MYRIAM OH, Scènes d’intérieur sans vis-à-vis

myriam oh scènes d'intérieur sans vis-à-vis Sensibilité punk pour poésie à fleur d’âme (recueil paru aux éditions Lunatique, collection Les mots-coeurs).

La poésie, ce n’est pas que cette littérature parfois absconse qui file la métaphore comme certains artistes contemporains déstructurent leurs sculptures, au point de les rendre totalement méconnaissables. La poésie c’est cette littérature des émotions, qui les porte au-devant de nous, de façon parfois enrobée, ou de façon totalement dénudée. Dans Scènes d’intérieur sans vis-à-vis, Myriam OH opte pour la seconde option et nous délivre une poésie sanguine, viscérale, d’une absolue pureté. Ces portraits à l’os des ressentis nous bouleversent et nous parlent intimement. Ici, la poésie est humanité, sans faux-semblant, sans détours, et forcément, ce côté cash laisse des marques indélébiles.

Ce recueil de textes poétiques porte à merveille son nom. Lecteurs, nous sommes plongés dans ces maisons dont nous ne voyons trop souvent que la façade. Comme le disait Cicéron, « Car si le visage est le miroir de l’âme, les yeux en sont les interprètes », alors nous regardons intensément, sans ciller, celle de Claire, Loïc, Camille (et les autres). Forcément, à tant les regarder, à tant les disséquer, c’est un peu comme si nous perdions un peu de la nôtre dans la leur, comme une danse fond deux corps en un seul mouvement. Forcément, cela nous marque, au fer rouge.

Mots choisis.

Toi :

« tu aurais pu faire carrière
fonder une famille
être quelqu’un de bien
aussi
mais ce que tu veux
c’est vivre

simplement vivre

ambition du condamné à mort
rêve de gosse qui n’a pas atteint l’âge de raison
pas de dettes
pas de recettes
c’est pas tous les jours la fête
y en a où tu fatigues
où tu retiens ton poing à chaque nouveau
«tu aurais pu … »

Camille :

« …En général ce sont des hommes oui
des vrais
des qu’ont pas peur
des qui font pas dans le détail
ni dans la nuance d’ailleurs
soit t’es un homme soit t’es une femme
soit t’aimes les hommes soit t’aimes les femmes
soit t’es blanc soit t’es noir
alors d’accord ils remettent quelques trucs
en question
comme la terre est plate c’est sûr
la shoah n’importe quoi
l’effet mandela c’est dingue
mais la théorie du genre
ils mangent pas de ce pain-là … »

Marie-Christine :

« …Le septième ciel elle s’y envoie quand elle veut
des fois avec n’importe qui
des fois n’importe comment
des fois elle se réserve le droit de le privatiser
pas pour des questions de baskets
ni des affaires d’ego
marie-christine est du genre hors-norme
elle a besoin d’espaces
pas de trouver sa place. »

Les maux ont un sens.

Myriam OH possède un don rare, celui de l’acuité dans le peu de mots. Elle observe les maux avec une tendresse crue, avec un amour vache d’écorchée vive. Elle fait surgir la sensibilité de chacun à travers des images pertinentes, fortes, et un rythme qui maintient en haleine, en vie, des mots volontairement simples pour marquer la complexité de ce qui se passe de l’autre côté du miroir. En lisant ces Scènes d’intérieur sans vis-à-vis, c’est comme si nous-même nous exposions à nôtre propre regard. Pas un seul des portrait esquissés ici n’évoque au moins un peu de nous, de nos errances, de notre quête de repentir.

Pourtant, bien que le fracas des existences ici dévoilées, dans une pudeur déchirante, soit violent, ce que dégage ce livre s’apparente à un pardon. Non pas celui de demander pardon à quiconque, mais à s’octroyer le droit de se pardonner soi-même de n’être justement que soi-même, avec les failles dans nos cœurs, avec les béances dans nos têtes, avec nos beautés noires et nos laideurs lumineuses. Accepter finalement de n’être que des êtres humains, des bêtes évoluées/sous développées, en perpétuel paradoxe.

Une forme, une vague, des scènes d’intérieur.

Les différents paragraphes sont découpés comme des souffles, des respirations, comme un coup d’oeil jeté alentour pour se dire que peut-être l’herbe est plus verte une fois franchie la palissade du voisin. Mais chez lui, dans son intérieur propret où rien ne semble dépasser c’est le chaos ordonné qui guette. Alors les remises en question s’opèrent, et la forme du livre lui rend grâce, en ne prenant pas le même angle que celui des autres, en osant le paysage plutôt que le portrait (pied de nez puisque ces Scènes d’intérieur sans vis-à-vis n’est qu’un portrait portant différents noms).

D’ailleurs ce « sans vis-à-vis », il a son sens aussi. Sans vis-à-vis comme le travail de l’autrice (et de l’auteur en général) qui va s’enfermer en son cocon d’écriture, tisser sa chrysalide et effectuer sa mue. Écriture, repli en soi, tisser, relire, modifier, gommer, ajouter, effectuer sa mue, libérer son livre, l’offrir aux regards interprètes de l’âme, et attendre le clin d’oeil, cet éclat qui dit « j’ai touché au coeur ». Et s’envoler.

Scènes d’intérieur sans vis-à-vis est bref. Il se lit vite. Pourtant, il est imposant de pertinence, il est reflet émotionnel, traduction de ce qui nous traverse sans que parfois nous n’arrivions à le nommer. Il se lit vite, pourtant il reste à la surface, rend notre épiderme hypersensible et notre cœur chargé d’une autre compréhension. Livre viscéral chargé d’une humanité nue, Scène d’intérieur sans vis-à-vis nous a bouleversé et vous bouleversera.

Ni plus ni moins.

«… À quarante ans précisément
Loïc a appris à danser. »

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