On ressent une forme de profonde tristesse, que des larmes de guitares électriques ne font rien pour contrebalancer. Comme sur les autres titres de When your sun goes down, les tempi plutôt aériens et rythmés contrecarrent ce pessimisme, ou plus exactement cette tristesse, plutôt qu’en le renforçant. En dansant, comme en faisant fi de ce qui nous tourmente, tout semble un peu moins noir.

The one s’impose comme un morceau plus marqué par le spleen. La production, qui flirte avec les codes de la dreampop, nous place dans un confort cotonneux duquel s’échappe une couleur psychédélique discrète. La voix, maquillée de réverb, s’avère onirique, atténue là aussi le caractère trop pesant de la mélancolie. Alessandrie (seul titre en français dans le texte) referme l’opus en nous laissant sur une sensation à la fois pesante, dans un presque état de solitude avancée, mais également dans un côté étrangement euphorique. Comme si, malgré cette gravité, auréolée d’un romantisme vibrant, pointait un espoir féroce, de celui qui permet de changer le monde. Cette dualité habille tout When your sun goes down et en fait un EP fortement recommandé car il ne s’avère jamais manichéen. Une belle surprise.

SALIM NOURALLAH, See you un Marfa

Changement d’ambiance avec Salim Nourallah et son EP See you in Marfa (qui est également le titre de la première chanson du disque). Ici, nous retrouvons une pop rock plus « classique » dans sa production mais qui ne manque pas de charme. Ici, c’est un esprit très britannique qui règne, mais avec ce petit truc qui nous rappelle les vastes étendues des Etats-Unis, celles qui défilent des deux côtés de la mythique Route 66.

En effet, on sent surgir ici ou là une pointe d’américana discrète qui, plutôt que de surcharger les instrumentations pop, lui donne au contraire une couleur un peu plus « sauvage », libre de toute contrainte matérielle. Sans attache pour ainsi dire. Tout est fait ici dans la nuance, qu’il s’agisse des arrangements, du chant (absolument parfait, expressif et intimiste), des mélodies (instrumentales ou vocales). Sali Nourralah ne cherche pas à en mettre plein la vue, paradoxalement il impose une maîtrise redoutable de son art.

Raffiné.

Si un mot devait définir ce disque, nous dirions raffinement (ou élégance). Car rien n’est laissé au hasard. La production relativement dépouillée sert un mix parfaitement équilibré. Et si elle est dépouillée, elle n’en est pas moins rigoureuse et précise, contribuant ainsi à nous attirer vers le disque comme des aimants. Si le trio guitare basse batterie est de rigueur, c’est une mention spéciale que nous attribuons aux claviers et orgues qui arrondissent les angles de façon plus que convaincante.

Contrairement à Levitation Free, ce n’est pas la tristesse qui habille See you in Marfa mais plutôt une allégresse dansante, de celle qui nous donne furieusement envie d’enlacer la personne qui se trouve à nos côtés au moment de l’écoute du disque. Forcément, par les temps qui courent, un peu de légèreté ne fait absolument aucun mal et cet EP réussi et abouti en est une magnifique démonstration. Et on l’avoue également, le sourire de Salim Nourallah au dos de la jaquette fait également chaud au cœur. Bref, un sans faute !

Patrick Béguinel

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